Chapitre 5 : L'ombre de soi-même

6 minutes de lecture

Commissariat de Cannes.

La commissaire divisionnaire laissa entrer Élise dans son bureau et referma la porte derrière elle. L’endroit était standard, pas plus de vingt mètres carrés. Sophie Jocelyn tira son fauteuil d’un geste brusque, s’installa et invita Élise à faire de même. Immédiatement, elle alluma sa lampe de banquier verte. Élise avait remarqué, en regardant la pièce avec attention, une certaine touche féminine : le rose dominait à la fois sa petite trousse à crayons, posée devant elle, et son grand pot à fleurs hébergeant un large palmier kentia. Élise appréciait ce point commun avec sa supérieure. Un camion de police miniature, juxtaposant un vieux téléphone fixe, attira le regard de la jeune policière.

Sophie Jocelyn engagea la conversation en anticipant la question.

— C’est à mon fils, ça me remet les pieds sur terre ! Vous apprendrez que l’on peut avoir un métier à responsabilité tout en étant mère de famille. Ce n’est pas facile tous les jours, je vous le concède, admit-elle en touchant l’objet.

Élise laissait son interlocutrice étayer sa réponse. Elle avait pressenti que sa supérieure avait un besoin irrépressible de parler très vite et de passer d’un sujet à un autre. Elle continua à l’écouter, sans l’interrompre, tout en poursuivant ses observations.

Sophie Jocelyn était en uniforme. Elle portait une chemise blanche ornée, de gauche à droite, d'épaulettes à branches de chênes rappelant le grade de l’intéressée. Sur son bras droit figurait l'écusson de la police nationale et sur le sein gauche, le médaillon noir floqué de la silhouette du territoire français. Une cravate et une jupe bleu marine complétaient le chic ensemble. Élise ne put s’empêcher de faire une moue, elle détestait porter l’uniforme. Elle désirait pouvoir garder sa tenue civile pour pouvoir travailler au sein de ce commissariat. Même si elle trouvait que sa supérieure portait très bien la panoplie pour une quinquagénaire, elle était d’une élégance rare.

La commissaire divisionnaire arrêta son monologue quand elle remarqua la grimace de sa subordonnée.

— Qu’est-ce qu’il vous arrive Delarosa ? questionna-t-elle en attrapant son téléphone.

— Rien du tout Madame, tout va bien, je me demandais juste si je devais porter l’unif...

— Non, non, non ! Je vais à une cérémonie après notre entrevue, un truc barbant, je vous fais grâce des détails.

Elle fut prise d’un petit rire, contente de sa plaisanterie, avant de se reprendre aussitôt.

— Revenons à nos moutons, en espérant pouvoir encore les compter ! Nous avons besoin de vous dans notre commissariat, j’aime les meilleurs c’est pour ça que vous êtes là, déclara-t-elle, le combiné toujours à l’oreille.

Au même moment, son interlocuteur répondit enfin au téléphone.

— Boissier ! Dans mon bureau ! cria-t-elle.

Élise eut un léger sursaut de surprise. Elle se rajusta sur son siège en toussotant.

— Ça y est, je vous fais peur, je vous fais peur Delarosa. Aucune place pour ce sentiment ici, s’emporta-t-elle en tapant deux fois du poing sur le bureau.

— Bien entendu Madame la commissaire.

La jeune femme avait acquiescé à contre-cœur mais sa pensée était tout autre : la peur c'est ce qui empêche de faire des conneries

— Bien, nous sommes sur la même longueur d’onde, reprit calmement la supérieure en souriant.

Sophie Jocelyn était une femme à poigne et elle le prouvait encore. Elle occupait son poste à Cannes depuis deux ans, avec environ une centaine de personnes sous ses ordres. Elle était entrée dans la police à l’âge de vingt-cinq ans et avait gravi les échelons un à un, forçant le respect de sa hiérarchie et de ses pairs, masculins en grande majorité. Elle avait su s’imposer grâce à sa capacité d’analyse, son calme et son sens de la négociation. Son rapport avec les hommes n’était pas frontal, elle avait gagné leur respect autrement et désormais, tout le monde la tenait en estime.

Tout en attrapant une chemise dans son tiroir, la commissaire divisionnaire continuait à parler.

— Je connais votre dossier et ce qui est arrivé à votre sœur. J’en suis désolée croyez-moi. Mais il est préférable d'éviter les vagues ici. Me suis-je bien fait comprendre ? insista-t-elle en posant le fichier sur la table. Il est temps de vous tourner vers l'avenir. Nous avons, actuellement, un tas d'affaires à résoudre et de nombreuses victimes qui ont besoin de notre aide, poursuivit-elle, avec un ton plus ferme, en se levant de sa chaise.

Élise ne broncha pas. Elle savait qu’elle avait sûrement été découverte lors de ses recherches personnelles dans son ancien commissariat. La trentenaire masqua sa contrariété et hocha une nouvelle fois la tête en fermant les yeux.

