LE JOUR DES ENFANTS

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LE MERCREDI TYPIQUE se déroulait ainsi : à dix heures Justine emmenait sa mère chez le coiffeur ; à midi elles déjeunaient des œufs Bénédicte et des pancakes chez Jenny ; à quatorze heures elle se séparaient sur la grève ; et de quinze à vingt, Justine préparait ses bombes.
Les bombes n’étaient préparées que le mercredi. C’était le seul jour où Justine se sentait suffisamment calme, apaisée, sa mère lui faisait cet effet-là, le lui avait toujours fait, d’ailleurs, déjà, après le collège, quand elle rentrait de l’école et s’allongeait sur le canapé et trouvait des biscuits et un verre de lait et la main de sa mère qui lui caressait la tête, ses doigts écartés comme il le fallait, et puis sa voix aussi, sa voix qui racontait tout et rien, surtout rien et surtout les disputes de voisinage et les voisines aux chattes mal léchées et aux jardinières mal taillées. La télévision en fond. L’odeur de clope. Sa mère.
Le mercredi, donc, était jour des enfants, et le mercredi on préparait les bombes.

Jusqu’ici, les bombes de Justine n’avaient explosé qu’au milieu de champs vides, et tout au plus avaient-elles soulevé la terre et effrayé les oiseaux et creusé les silences, mais, en ce jeudi six septembre, elles s’apprêtaient à faire leur premier mort.

Le premier mort était ce qu’on appelait un intouchable, un politicien qui avait roulé sa bosse depuis assez d’années pour ne plus avoir à se soucier de trouver un poste dans tel ou tel ministère, souvent celui de la guerre ou de l’éducation, car c’est là que le premier avait fait ses classes. Mais il ne mourrait ni pour les drones lancées sur le Territoire ni pour la destruction de l’ancienne université ni même pour ses notes de frais exorbitantes, non, ce matin-là, K. Perdu allait simplement mourir parce qu’il se pensait intouchable.
L’été dernier, Perdu était rentré de chez sa maitresse dans son S.U.V noir quand il avait percuté Una, petite fille de onze ans avec son bruit reconnaissable de crâne de onze ans contre un pare-chocs de S.U.V. Mais Perdu ne s’était pas arrêté, au contraire, il avait accéléré, car il se pensait intouchable. Et c’est pour cela qu’il allait mourir, ça et parce qu’en conférence de presse il avait simplement haussé les épaules devant cet accident qu’il qualifiait de normal — et de regrettable avait ajouté son assistant.
Deux semaines plus tard, lorsqu’Una se réveilla sur son lit d’hôpital, elle trouva à son chevet sa mère et des montagnes de fleurs, car Perdu, après tout, savait prendre soin de ses assistants, qui eux-mêmes prenaient soin du peuple — ce que Perdu, au chapitre Économie en Temps de Guerre de son autobiographie, avait nommé écoulement des richesses.
En bref, Perdu devait mourir.

La bombe, dissimulée dans l’hebdomadaire colis de lingettes pour bébés de Perdu, explosa à dix-heures trente-sept. Perdu, comme à son habitude, venait alors d’arriver à son bureau et de tremper son croissant dans son café, ce que ses opposants mentionneraient par la suite avec moquerie : jusque dans la mort, on trouverait une chose molle dans la bouche de ce bon vieux K. Perdu. Les opposants, en rond autour de la fontaine à eau, ignoraient encore que des circonstances similaires les attendaient. Heureusement, tout comme Perdu, ils n’entendraient ni les moqueries ni le souffle de l’explosion.

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