Chapitre 39 : Les conspirateurs.

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Croire que je peut m'éclipser de la chapelle assiégée de fidèles en toute discrétion est de la folie furieuse. J'utilise donc des vêtements qui ont été offerts en dons pour m'habiller en citadin. Zanathi, par une méthode dont elle seule a le secret, a réussi à dégoter une superbe robe de soirée d'un rouge sanguin. Tous deux nous allons voir le Fermier maintenant que la nuit est bien tombée. La femme de la Milice est d'accord, vu la difficulté qu'elle a elle-même eue pour arriver jusqu'à nous.

Les trois autres vont veiller sur Kahlee pour éviter qu'elle ne subisse une crise de disparition subite. Vu que je ne sait pas à qui faire confiance, Miro restera suspendu au plafond du dortoir : si il disparaît, c'est qu'il nous est arrivé quelque chose et si il voit quelque chose de louche pendant l'entrevue, Zanathi me préviendra.

Les Templiers barrent provisoirement la rue aux fidèles et on profite de l'occasion pour s'éclipser en compagnie de la milicienne. Une fois plus loin dans la rue, d'autres miliciens nous rejoignent et on marche d'un bon pas vers la résidence du Fermier. Des gens nous remarquent mais s'éclipsent immédiatement, préférant nous voir nous éloigner. Je m’interroge sur leur comportement auprès de la femme en armure de cuir.

-Il y a des rumeurs de nobles se faisant arrêter par la Milice.

Oh ? Le plus troublant c'est qu'ils ne remarquent pas que je suis le moine dont ils cherchent si ardemment les bénédictions. Il faudra que je me rappelle de la puissance des déguisements.

La marche dans les rues uniquement éclairées par les torches de nos « gardiens » est rapide mais Zanathi et moi sommes habitués à des exercices plus rudes que ça à présent. On dépasse deux groupes de nobles également escortés qui trainent plutôt des pieds et finissons par arriver à la résidence du Fermier.

De l'autre côté du pont levis, je suis frappé par le luxe environnant !

Rien que dans la pièce d'entrée, l'escalier est de marbre et est recouvert d'un magnifique tapis sur toute sa longueur. Des chefs d'oeuvres de poterie et de peinture se trouvent dans tous les coins et le dallage est régulièrement recouvert par de magnifiques fourrures. On monte à l'étage et nous retrouvons un couloir rempli de fauteuils et de canapés dépareillés, meubles emplis de nobles de tout age qui semblent être offusqués de devoir être là.

-Il exagère ! J'ai toujours été un serviteur fidèle ! Ne lui ai-je pas fourni la fine fleur des vins ?

-Et moi donc ! Je l'ai accompagné trois saisons de suite à la chasse et me suis pâmé devant ses exploits !

-Vous avez du avoir la vie rude, mon pauvre...

Quand Zanathi et moi avançons dans le couloir, le silence commence à se faire, perturbé par des chuchotements

Aïe...

Ils se connaissent entre eux et nous, on n'est personne.

-Tiens, ce sont les enfants de qui ?

-Une Komori ? J'ignorais qu'un noble étranger se trouvait en nos murs.

-Silence ! Ils doivent être venus avec... eux.

Une étonnante vague de silence se créée au milieu de ces piailleurs. Gêné, je me dirige vers la porte que me désigne notre guide de la milice. Zanathi, elle, fait claquer son éventail avec dédain.

Nous pénétrons dans le bureau et nos rétines subissent l'impact que seul le luxe le plus ostentatoire peut infliger.

Meubles en bois rare, livres bordés d'or, carafe en cristal, plume d'or... Tout est une proclamation de la puissance du propriétaire des lieux, y compris et surtout le panorama offert par la vaste baie vitrée donnant sur la ville.

Derrière l'énorme bureau, le fauteuil pivota doucement sur son axe, révélant la silhouette que je m'attendais à voir.

-Bonsoir dame Ricci.

Son sourire n'est pas moqueur comme la dernière fois que je l'ai vu. Elle a aussi troquée sa robe outrageante pour une tenue bien plus sage fermée au cou. Ce qui, vu ses formes, revient à souligner la présence de ce qui est caché. Je n'ai pas besoin de regarder Zanathi, les effluves de jalousie sont perceptibles sans avoir usage du moindre moyen de détection magique.

-Bonsoir jeune homme. Je ne connais pas vos noms d'ailleurs...

-Mattéo et Zoé. Vos hommes nous ont enregistrés à notre arrivée dans votre ville.

-Ce n'était pas encore ma ville.

-Mais c'étaient déjà vos hommes.

