Chapitre 79 : Sac non fourni.

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Le Dedalus est normalement utilisé pour chasser les monstres marins, navire amiral au centre d'une flotte entièrement vouée à l'extermination des horreurs nées du Mana Corrompu. Si les Nobles Paysans veulent nuire à Isabella Ricci pendant son voyage, ils devront s'en prendre à lui.

Attaquer les Inquisiteurs, organisme présent presque sur tout l'anneau-monde, est déjà une très mauvaise idée.

Prendre d'assaut le Dedalus n'est une option envisagée que par les fatigués de la vie, même des masochistes au dernier degré réfléchiront à deux fois avant de s'attaquer à ce mastodonte couvert de plaques d'acier, réparations nécessaires suite aux nombreuses batailles auxquelles il a combattu.

-Tant de pointes... slurp...

En parlant de masochiste...

Elle a été envoyée en avant du convoi pour prévenir de l'arrivée imminente de Ricci. Le bateau devra appareiller dès que tout le monde sera à bord. Ce qui risque de prendre du temps vu qu'il faudra m'arracher aux quais.

Je hais l'eau.

Je n'ai rien contre un bain et ne suis pas alcoolique. C'est juste qu'une tentative ridicule d'apprentissage de la nage tout seul dans la rivière de montagne coulant près de Haute-Côte s'était soldée par une demi-noyade.

Je n'ai rien contre l'eau à condition qu'elle coule loin de moi.

On est accueilli au pied du navire par son capitaine, un Hitsuji musclé par rapport à la norme de son clan nommé Galleus. Ses cheveux bouclés dorés et son visage non marqué par le mal du Marbre aurait pu lui permettre un certain succès avec ces dames s'il n'était pas orné de tant de cicatrices. Vu la présence obligatoire de mages de soins dans un tel navire il n'y a donc qu'une seule raison pour laquelle il est tant couturé : il a demandé à ce qu'il en soit ainsi.

Rashmi se tortille sur place en le regardant.

Il va avoir un voyage mouvementé le pauvre.

-Bienvenue dame Ricci. Tout le fret est à bord et nous sommes prêt à charger votre suite ainsi que votre cargaison.

Il est du genre direct.

-Ne vous inquiétez pas, jeune homme, j'ai pour consigne de vous transporter comme des invités, pas des prisonniers. Inutile d'être aussi pâles.

Charmante attention. Mais l'aspect du navire et de son capitaine n'a rien à voir avec mon teint, merci.

Cherchant désespérément à me changer les idées, j'admire le chargement du navire pendant que le reste de ma fine équipe prend ses quartiers à bord. Il y a une grue repliable à l'intérieur de la coque qui permet de charger et de décharger très efficacement. En discutant avec un Neko travaillant à l'opération, il m'apprend que cette grue sert aussi à sortir les butins des monstres marins de l'eau ainsi que les carcasses des navires coulés.

En fait, il y a beaucoup de Nekos ici ! Ils semblent aimer l'idée de travailler près du poisson frais !

Non, je ne cherche pas à penser à autre chose qu'à l'idée de voguer sur un engin pareil !

La vue d'un passager montant sous bonne garde manque de m'étrangler.

Le père d'Isabella !

Il a bien maigri et n'a plus le bon teint que je lui ai vu à la sortie du restaurant mais c'est bien lui !

Il ne me jette même pas un regard, ne sachant sûrement pas que ce Kitsune assis sur un bollard est celui qui a précipité sa chute. Ses habits sont soignés même s'ils n'ont pas la magnificence que je leur ai connu. Ce sont deux autres miliciens qui l'escortent, des hommes qui semblent visiblement dénués de toute forme de sens de l'humour. Je ne les ai pas vu depuis le début du voyage, ils doivent donc le surveiller en permanence.

Il y aura donc au moins un locataire dans le fond de cale pour ce voyage.

Je ne quitte pas le bastingage.

