Chapitre 77 : Voyage (presque) tout confort.

6 minutes de lecture

C'est la première fois que je vois l'intérieur d'une calèche. C'est comme si des coussins avaient été cousus sur tout le bois, rendant le compartiment à la fois sûr et confortable. On est aussi bien plus haut que dans un chariot normal, sans parler de la suspension complexe absorbant les chocs les plus violents. On est quatre à être assis dans la calèche. On ne peut pas être davantage d'ailleurs : plus que des bancs c'est presque quatre sièges indépendants, la faute à des dossiers profonds englobant le dos. Deux semblent récents d'ailleurs. Il y a une petite table centrale mais je pense qu'on ne peut y manger qu'une fois à l'arrêt.

Étant le seul homme à bord, je me sent un peu gêné.

Face à moi se trouve Isabella Ricci, à ma droite Frederica et une milicienne anonyme aux côtés de sa patronne. Je ne suis pas dans le sens de la marche et ça me fait bizarre de voir le panorama s'éloigner de moi tout en progressant.

-Vous avez marché depuis le début du voyage !?

Elle en as le souffle coupe. En quoi c'est étrange ?

-En fait, je marche depuis que j'ai quitté le fortin. Le rythme d'un chariot est plus ou moins celui d'une marche rapide, rien d'insurmontable.

-Hormis dame Zanathi et Kahlee, nous avons tous voyagé ainsi dame Ricci. Personne dans la forêt. Un village est en vue, je vais vérifier avec ces messieurs !

Möngke s'amuse comme une petite folle à alterner entre ses participation à la discussion de la calèche par les fenêtres ouvertes et les vérification de sécurité au sein de la cavalerie Ushi. Rada, enfin tranquille, vole paisiblement en cercle autour du convoi.

Terros, lui, est en train de me rendre fou.

Je ne sait pas ce qui lui a pris mais depuis le départ il passe son temps à s'agripper à un endroit de la calèche, la lâche, puis tente sa chance ailleurs. Je l'ai même entendu fourrager parmi les valises de la Fermière sans qu'elle ne soit troublée.

Mais qu'est ce qu'il fiche à la fin !

-Vous êtes donc venus tous les six. C'est parfait.

-Tous les huit en fait.

-Oh ? Quels sont les deux compagnons que je n'ai pas encore vus ?

-Croc et Griffe. Ils sont dans le chariot avec mes mages.

Si personne n'avait l'air gêné par les agissements de l'ours, mes mots par contre jettent un froid.

-Les... les monstres ? Ils sont dans le convoi ?

-Cocher ! Ralentissez et placez-nous le long du chariot suivant !

Suite à l'ordre de Frederica, la calèche se déplace un peu et ralentis doucement, faisant apparaître le chariot des vieux Kitsune sur sa droite.

-B'jour M'dmoiselle Ricci !

-Oh ? Y a t'il le moindre soucis ?

-Surtout restez calme... Y a t'il deux... animaux... a bord ?

-Oui. Ils sont charmants et très propres.

-D'braves p'tits oui ! J'me d'mande comment il les as apprivoisés ! Har har har !

-Puis-je les voir ?

Sans avoir besoin de se faire prier davantage, Croc et Griffe sautent hors de l'arrière du chariot et escaladent les petits vieux, le louveteau s'installant sur le chapeau de paille de l'homme et le renardeau sur le châle de la femme. Ils jappent joyeusement, amusés par les mouvements incessants qui, moi, me donnent plus un certain malaise.

Isabella et sa suite restent interdits un certain moment avant de faire pivoter leurs regards vers moi.

-Ben oui ! J'ai dit que je les avais trouvés trop mignons ! J'ai retiré leur Mana Corrompu et... Terros !

L'ours vient d'ouvrir la porte de la calèche de mon côté, reniflant en tout sens. Soudain, il se fige, se tourne vers moi et s’accroupit jusqu'à mes genoux.

-Bon sang ! Qu'est ce que tu fais !

Il n'en a pas après moi, tapant du poing sur le banc.

-Hihihihi...

Ce rire me glace l'échine.

-Quel flair ! Je me demandais s'il allait finir par la trouver.

-Dame Ricci... Ne me dites pas que je suis assis...

-Il faut apprendre le respect de l'autorité. J'espère bien la redresser un peu avant l'arrivée à Animanum...