Elle a un grand sourire de Kitsune, comprendre joyeux et sournois.

-†Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ?†

-Il se passe que mon père est un imbécile !

Elle se lève et va à la table basse faite de métal et de verre, se versant un liquide transparent dans un verre finement ciselé.

-Vous voulez un verre ?

-Non merci, je n'ai pas l'habitude de l'alcool.

-†Cette boisson n'est pas du genre à apaiser mon palais.†

-Ah bon ? Pourtant il ne s'agit que d'eau.

Intrigué, je vais renifler le capuchon de la carafe. Aucune odeur. C'est bien de l'eau. Elle en rit à gorge déployée, les larmes aux yeux.

-Ah aha haah haaaa... merci...

-Pour quoi ?

-Pour m'avoir fait rire déjà. Des années que je n'ai plus rit que sur commande. Je commençait à devenir folle et à me demander si j'arriverai à rire franchement à nouveau. Et merci d'avoir apportée la lettre surtout.

-Elle ne disait que « j'arrive » pourtant ?

-†Nous ne voyons pas en quoi cette simple missive peut être aussi importante.†

-Le contenu était simple mais le cachet utilisé et la méthode de pliage donnait la date précise de l'arrivée en question.

Hein ? On a été manipulés ?

-Ne faites pas cette tête. La pauvre Mégumi essayait désespérément de me prévenir de la date mais plusieurs de ses Nezus ont été blessés par ces soldats.

-†La date de quoi...†

Un brouhaha soudain dans le couloir annonce l'arrivée de quelqu'un. Je me doute de qui il s'agit. D'une personne partageant le sens de la mise en scène de Zanathi.

-Bonsoir les mômes ! J'ai rien raté ?

-Nous en arrivions au menu principal, sire. Quelque chose à boire ?

-Pas de flotte, non, j'préférerai un truc plus corsé.

Isabella marcha jusqu'à une bibliothèque et fit pivoter toute une rangée de livre, révélant un espace sombre. Elle y farfouilla un peu avant de sortir une fine bouteille contenant un produit jaunâtre vaguement lumineux.

-Du nectar lunaire ? T'es une chic fille la mioche !

-Messire...

-Princesse ! Une princesse à mes yeux !

-Je préfère ça.

Et elle verse une rasade dans un verre avant de le tendre vers le chef des Templiers. Il retire son casque et le pose sur la tête d'une des statues décoratives. C'est un Hitsuji d'une trentaine d'années. A part une cicatrice sur la joue gauche, il semble très en forme et est soigné. On pourrait le prendre pour un noble tant son visage est digne et sa chevelure noire bien faite. Tant qu'il ne parle pas, disons.

-Ravis d'vous voir ent'quat'z yeux les mômes. J'suis Claudius Maxim mais vous d'vez m'connaitre sous mon pseudo : Lance de l'aube, Avatar Hitsuji, héros de la guerre de Scission.

Les Avatars sont excessivement rares. Lorsque le besoin s'en fait sentir, un Totem peut insuffler un peu de sa puissance divine en un mortel qui devient exceptionnel en tous points. Force, agilité, résistance... Ils deviennent capable de lutter pied à pied contre les démons et à faire face sans faiblir à des nuées entières de monstres. Il ne peut exister qu'un seul Avatar par Totem simultanément, même une fois le temps de la bénédiction passée.

Je me trouve en présence d'une légende vivante.

Qui se prélasse sur un canapé en sirotant avec délice un concentré de gueule de bois saveur agrume.

Pendant qu'il se détend, Isabella nous fait le résumé de la situation.

Alors qu'elle n'avait qu'une dizaine d'années son « imbécile de père » s'est laissé séduire par des histoires à dormir debout racontées par les Nobles Paysans. Au fil des ans, Il a fait vider et raser les greniers pour les remplacer par une arène, un énorme restaurant, un théâtre et d'autres choses totalement inutiles. Elle, elle comprenait que ça plaçait la ville en situation de faiblesse. Sa mère aussi d'ailleurs. Mère qui est décédée suite à une maladie aussi soudaine que mortelle.

Elle a soupçonné un meurtre et a donc décidé de jouer les idiotes. Pendant dix ans elle a suivi son père dans ses délires pendant qu'elle créait un réseau de contacts secrets surtout au sein de la Milice. Buvant des jus de fruits en se parfumant à l'alcool, elle s'est faite passer pour une délurée aux yeux de la jeunesse des nobles. Hélas, dans le prolongement des plans des Nobles Paysans, la Milice a vu ses budgets fondre. Elle a donc perdu ses meilleurs relais dans les villages, ses agents se retrouvant isolés. Mais avant que tout s'écroule, elle a reçu un message de Mégumi Tachibana.

