Chapitre 58 : Avoir le sommeil agité.

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Quelques jours plus tard je me fait réveiller en sursaut. Sham me secoue sans ménagements aucun.

-Debouuttt ! On a un invitéééé !

Clignant des yeux je regarde la fenêtre. Par les fentes des volets fermés je ne vois poindre aucune lueur.

-Oui, c'est la nuiiiit. Allez, debbouuuut !

Croc et Griffe lèvent le nez, regardent la fenêtre comme moi, me regardent, baillent... et se recouchent.

Sont-ils si malins qu'ils ont compris que ça ne les concernait en rien ou sont-ils juste fainéants ?

Avec Manipulation de Mana, j'allume une bougie et commence à m'habiller pendant que le Kokujin essaye de tirer Rada de son lit. L'Hato n'étant pas du matin, je lui souhaite bien du courage.

Mes vêtements d'hiver sur le dos et une épaisse cape de fourrure par-dessus, je suis Sham vers le manoir. Il fait nuit mais la lune éclaire assez bien la neige pour me permettre de retrouver ma route. Il faut que je m'améliore en magie de Lumière...

On passe la double porte renforcée et arrivons dans une pièce assez bien éclairée avec de multiples torches. L'entrée est pourtant glauque d'ordinaire, même avec les efforts de Kahlee. Là se trouve une personne inconnue emballée dans de résistants habits d'hiver et la tête couverte par une étrange capuche dotée de ronds de verre à l'emplacement des yeux et de grilles au niveau de la bouche. Mais ce n'est pas lui qui retient mon attention immédiate.

Un Karasu git au sol au milieu d'ossements.

Les membres du clan du corbeau sont les plus sinistres des Yukimimis. Comme si leurs ailes noires comme la nuit ne suffisaient pas, la tâche qui leur a été confiée par leur totem consiste à éliminer physiquement tous ceux qui pourraient nuire au bon équilibre de l'anneau. En un mot comme en cent, ce sont des assassins.

Bien entendu, ils ne passent pas toute leur existence à tuer. Ils volent aussi. Torturent. Kidnappent. Bref, leur niveau de moralité est si faible que croiser un Karasu donne envie de changer de trottoir. Et ils aiment ça.

Ce Karasu là par contre n'est pas vaillant. Son corps fume par endroit et une lueur d'un violet sombre clignote à d'autres. C'est signé Zanathi. Je lève les yeux : il manque quelques os sur la balustrade, à l'endroit où se trouve la porte menant aux quartiers de la Komori. On ne la dérange pas quand elle dort. Je vais noter ça quelque part pour ne pas l'oublier.

En lettres de sang.

-Bonsoir, frère Mattéo. Je suis désolée de vous déranger à une heure si tardive. Heu... Pouvez-vous soigner monsieur Takshîl ici présent ?

Frère Mattéo ? Sa voix féminine me dit aussi quelque chose mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je me tourne vers Sham pour lui demander de quoi il en retourne.

Evaporé.

Je prends donc un sourire tout commercial avant de revenir à l'inconnue. Je soigne le Karasu inconscient avec Magie de Soin tout en discutant.

-Puis-je connaître votre identité ?

-Oh, c'est vrai, veuillez me pardonner !

Visiblement elle n'a pas l'habitude de ce heaume étrange, le retirant avec difficulté. Après deux minutes d'efforts, elle est enfin visible : une Kitsune au pelage roux intense, au visage sérieux bien qu'agréable et au port digne.

-Je suis Frederica, suivante de dame Isabella Ricci.

Oh ? Ah ! C'est la milicienne qui nous avais escortés jusqu'à son bureau ! Et, maintenant que j'y pense, c'est aussi une des deux qui la soutenait quand elle faisait semblant d'être ivre en sortant du restaurant. Une personne de confiance de longue date, donc !

-Heureux de vous revoir dame Frederica. Que me vaut l'honneur d'une visite en une heure aussi tardive ?

-Les Nobles Paysans surveillent nos mouvements. Takshîl est un excellent combattant et est assez fort pour transporter quelqu'un sur de longues distances. Nous avons quitté la ville dès que l'obscurité était assez épaisse...

-Vous me voyez navré de l'inconfort du voyage nécessaire pour me tenir compagnie.

-Ne le soyez pas ! C'est préférable à plusieurs jours passés dans la neige par voie de terre.

La milicienne était visiblement inquiète mais plus à cause de l'état du Karasu que des nouvelles qu'elle apporte.

-Je suppose qu'il a tenté de pénétrer dans les appartements de notre mage sans y être invité.

-Oui, je l'admets. C'est un bon guerrier mais il manque de politesse... Il s'agit donc bien de votre mage ?

-Plait-il ?

-Quand vous avez quittés la ville de Jardin Bleu on a monté un groupe de combattants pour prendre en embuscade vos éventuels poursuivants. On a nettoyée une partie de la neige sur la route pour vous encourager à saisir cette chance de quitter la voie principale.

-Oh ?

