Chapitre 9 :

7 minutes de lecture

12 juillet 2021

Kasper :

Mon cœur bat trop vite lorsque je croise le regard de Silas. C'est à la fois perturbant et effrayant alors, j'évite au maximum de le regarder. Ce qui ne l'empêche pas de me fixer avec intérêt chaque fois qu'il se tourne vers moi.
Nous progressons lentement à travers le camping, tenant un écart d'un mètre entre l'un et l'autre. Je remercie cette distance ; je le remercie lui, d'avoir initié l'espace. Cela empêche les effleurements inattendus et me permet de respirer presque convenablement. L'air est étouffant aujourd'hui, mon polo me colle à la peau, à cela s'ajoute mon malaise grandissant et la présence envahissante de l'employé qui m'oblige à relever la tête pour le regarder lorsque cela est nécessaire. J'apprécie le fait d'être plus petit que lui, c'est moins embarrassant lorsque j'évite de croiser le vert d'eau de ses yeux. Comme si, ma taille était l'excuse parfaite pour ne pas tenir le contact visuel.

— Que veux-tu faire désormais ? me demande-t-il lorsqu'on s'approche de l'entrée de la forêt.

Mes doigts se crispent autour de mon livre, ainsi que du paquet qui contient les restes de notre repas. Je n'ai jamais mis les pieds plus loin que l'orée du bois et je ne suis pas certain d'avoir envie de m'enfoncer au milieu d'un alignement d'arbres et de l'obscurité créée par le feuillage de ces derniers.

— Je ne..., je ne sais pas, c'est toi le professeur, murmuré-je en tentant de paraître moins ridicule que je ne le suis.

Ses iris échauffent ma peau lorsqu'ils se posent sur moi, comme si, sous mon épiderme, des étincelles crépitaient pour enflammer mon sang jusqu'à la combustion spontanée.

— Pas faux, s'amuse-t-il, dans ce cas, tu me laisses gérer les opérations ?

— Les... opérations ?

— Oui ! Je peux t'emmèner où je veux, pour faire ce que je veux, sans que tu protestes ?

Je m'immobilise, le cœur battant à tout rompre.
Qu'est-ce que ça signifie, au juste ?
Les yeux ronds, je relève la tête pour l'observer avec méfiance. J'ignore ce qu'il entend par là et je refuse d'être un pantin tiré aux quatre coins du camping, mais cela, je n'oserai jamais lui dire. Je ne sais pas m'imposer, encore moins me montrer bavard pour laisser filer le fond de ma pensée. Je suis certain qu'il pourrait faire ce qu'il veut de moi, même si cela ne me plaît pas, juste parce que je ne parviendrai pas à me défendre. Fuir, ça c'est dans mes cordes, et je songe rapidement à prendre mes jambes à mon cou pour ne jamais plus croiser sa route.

— Dans la limite du raisonnable ! ajoute-t-il prestement lorsque mon visage horrifié lui fait face. Je ne suis pas un monstre, Kasper, je ne mords pas.

Mes yeux se ferment un instant alors que j'essaie tant bien que mal de respirer correctement. L'air me brûle la cage thoracique lorsqu'il pénètre mes lèvres entrouvertes. La bouche sèche, je ne parviens pas à déglutir pour faire disparaître l'énorme nœud qui s'est installé dans ma gorge.

— Je rigolais, continue-t-il face à mon manque de réactions. Je ne t'obligerai jamais à faire une chose que tu ne désires pas. Je ne souhaite pas t'effrayer, juste t'aider à passer de bonnes vacances.

Mes paupières s'ouvrent à nouveau, pour percuter avec violence le regard désolé de Silas qui s'est approché de moi, à tel point que sa respiration effleure mon visage. Un creux se forme dans mon estomac et je fais un pas en arrière pour m'échapper de cette prison de souffles chauds.

— Détends-toi, murmure-t-il sans lâcher mon regard. Excuse-moi, ce n'était pas fort malin de dire une chose pareille.

Je hoche la tête, avec lenteur, tandis qu'il m'offre un sourire penaud.

— Ok, on va reprendre depuis le début. Je réitère donc ma question : que veux-tu faire, Kasper ?