-Je ne comprends toujours pas comment une Neko s'est laissée embarquer dans un complot. Les Nekos détestent viscéralement ce genre de truc, non ?

-L'avait pas l'choix. Les Tachibanas font d'commerce du Quadrant Alpha à Gamma. Et l'plan d'ces guignols c'est d'couper carrément les flux.

-†L'anneau est bien trop vaste pour qu'on puisse stopper ainsi les transports de marchandises.†

-Nan la griffue, c'est très simple dans l'coin. La ville portuaire d'Ilbertstein, les villes des plaines de Jardin Bleu et d'Quatre vents sans oublier la ville minière d'la Pierre Lavée. Avec ces quat'là, t'as 80% du trafic de marchandises...

Effectivement. Si on veut passer plus au large du port, la proximité du Bord Levant entraine des tempêtes imprévisibles et impitoyables pour les navires. Le Bord Couchant, lui, est très montagneux. Si on tient ces quatre Fermes, on prend tout le commerce des Quadrant Bêta et Gamma en otage car le Quadrant Delta, majoritairement occupé par les humains, ne laisse passer des caravanes Yukimimi que contre de solides pots-de-vins.

-†Mais ce serait une déclaration de guerre. Si vous privez les Ryus vivant dans le Quadrant Gamma de leurs vins fins et des viandes d'élevage Ushis, ce sera un massacre !†

-Inutile de stopper totalement le trafic, dame Zoé. Il suffit de mettre en place des droits de douane. De robustes droits de douane...

-Un racket officiel en somme...

-Har har har, j'adore la mentalité Kitsune !

En effet, c'est très Kitsune. S'assoir et laisser l'argent entrer. Mais il y avait encore des points qui me titillaient.

Isabella continua l'histoire : Le réseau de Mégumi permettait de contacter Claudius. Vu qu'il s'agit d'un chien fou au sein des forces armées, personne n'a pu prévoir son déploiement et les Nobles Paysans ne savaient donc pas qu'il venait vers Jardin Bleu. Isabella devait organiser un événement pour rassembler les nobles en un endroit pour tous les rafler d'un coup.

-Ils m'ont l'air plutôt calmes pourtant. Ils ne sont même pas gardés...

-Ceux dans le couloir ne sont que des flagorneurs. Plusieurs des nobles de la suite étaient en fait des agents des Nobles Paysans présents afin de nous surveiller.

Si les soldats présents dans la ville externe détectaient l'arrivée des Templiers, ça risquait de mal tourner pour la famille Ricci. Elle devait donc à la fois réunir tout le monde et placer son père et elle sous la protection de la Milice pendant assez longtemps. Et c'est là que je suis entré en scène. Isabella s'excuse aussi de m'avoir jeté au sol mais vu que les soldats des Nobles étaient à portée d'oreille il fallait me faire taire avant que ce que je dise soit suffisant pour me jeter au cachot.

-Mais Kahlee ne méritait pas ça ! Qui a osé lui infliger un supplice pareil ?

Je suis carrément en colère et dévisage Isabella qui recule d'un pas.

-Ne me regardez pas comme ça !

-A qui d'autre puis-je poser la question ? Je ne sait pas où est passé cet Inquisiteur !

-Tu viens d'donner la réponse à ta question, môme.

-†C'est l'un d'entre vous qui...†

-Pas d'entre nous ! Coupa l'Hitsuji en grognant. P'tètre dans l'temps mais p'us maint'nant.

Il y eut quelques secondes de silence. Fâcher un avatar est un moyen sûr et rapide pour passer de vie à trépas.

-Il a dit la vérité. Quelques membres de l'Inquisition locale ont accepté l'argent des Nobles Paysans et ont exhibée cette jeune fille dans deux des villes pour décourager les initiatives à leur encontre. J'ignore comment ils ont produit ces artefacts liés au Mana Corrompu, seul l'Inquisiteur était autorisé à les toucher.

-Où est-il ?

-Ouh, j'adore l'ton d'cette voix ! Plein d'couteaux, d'fers rouges et d'fouets !

-Il a disparu pendant le chaos causé par la purification.

-†A ce propos... J'ai entendu parler d'une lueur sainte pendant mon... action. Je trouve ça... dérangeant.†

-Bwahahahaa ! Ça c'tait moi ! Juste un p'tit bonus avec ma lance, histoire d'blouser l'public !

-Heu... merci...

Et il rit de plus belle. J'ai soif d'un coup et accepte un verre d'eau. Tout le monde se détend nettement maintenant que le plus gros de l’abcès est crevé.

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