-Je vous présente les plus sincères excuses de dame Isabella Ricci mais il nous fallait un cas flagrant de tentative d'agression de la part d'un corps armé des Nobles Paysans contre des moines pérégrins. On était dans les collines, près à vous venir en aide mais l'armée des nobles n'a même pas réussi à quitter la route.

Décidément ces miliciens sont encore meilleurs que ce que je croyais. Je pensai avoir été brillant sur ce coup mais je n'ai fait que suivre les directives de la marionnettiste. Elle a dû les envoyer en pleine nuit, à peine la rencontre au bureau terminé. Les chutes de neige nocturnes ont effacées les traces...

-Quelle précision diabolique ! En temps normal, un mage doit voir sa cible, voir la toucher de la main. Le votre a brisé l'assaut à des centaines de mètres de distance et a même blessé sérieusement le chef de l'expédition, un des neveux du Noble Paysan Andreticelli.

Oh, oh... Et encore ce nom...

-Il vous en voulait personnellement suite au fait que votre centaure l'ait couvert de ridicule.

Et merde.

Un des membres de cette famille m'en veut à cause de Möngke et Zanathi et l'autre à cause du bain forcé évité de peu. S'ils comprennent qu'ils détestent la même personne, mon futur va pas être glorieux.

Je finis de ressouder les derniers os brisés des ailes du Karasu avant de consacrer toute mon attention à l'envoyée Frederica.

-Vous avez donc fait un long voyage dans le froid de la nuit. Permettez que je vous offre un lait chaud pour vous réchauffer.

En sortant je tombe sur Rudy, le trappeur Okami. Je lui explique qu'il y a un Karasu se remettant de ses blessures dans l'entrée et qu'il faudrait le mettre au chaud. Il hoche la tête et repart chercher de l'aide pendant que je guide Frederica jusqu'à chez moi. Je suis accueilli par une odeur de lait de chèvre chaud, Rada ayant pris l'initiative de préparer quelque chose pour nos invités.

Heu ? Il est en train de faire frire les fruits secs ?

Ouh, il n'a pas l'air encore totalement réveillé.

Je reprends les manettes à la cuisine et lui demande d'installer notre invitée.

-Bonsoir... Nom ?

-Je suis Frederica, envoyée de dame Isabella Ricci.

-Bien. Table. Chaise. Attendre.

La maladie de Marbre additionnée à des réveils difficiles donne un combo terrifiant.

-Comprenez bien que je suis désolée de vous déranger à une heure aussi tardive. Je viens vous apporter des nouvelles de la situation au sein de Jardin Bleu.

-Attendons l'arrivée des chefs, je vous prie.

-Quoi ? Je veut dire, avec vos talents vous n'êtes pas le chef ici ?

-Je ne suis qu'un humble herboriste. Vous êtes ici en ma demeure.

-QUOI !? UN HERBORISTE !!

Elle s'en est relevée, l'air choquée. Sans ménagement, Rada la rejette dans le siège.

-Silence ! Enfants dorment...

-Des... des enfants... Combien ?

-Deux filles.

Pour une raison qui m'échappe ça a l'air de la choquer encore plus. Pourtant la plupart des ordres religieux de l'anneau autorisent les mariages des prêtres, je ne vois pas quel est le problème. Un bruit de trottinement dans l'escalier m'informe de l'arrivée d'un de mes deux animaux de compagnie. Vu le bruit très faible, il s'agit de Croc. Il essaye toujours d'être furtif, même à la maison. Sa petite bouille adorable a un effet calmant direct et efficace sur mon invitée. Elle manque de fondre quand il s'arrête à ses pieds, frottant sa tête contre sa jambe.

-Vous pouvez le caresser.

Elle ne s'en prive pas.

-Votre garde Hato est impressionnante. Nous avions à peine commencé à survoler la forêt qu'elle était là à nous questionner sur nos intentions.

-Oui, c'est quelqu'un de très vigilant.

-Oui. Efficace. Toujours. Mf.

Il m'avait dit un jour qu'il n'arrive pas à comprendre comment elle fait. Je soupçonne un niveau de Détection effrayant. Sur ces entrefaites, elle arriva accompagnée de Hank et Sham. Peu de temps après, le reste de mon équipe pénétra dans mon salon.

On est un peu à l'étroit, là ! Surtout que Zanathi a son masque d'os garni des cornes de bouc.

-Permettez-moi de résumer la situation de Jardin Bleu.

La dite situation n'était guère brillante. Isabella Ricci avait réussi à vider les greniers de trois villages avant que Claudius ne soit rappelé à Animanum, la capitale de l'empire Hitsuji. Tachibana a réussi à faire passer quelques caravanes avant que les Nobles Paysans ne refassent des leurs.

Au printemps, prétextant la présence des monstres dont les Nobles ne cessaient d'utiliser comme raison pour fermer la circulation, Claudius lancera une expédition de nettoyage. Simple prétexte pour faire une jonction permanente entre le Quadrant Alpha et la ville de Jardin Bleu. Car les autres passages sont bloqués.