Depuis le début de la traversée, je reste accoudé au bord, face à la mer.

Non, je ne suis pas tombé amoureux du paysage.

-Maître... je... je vais...

-Muuuuuuuhhhh...

Au moins je ne suis pas seul.

Le premier jour on a été nombreux à nourrir les poissons. Maintenant il ne reste plus que nous trois qui ne voulons même pas essayer de rentrer à l'intérieur du navire, ne sachant pas le temps que l'on arriverai à tenir jusqu'à la nausée suivante.

La Compétence Apprentissage ne me sert à rien pour le coup, la résistance au mal de mer ne faisant pas parti du panel de ce que l'on peut apprendre.

Sort de Soin non plus d'ailleurs n'est d'aucune utilité face à ça.

Il paraît qu'il y a des potions qui permettent de ne pas tomber malade dans ce genre de situation.

Je m'y mets dès que je reviens à fort Briseur.

Je créerais cette potion ou je ne quitterai plus jamais les montagnes.

Plus la mer.

Jamais.

Au début, les membres d'équipage se moquaient gentiment de nous. Puis Isabella Ricci s'en est mêlée et leur a rappelés que nous sommes ceux qui sont appelés personnellement par le Conseil. Du coup, ils nous évitent à présent.

Il faut dire qu'on s'est mis dans un coin à l'écart, vers l'avant du navire.

A l'arrière, on sent les odeurs émanant des cuisines.

Jamais autant aimé le vent marin, moi !

Beuh...

Je vois mes points de vie descendre au fur et à mesure de la croisière au large des côtes vers le Quadrant Alpha. Heureusement que tout trois avons un bon stock dans ce domaine, Möngke parce qu'elle est naturellement endurante, Terros et moi grâce à Réserve de Vie.

Ce qui veut dire qu'on peut souffrir plus longtemps.

Est-ce vraiment de la chance ?

En plus de ça on a rattrapé l'hiver ! Je me rappelle vaguement des histoires au sujet de gros blocs de glaces rôdant dans les mers, toujours mêlés de près ou de loin à des histoires de naufrages terribles. Un tel glaçon devrait avoir à expliquer ses mobiles aux magiciens de bord avant d'oser croiser la route du Dedalus.

Je vote pour la pulvérisation.

-Bonjour !

Tiens ? Quelqu'un veut bien nous parler tout en sachant qu'on n'ose pas lui répondre.

-Bon... jour...

Oh, j'arrive à articuler un peu. On s'habitue à tout. Encore quelques mois de voyage et je n'aurai plus le mal de mer.

-Courage, vous n'avez plus que deux jours jusqu'aux lacs !

-Hein ?

Minute, il se passe un truc étrange là... La voix ne vient pas de derrière moi.

Je regarde mieux la mer. Je sais, ce n'est pas encouragé dans ma situation mais la curiosité a pris le dessus.

Quelqu'un nage le long du navire, juste à la bonne vitesse pour rester toujours à sa hauteur. Il le fait couché sur le dos pour pouvoir discuter avec nous. Il est jeune, l'âge de Terros probablement. Je ne sait pas trop à quoi il ressemble : entre les vagues qui le ballotte et les larmes qui me viennent aux yeux, ça fait beaucoup pour brouiller la vue.

-Vous ne venez pas chez moi cette fois-ci ?

-Hein... Chez vous ?

-Oui, il y a de plus en plus de monstres. La flotte d'Ilberstein ne fait pas bien son travail en ce moment...

Ses jambes... Ou plutôt... sa jambe...

-Sirène ?

-Homme-poisson pour les garçons. Normalement c'est triton mais je préfère homme-poisson depuis que je sait que les tritons sont une espèce de lézard.

Il rigole, à l'aise dans cette horreur liquide qui ne cesse de clapoter, bouger et clapoter et...

Il s'écarte vite fait, voyant à mon teint qu'il risquait un autre genre de douche.

