Chapitre 62 : Nouvelles bases de travail.

9 minutes de lecture

-Frère Mattéo ! Est-ce une plaisanterie ?

Elle a l'air fâchée. Je recule de deux pas.

-Heu... Croyez bien que nous avons fait notre possible...

-Votre possible ?

-Oui, nous-mêmes ne sommes pas des guerriers accomplis. On leur a donc appris les bases.

-Les bases !

Elle ne cesse de répéter ce que je dis, avançant en même temps que je recule.

-Comment s'est passée l'évaluation ?

Elle n'a pas répondu « l'évaluation ? ». A la place, ses yeux partirent dans le vague pour rejouer un souvenir récent.

-Il leur a fallut près de trois jours pour ressortir de la forêt. Ils auraient pu sortir plus tôt mais leur pisteur a repéré un groupe de monstres et ils se sont mis en chasse.

-Heu... c'est mal ?

-A la sortie, en plus de moi il y avait trois personnes qui les attendaient : mes meilleurs hommes. Après une inspection rapide, constatant l'absence de blessures, ils ont équipés les bûcherons d'armes d’entraînement et ont reproduit plusieurs situations de combat dans la scierie.

-Quelles armes d’entraînement avez-vous données aux recrues ?

-Toutes. Le paquetage complet. De façon surprenante ils ont choisi la benjamine du groupe pour les mener au combat.

Les apprentis étaient salement motivés pour mettre Lavinia à leur tête. Ils voulaient briller...

-Nous les avons formés à...

Ricci leva la main, m'intimant le silence. Visiblement, elle tenait à revivre toute l'horreur du moment sans se faire interrompre.

-Trois heures durant les assauts ont été donnés. Six bûcherons. Dix. Quinze. Puis, à la fin, tous les bûcherons et mes trois hommes. Là seulement on a réussi à briser leur défenses. Ils bougeaient leur lignes sans arrêt, formant des groupes de cinq ou un paquet de dix à une vitesse effarante. Ils changeaient d'armes tout le temps et les hommes qui finissaient au contact n'arrivaient à rien, succombant aux coups ou aux flèches des autres adolescents.

Ils ont bien appris leur leçon ! Je souris un peu.

-Plus que leur capacités en stratégie ou en armement, c'était leur mental qui était terrifiant. Face à des adultes plus nombreux et plus forts physiquement, ils n'ont pas eu peur. Pas une fois.

-C'est bien ! Non ?

Je commence à bien connaître ce regard. Celui de personnes qui se demandent si je me moque d'eux alors que j'essaye juste de parler normalement. Les yeux noisette se rapprochent encore.

-Vous savez ce qu'ils ont fait après avoir passée presque toute la matinée à batailler ? Ils se sont entraînés. Encore. Entre eux. J'ai ordonné à Frederica de me prêter ses habits de voyage et ai décollé dans la minute.

-Et vous voilà. Permettez ? La soupe va brûler si je ne touille pas.

Je pointe la marmite du doigt. Elle me regarde toujours aussi fixement, sans bouger. Je la contourne donc doucement pour éviter de gâcher la nourriture. Maintenant que je regarde mieux, je vois qu'en effet la tenue ne lui va pas bien : Isabella Ricci est plus grande que Frederica.

-Mais quel entrainement de cauchemar leur avez-vous fait subir ?

-Nous avons passé un accord à ce sujet.

-Il suffit ! Mes soutiens faiblissent chaque jour et tout est bon à prendre ! Qu'avez-vous qui permette de renforcer ainsi des Kitsunes !

-Des modèles.

La Kitsune, furieuse, me regarde dans le blanc des yeux.

-On est à peine plus âgés qu'eux mais on a un bon niveau, des bonnes Compétences et un mental robuste. On a obtenu ça par une vie rude, un environnement dangereux et des entraînements permanents. Pas de jeux, pas de vie dorée. Les jeunes gens que vous m'avez envoyés sont des citadins pur sucre, vivant une vie où la plupart des tâches sont effectuées par d'autres. Ils ne voient pas les plantes mûrir, l'animal se faire découper ou les gardes les protéger. Je les ai mis face à face avec les dangers d'Ichimono et leur ai appris qu'ils pouvaient tenir debout contre ça !

Isabella se détourne, marchant doucement dans la pièce, regardant autour d'elle le temps de digérer ça.

-Frère Mattéo... êtes-vous seulement un moine ?

-Je suis un herboriste.

La température est bonne. Je vais chercher une assiette creuse en terre cuite et y verse la soupe agrémentée de la saucisse, posant un couteau, une fourchette et une grosse cuillère en bois pour qu'elle puisse siroter le potage et découper la viande.

-Tenez. Mangez ça, ça vous fera du bien.