Pas physiquement, il est toujours possible de payer une taxe supplémentaire pour avoir un droit de passage. Mais les Nobles Paysans sont parvenus à intercepter l'essentiel du trafic marchand de l'anneau vu que les villages situés côté Avancé de Jardin Bleu sont à présent contrôlés par leurs soins.

Nous avons de la chance dans l'histoire : la scierie étant vitale pour Ricci, elle a pris le contrôle des localités entre la ville et nous. Les Briseurs pourront donc recommencer leurs trocs dès qu'ils le souhaitent. On informe Frederica de la visite de l'envoyé des Santini et elle en devint sombre.

-Si vous aviez accepté, ils auraient lancés des raids contre la scierie. Ou auraient sabotés nos efforts, profitant du couvert végétal pour nous harceler et nous lancer des hordes de monstres.

Le reste des informations était assez banal. Mais sur la fin, nous eûmes une grosse surprise.

-Comment ça, de l’entraînement ?

-Frère Mattéo, quand vous avez proclamé donner votre soutient à dame Ricci nous avons observé un effet inattendu : Quantité de jeunes gens se sont inscrits à la Milice ! Le récit de vos exploits s'est répandu comme une trainée de poudre et l'efficacité de vos gardes fait pâlir d'envie bon nombre de nos apprentis guerriers. Sans parler de nos jeunes mages qui ambitionnent de rencontrer le mage noir capable de briser un assaut de cavalerie à grande distance par ses seuls efforts !

-La flatterie ne mène à rien avec un homme d'Église...

-Je suis sérieuse ! On a des dizaines de niveaux 4 à 7 qui rêvent de grandeur mais qui sont indisciplinés, vous voulant pour les guider !

C'est à peine inférieur à mon niveau et j'ai appris la plupart de ce que je sait de Nektaria ! J'allais dire quelque chose quand une évidence me frappa. A moins que ce soit grâce à mon amélioration de score d'Intelligence.

-Möngke ?

-Oui, Maître ?

-Peut-tu amener notre invitée chez toi quelque temps. Je dois discuter avec les autres...

-Bien sûr, Maître ! Si vous voulez bien me suivre...

Une fois la Kitsune partie, je pose les coudes sur la table, les doigts en cloche devant ma bouche.

-J'ai eu une idée...

-Trop loin... Pas question entraînement. Veut pas laisser filles seules.

-Ne t'inquiète pas, Nektaria, ils vont venir ici...

-Gamin, on ne peut pas accueillir des dizaines de soldats de la Milice ici après avoir balayé la même offre des Nobles Paysans un peu avant ~.

-Ce ne serait pas sériieeeeux.

-Tu as une autre idée, n'est ce pas.¬

-Oui. On va laisser l’entraînement à quelqu'un d'autre présent dans le fortin, qui a beaucoup de temps à perdre et formera très bien des novices.

-Qui donc ?

-Le Donjon.

-†Mauvaise idée.†

Oh ? Je pensai qu'elle serai la première ravie.

-†Cette engeance du Mana Corrompu ne coopérera pas ! Elle dévorera les nouveaux avec des créatures trop puissantes pour eux et ne les aidera pas à dépasser leurs limites.†

-Comment ça ?

-†Le Donjon est en sommeil. Il ne fournit pas de monstres au-delà du niveau 10 et...†

Elle s'arrête, la bouche ouverte. Son regard part dans le vague quelques instants avant qu'un sourire sauvage ne l'illumine comme une ville prise dans un incendie.

-†Le Donjon peut coopérer.†

-Zanathi... Je vois exactement où tu veut aller ~.

-Dangereuuux. Et je n'ai pas besoin de préciser à quel pooiinnntt.

-Suis pour.

-Nektaria ~ ?

-Enfants atteignent limite. Donjon plus un... danger pour eux. Danger hors des murs : Nobles Paysans.

J'essayai de rester calme et de garder la même pose bien que je ne comprenne absolument pas où ils veulent en venir.

-†Donc dès que possible, je lèverai le glyphe. Et réveillerai le Donjon !†

Les implications de ce geste me terrorisent. Le Donjon fait trois cent mètres sur trois cent mètres, comme le fort Briseur mais n'a que trois étages (et le dernier ne contient que le Coeur). Le laisser se réveiller signifie qu'il gagnera des étages supplémentaires et que des monstres plus puissants apparaîtront.

-Oui... Et on a moyen... de l'arrêter...

-Comment, Rada ?

-Ours !

-Muh ?

Oui, c'est vrai... Maintenant que des ours vivent à proximité on pourra toujours faire appel à eux pour neutraliser le Coeur de Donjon si il échappe à tout contrôle. Ils en seraient même ravis. Mais ce serait se servir d'eux comme chair à canon, ce qui ne m'enchante pas.

-Si on a des monstres proches du niveau 10 au second niveau on aura rapidement des créatures qui vont être trop puissantes pour nous, non ?

-†Kukukuku... Laisse-moi t'éclairer sur la nature coriace des Donjons, homme de foi !†

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