-Navré sire... homme-poisson. Mais mon Maître et moi... ne faisons que passer.

-Muh.

Merci de meubler le silence. Je suis dans l'incapacité de parler pour le moment de toute façon.

-Oh ? Une centaure et un ours ! C'est la première fois que j'en vois !

Pas étonnant. Les tritons sont dans la même catégorie : des Yukimimis sauvages. Ils sont très différents par contre dans leur comportement avec les clans disposant de Totems : ouverts, polis, coopératifs, on ne peut compter le nombre de navires perdus dans la brume qu'ils ont ramenés à bon port et de gens passés par-dessus bord sauvés d'une tempête. Il faut dire que leur milieu de vie est dangereux et qu'ils ne peuvent le quitter. Même s'ils comptent de bons guerriers dans leur rangs, ils apprécient la visite des bourrins des terres qui repartent avec des trophées et leur apportent un semblant de paix.

Mais les centaures et ours chassent rarement les monstres aquatiques en pleine mer.

Et la raison en est probablement l'état de mes voisins de bastingage.

-Pouvez-vous nous parler... des monstres ?

-Muh ?

C'est une discussion comme une autre.

-Les Krakens et autres monstres vraiment gros mettent du temps à apparaître et sortent du fond de la mer, loin de nos villages. Le Dedalus leur tombe généralement dessus avant même qu'on apprenne qu'on a ces horreurs dans nos eaux. On l'aime bien le Dedalus ! Je l'aime bien !

Le capitaine a au moins un fan. Sauf si le jeune triton n'aime que le bateau.

-Je m'appelle Quaneo ! Et vous ?

-Mon Maître est sire Alain. Mon compagnon... urps... ours est sire Terros. Mon nom est... Möngke.

-Ils sont bizarres vos noms !

C'est vraiment un gamin. Joueur, il s'approche de la coque avant de se laisser porter par la vague d'étrave.

-Le Dedalus va revenir, dites ? J'en ai assez des Sanguins.

-Qu'est-ce donc sire... Quaneo.

-Ce sont des poissons mutants. Normalement ce sont des Flèches de fond, des poissons délicieux, mais une fois changés en monstres on n'en tire rien, juste des pièces qui coulent au fond une fois qu'on les tue ou des écailles brillantes mais pas utiles...

-Vous nous en voyez... navrés...

Une chose me turlupine.

-Quaneo... vous avez parlé de... villages ?

-Oui, les villages tritons.

-Ils sont... où ?

-Ben, sur la Pierre aux Monstres, pardi !

Ils vivent sur le littoral d'un endroit saturé en Mana Corrompu ! Ils sont courageux...

-Les monstres terrestres sont très méchants mais aussi très bêtes. C'est facile de leur échapper.

Vu leur vitesse de déplacement dans l'eau, il est clair qu'il leur suffit de rester sur le littoral pour être insensible à tout assaut terrestre.

-Pourquoi... ne pas vivre... sur les côtes... Kitsune ?

-A cause de la prophétie, tiens !

-Oh ?

-Oui. Si les tritons continuent de vivre sur la Pierre aux Monstres, la Mère finira par les récompenser.

Ah, ces légendes. J'aime bien celles qui parlent de héros, de lutte contre le mal et tout ça... Mais faire une bêtise pendant des siècles parce qu'une prophétie est censée se réaliser si on le fait, ça justifie tout et n'importe quoi.

Surtout les plus gros bains de sang.

-Möngke ? Ton maître est... bizarre.

-Il est un peu... souffrant.

-Non... Il est... bizarre. Comme s'il était plus grand que sa taille.

Je suis petit.

Atrocement petit.

Merci de secouer la hallebarde dans la plaie.

L'air mystérieux, notre collègue de discussion disparaît dans les profondeurs.

Il n'a pas dit au revoir.

Bah, c'est un Yukimimi sauvage après tout.

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