Vaincue, elle s'assit. Elle est dubitative en reniflant la soupe.

Oui, je sait, ça n'a rien à voir avec le restaurant luxueux que vous fréquentiez ! Heu... C'est pour me faire plaisir que vous dévorez comme ça ?

Après avoir fini de nettoyer l'assiette avec du pain et léché la cuillère, elle revint à moi.

Correction, elle nettoie son menton du reste de soupe puis revint vers moi.

-Donc, vous êtes prêts à prendre dix nouveaux apprentis ?

-Si vous êtes satisfaits...

-Des modèles, hein ? Je vais placer ces Kitsunes prioritairement à la défense de la ville, que tout le monde les voient. Que les Nobles les voient.

Je fait un peu la moue.

-Ils ont été formés pour le combat, pas pour jouer les enseignes...

-Ils auront de quoi faire. Les monstres sont de retour.

-Hein ?

C'était le cas : les monstres ont bien profité des vastes forêts pendant l'hiver et se risquent à nouveau dans les champs a présent que la nature va se réveiller. On ne s'en est pas rendu compte car les ours ont un effet répulsif rare sur les environs immédiats du fortin.

-La Milice a donc besoin de victoires contre des monstres pour clouer le bec à l'armée des Nobles. Les jeunes bien entraînés comme vous les produisez seront précieux.

-Ils vous suivent, dame Ricci. Je ne fait que leur donner les moyens de survivre.

-Saviez-vous qu'ils ont changé leurs tenues depuis le moment où on vous les as envoyés ? Ils portent tous un collier fait ici même. Pris dans le collier se trouve une touffe de poils blancs, une touffe marron, une plume, un modèle réduit de fer à cheval et un os animal. Et toutes ces décorations entourent une médaille frappée d'un M majuscule.

C'était donc ça qu'ils demandaient à Hank ? Je croyais qu'ils allaient faire affûter leurs armes.

-C'est vous qu'ils suivent, frère Mattéo. Si vous le demandiez, ils me trahiraient de suite.

Quelle tristesse...

-Vous vivez depuis trop longtemps dans le mensonge, dame Isabella. Vous n'arrivez pas à faire confiance aux autres...

-Comment vous faire confiance !? Vous savez tout de moi, de mes plans ourdis pendant des années, de mon enfance pathétique, de ma famille détruite ! Mes deux frères sont à la tête d'armées Nobles !! Mes propres frères veulent me renverser ! Pas par respect pour notre père mais car je leur coupe l'arrivée de l'argent frais ! Et vous, vous ne me dites rien sur vous et sur vos méthodes, me demandant de vous faire confiance !

Ce n'est pas de la comédie, elle est vraiment furieuse. Et triste.

Puis-je vraiment lui faire confiance ? Elle m'a attiré dans ce sac de nœuds pour avoir les coudées franches, histoire de nettoyer la ville. Mais elle est restée honnête avec moi, depuis. Elle a dépêché des guerriers pour couvrir notre fuite secrètement. Elle a fait livrer la nourriture pour les apprentis en temps et en heure. Le jeune Santini s'est révélé être un imbécile mais pas un espion.

Après avoir navigué pendant des années dans les marécages du mensonge et du complot, elle impose autour d'elle la franchise. Et se retrouve bien seule.

Mais notre secret est tout aussi lourd et dangereux alors que la position de Ricci est délicate, pouvant chuter à tout moment.

-Pourquoi hésite-tuuuu ?

Le Totem soit loué, je suis passé aux toilettes ce main...

-Wah ! Heu... sire Sham je présume ?

-Exaaaaact.

-D'où venez-vous, sans vouloir être indiscrète...

-Je suis rentré iciiii en même temps que vouuuusss.

Vu son sourire, c'est tout à fait possible que ce soit vrai.

Dehors, une explosion retentit dans le manoir. Repose en paix, Takshîl.

-Un Donjon ? Vous les avez envoyés dans un... Donjon ?

Je suis occupé à remettre en place les os du Karasu. Zanathi était en train de rendre visite à Kahlee et il a fallu du temps à Takshîl pour la retrouver. Quand il est entré furtivement dans la chapelle, il n'a pas échappé aux sens affûtés des deux magiciennes qui se trouvaient sur le balcon, au-dessus de la nef.

Il aurait mieux fait de cacher le bijou qu'il a prit comme souvenir chez la Komori. Le bombardement concerté de boule 2 de deux éléments aussi opposés que le sacré et les ténèbres a transformé les derniers rangs des bancs en allumettes.

Comment un tel masochiste réussit à survivre dans une carrière de guerrier ?

-Oui. Les Inus qui tenaient le fort avant la guerre s'en servaient pour s’entraîner. Nous continuons.

-Il ne serait pas plus simple de détruire le Cœur ?