À cet instant, quelqu’un frappa à la porte et entra sans attendre de réponse. C’était Filip Boissier.

— Ah ! Boissier, entrez donc ! intima la commissaire Jocelyn. Voici un de mes meilleurs éléments, Delarosa ; il vous sera d’une grande aide.

Le lieutenant Boissier avait à peine franchi le pas de la porte, ce qui força Élise à se retourner.

— Oui, on s’est déjà rencontrés dans le hall, un face à face quelque peu déconcertant je dois dire, avoua Élise , non sans lui adresser un regard malicieux.

— Ne vous fiez pas aux apparences Delarosa, il a l’air un peu simplet au premier abord, mais c’est un excellent flic, avec un flair digne d’un Saint-Hubert ! plaisanta la supérieure.

Élise et Filip échangèrent un regard interrogateur. L'homme cligna une fois des yeux pour lui signifier qu’il avait l’habitude.

Lorsqu’une nouvelle fois la jeune femme se retourna pour fixer sa supérieure, le commissaire divisionnaire ramassait le reste de son uniforme : sa casquette et sa veste.

— Je vous taquine, bien sûr, Boissier ! Montrez-lui son bureau et expliquez-lui les affaires en cours. Commencez par le gala de ce soir, mettez la au parfum ! ordonna-t-elle, tandis qu'elle peinait à enfiler sa veste.

— Bien, Madame la commissaire divisionnaire, rétorqua Boissier en se plaçant devant la jeune femme.

L'inspecteur pivota sur ses talons pour laisser passer Sophie Jocelyn et tendit son bras droit pour indiquer à Élise le chemin.

— Et fermez mon bureau à clé en partant ! s’égosilla la quinquagénaire dans le couloir, trop en retard pour le faire elle-même.

Filip et Élise quittèrent calmement les lieux et se dirigèrent vers la pièce d’à côté. L’inspecteur fouilla dans la poche avant-gauche de sa veste pour trouver les clés tout en soufflant. Visiblement la tâche le blasait.

— Et voilà, sésame ouvre-toi ! lança-t-il fièrement en poussant lentement la porte.

Les deux policiers entrèrent dans la pièce qui paraissait plus exiguë que la précédente.

— Ce n’est pas le Ritz mais je suis sûr que vous allez vous sentir bien.

La commissaire lui sourit timidement sans dire un mot. Elle préférait observer son nouveau cocon.

— Je vous remercie , Boissier, vous pouvez me laisser, j’ai besoin de prendre mes marques, demanda-t-elle tout en glissant sa main sur le bout de son bureau.

— Yes aye Cheffe, s’emporta le jeune homme, l'air amusé.

Se rendant compte de son erreur, il la rectifia immédiatement en effaçant son sourire.

— Heu, oui cheffe, se reprit-il en se raclant la gorge deux fois. Mon bureau est au fond du couloir à droite si vous avez besoin. Venez y faire un tour, je vous présenterai le reste de l’équipe. Nous parlerons de la cérémonie de ce soir également.

— Je passerai tout à l’heure, merci.

Filip acquiesça, pencha légèrement sa tête sur la droite et pointa son index en direction de sa chef, puis quitta la pièce.

Une fois seule, Élise se dirigea derrière son bureau. Elle s’assit un instant et joignit ses deux poings devant elle en les collant à sa tête légèrement baissée.

Mais qu’est-ce que je fais là.

Ses pensées furent interrompues quasi immédiatement par une vibration qui provenait de son bureau. Intriguée par ce bruit, Élise se redressa et chercha l'origine de ce son. Elle tâta sa poche pour vérifier si c’était son portable. Rien. Au bout de quelques secondes, la tête penchée, elle repéra l’origine de la secousse : elle venait de son tiroir gauche. Avec impatience, elle tira sur la poignée pour l’ouvrir. Contre toute attente, les vibrations provenaient d'un dictaphone, visiblement trafiqué, posé sur un dossier de police marron. Élise attrapa l'objet et appuya machinalement sur le bouton play. L’enregistrement commençait par des grésillements, se poursuivait par une manipulation de recherche de fréquence puis se terminait par une voix saccadée et étouffée par les crépitements qui projetait des mots incompréhensibles : rehcrehc em sneiv, iom enèmar, etnaviv sius eJ, rehcrehc em sneiv, iom enèmar, etnaviv sius eJ, rehcrehc em sneiv, iom enèmar, etnaviv sius eJ.

L’allocution durait trois secondes. Élise, la main crispée sur l’appareil, réfléchit quelques minutes. Une intuition la traversa. Elle pressa cette fois-ci le bouton pour lire à l’envers le message. Et ce qu’elle découvrit lui glaça le sang.

Annotations

Vous aimez lire leo stem ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0