Ce sourire me fait me poser une question : souhaite-t-elle vraiment soigner le masochisme de sa suivante ou veut-elle en tirer profit pour assouvir ses envies ?

Nous avons enfin quitté la zone couverte par Jardin Bleu et pénétrons dans une autre Ferme, celle des Pentes Noires. Rien de glauque au demeurant : un simple regard par la fenêtre m'informe de la présence de nombreuses vignes alignées sur les versants des collines. Les raisons sombres ont donné le nom à la Ferme.

Je suis intrigué.

-Le climat se prête t'il à la culture du raisin ? Il doit faire trop frais et pas assez de soleil, non ?

Isabella Ricci me regarde comme un élève qui a bien répondu à son professeur.

-En fait, nous ne voyageons pas vraiment droit vers le Quadrant Alpha. On a pivoté côté Levant il y a deux jours pour aller en direction de la Mer du Pain.

La Mer du Pain est une vaste étendue d'eau allant jusqu'à près de la moitié du Quadrant Bêta et ayant près d'un cinquième de ses côtes dans le Quadrant Alpha. Comme son nom l'indique, les bateaux y transportent de la nourriture depuis l'aube des temps. Je le sait car ce sont les Kitsunes qui tiennent cette mer, les autres clans les laissant gérer le trafic maritime.

Mais il y a une raison qui fait que je m'inquiète de ce changement de direction.

-Les Nobles Paysans tiennent la mer, non ?

-Leur flotte bloque en effet le trafic maritime entre Ilberstein et la Pierre aux Monstres. Mais c'est plusieurs centaines de kilomètres à surveiller : ils ne peuvent pas venir contrôler ce qui se déroule ailleurs. De plus, un navire nous est déjà affrété.

Frederica m'explique que l'on gagnera plusieurs jours à faire le voyage par la voie maritime : une fois dans le Quadrant Alpha on peut remonter le fleuve jusqu'à Animanum.

Le bâtiment du Conseil à son propre quai.

Je ne sais pas ce qui est le pire : la paranoïa de Ricci ou le fait que le Conseil la partage ?

Huh, minute.

-La pierre aux monstres ?

-C'est le nom d'une île se trouvant au large d'Ilberstein. Très vaste, elle va presque jusqu'au bord Levant. Le détroit entre l'île et le Bord est célèbre pour sa concentration extraordinaire en monstres marins ce qui rend le passage entre le port et la Pierre aux Monstres aussi précieux.

-Il y a un port sur l'île en elle-même ?

Les femmes Kistune se regardent entre elles, un peu crispées. Oui, je sais, je débarque de ma campagne profonde et tout...

Pas la peine d'avoir l'air d'être désolées de m'apprendre quelque chose.

-Ce n'est pas pour rien que cette île se nomme ainsi. C'est une Source de Mana Corrompu.

Bon, d'accord...

J'allais envisager de faire une voie terrestre dans l'île avec un port de chaque côté pour contourner le blocus mais on oublie.

On oublie vite.

Il y a différents types de Sources. Il y en a d'eau au fond des mers, de glace aux sommets des montagnes, de vent dans des canyons... Mais les Sources de Mana Corrompu ne sont ni plus ni moins que des catastrophes naturelles permanentes.

Encore heureux que ce soit sur une île !

Heu...

-Du coup... il n'y a pas une masse de monstres marins dans les environs ?

Je n'ai jamais pris le bateau et faire mon baptême dans une eau grouillant de mâchoires claquantes est une éventualité qui me donne envie de faire prendre du retard au Conseil en faisant un large détour.

-Nous comptons dessus en fait. La flotte d'Ilberstein fait payer le péage des Nobles mais doit en contrepartie assurer la sécurité des navires. Si ils ne le font pas, ils se retrouveront vite avec une flotte de mercenaires face à eux.

-On parle de Kitsunes. Ils auront de la chance s'ils ne trouvent pas leurs bateaux au fond de la rade du port, des trous pleins les coques, après une gueule de bois carabinée au parfum de somnifère.

Nous sourions tous d'un air entendu. Envoyer des gens en tuer d'autres, c'est grossier. Rouler dans la farine et rester assez près pour voir le visage de son adversaire se décomposer, c'est plus notre genre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire VladPopof ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0