-†Kukuku ! Ne sous-estime pas la puissance du Malin ! Ce Cœur a résisté aux lames des Avatars des siècles passés !†

-La région est pauvre en Mana.¬ Des archives, nous avons pu obtenir que les monstres les plus puissants qu'il peut produire sont du niveau 20, au mieux.¬

Isabella tient à garder ses distances avec Kahlee. Je ne lui en veut pas trop vu l'état dans lequel elle l'a vue la dernière fois. L'Hitsuji est en train de m'aider à rafistoler cet abruti de Karasu.

-†Une vision vaut mieux qu'un long discours. Laissez-nous vous montrer l'antre du mal !†

-Quoi ? Maintenant !

-Minute Zanathi, il faut encore lui mettre les deux jambes en place !

Après avoir fini de rafistoler une fois encore le guerrier, on mène dame Ricci à la grande salle aux comptoirs. Elle ouvre grand les yeux, regardant autour d'elle.

-Mais... Mais... Mais... c'est une salle de dépôt !

-Plait-il ?

-L'agencement est le même que pour l'armurerie : des comptoirs pour donner et prendre les armes et un vaste espace central pour l'organisation des troupes. C'est tout à fait militaire !

-Sauf que ce n'est pas vraiment çaaaaaa. Lisez les panneeauuuxxx. Ils s'en servaient pour ramasser et trier le butttiiiinnn.

Si un côté est effectivement libellé armes et armures, le flanc à notre droite est clairement pour les résidus des monstres. Peut-être qu'à l'époque aussi ils se servaient de cette méthode pour assurer leur autonomie ? Après tout, les Inus ne voulaient pas dépendre du bon vouloir de Kitsunes. La Fermière Générale fit quelques pas en direction de la porte de cave menant au labyrinthe proprement dit.

-Et c'est ici que ces jeunes gens se sont entraînés ?

Elle en frissonne.

-C'est abominablement dangereux ! Je vous ai confié leurs vies !

-Et nous avons veillé sur eux. Ils n'ont pas dépassé le troisième sous-sol où les adversaires ont un niveau compris entre 3 et 5.

En fin de compte, maintenant qu'il est éveillé le Donjon gagne des étages rapidement mais les gains seront de plus en plus lents au fur et à mesure que la profondeur maximale s'approchera. Dans le même temps, les niveaux des monstres chutent jusqu'à leur valeur normale. Un Donjon en sommeil a tendance à produire des monstres plus puissants pour pouvoir se réveiller.

-Comment ont-ils pu atteindre un niveau 7 en affrontant des menaces aussi faibles ?

-†En se faisant déborder huit à dix fois par expédition. Des hordes innombrables de créatures abominables ayant faim de chair et soif de sang !†

-Sans compter nos propres entraînements à l'extérieur du Donjon.¬ Ils ne pénètrent ici qu'un jour sur trois.¬

-Les monstres sont donc plus redoutables quand on plonge plus profondément ?

-Oui, c'est dans la nature des Donjons. Heureusement, il existe un système de raccourcis : au niveau de l'entrée principale du Donjon se trouve un ensemble d'escaliers en spirales reliant les étages entre eux. Si on arrive assez bas, on peut remonter tous les étages sans faire d'affrontements et si on est assez puissant on peut se passer de combattre les adversaires des premiers étages pour tenter sa chance plus bas.

-†Mais nous avons toujours quelqu'un avec les apprentis pour les décourager à plonger dans les abîmes de douleur dans notre dos ! Je ne laisserai personne d'autre que moi devenir maître du Donjon !†

-Hein ?!

-Excusez mademoiselle De la Vallière.¬ Nous gardons un œil sur les apprentis et nos meilleurs guerriers gardent un œil sur les niveaux les plus profonds.¬

-Nous gardons aussi les butins de monstre.

-Oh !

Je reconnaît ces yeux remplis d'étoiles. De pièces de monnaie dans son cas.

-N'espérez rien d'autre que des bouts de métal tordus et des bouts de monstre de mauvaise qualité. Le Donjon est resté dormant des années après tout.

-Dommage... Mais il pourrait m'être utile.

Nous y voilà.

-Je vous enverrai vingt personnes pour la prochaine fournée d'apprentis.

-J'ai dit qu'on ne peut accueillir...

-Vous n'aurez pas à vous occuper des dix autres. Il s'agit de niveaux 10 à 15. Des mercenaires dignes de confiance que m'envoie Claudius mais qui n'ont pas l'habitude des combats contre des monstres...

-Comment ils peuvent attendre un tel niveau sans affronter de monstres ?¬

-Ils ont passé beaucoup de temps à se battre entre pays voisins. Ce sont des humains.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire VladPopof ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0