— Euh... on pourrait... hum, je ne sais pas, soupiré-je. J'ai aucune idée de ce que font les gens pour... passer le temps.

Il me fixe un moment, jusqu'à hocher la tête puis sourire encore. Il ne fait que ça, c'est étrange et presque trop pour être sincère.

— On va juste se promener, aujourd'hui, d'accord ? De toute façon, il est trop tard pour que l'on commence une activité, je prends mon service à 19h30.

— Oui, approuvé-je, ça me va.

— Super ! s'exclame-t-il. Viens, je connais l'endroit parfait pour toi !

Il lève le bras pour attraper mon poignet mais s'immobilise avant d'entrer en contact avec moi. Sa main est à quelques centimètres de la mienne, je la fixe, tandis qu'il jauge ma réaction. Finalement, il se réfrène complètement en ramenant lentement son bras le long de son corps et se détourne pour que je le suive.
En silence, j'évolue derrière lui tout en retenant mes pensées qui s'éveillent durement lorsqu'il passe l'entrée de la forêt.
Ça va aller, Kas, tout va bien se passer.

Nous évitons plusieurs groupes de campeurs, passons devant le parcours d'accrobranche et le tir à l'arc, jusqu'à nous enfoncer de plus en plus entre les arbres qui se multiplient autour de nous. Mes doigts tremblent toujours, tandis que mes jambes flageolent à plusieurs reprises.
Après plusieurs minutes, nous nous arrêtons enfin. Silas soupire de satisfaction et se positionne face à moi.

— Il n'y a jamais personne qui vient ici, m'informe-t-il, c'est le lieu idéal pour toi et ton livre ! Tu en penses quoi ?

Il tend une main vers l'arrière et me laisse le champs libre pour que je puisse étudier les environs. Les arbres forment un cercle autour de nous, laissant au centre un espace de plusieurs mètres sans végétation à l'exception d'une poignées de fleurs sur une herbe verdoyante. Au milieu, trois énormes rochers sont disposés, comme un banc de pierre qui n'attend qu'à être utilisé. Le soleil se fraie un chemin entre les feuilles et illumine l'endroit, semblable à un luminaire suspendu dans les airs. C'est beau, et calme. Seuls le chant des oiseaux et le vent qui s'engouffre entre les branches viennent briser le silence. C'est apaisant, réellement agréable.

— Ouah..., soufflé-je, c'est incroyable.

— Je trouve aussi, répond-il avec satisfaction. J'ai atterri ici par hasard, l'année dernière, alors que je me promenais. Je suis revenu très souvent et je n'ai jamais croisé qui que ce soit.

Je tends mon livre à Silas, qui le récupère en me souriant puis lentement, j'avance vers les rochers que je caresse du bout des doigts. Ils sont recouverts d'une mousse qui adoucie légèrement la rudesse de la pierre. Alors que j'examine avec intérêt ce qu'il se trouve autour de moi, je constate que mon cœur bat calmement et que ma respiration est légère. Mon corps entier est détendu, l'envie de sourire me chatouille les lèvres et c'est ce que je fais lorsque je me tourne vers mon guide qui feuillette les pages du bouquin que je lui ai confié. Je profite que son attention soit portée sur autre chose pour le détailler avec un peu plus d'insistance. Tête baissée, ses mèches brunes tombent sur son front et recouvrent presque ses iris vert pâle. Ses sourcils sont légèrement froncés alors qu'il lit en mordant sa lèvre inférieure. Mon apaisement n'est que de courte durée et mes joues s'enflamment brusquement à l'instant où je prends conscience que je le fixe depuis trop longtemps. Je me sens désormais mal à l'aise et mes mains deviennent moites, pourtant, Silas est toujours plongé dans sa lecture. Je me racle la gorge, prends place sur un rocher et évite le plus possible de le regarder.
Il vient s'installer près de moi, après quelques minutes. Nous observons l'horizon face à nous, en silence, jusqu'à ce qu'il dépose mon livre sur mes genoux. Mes doigts se referment brusquement, à tel point que mes ongles abîment ma paume.

— Est-ce que tu reviendras, ici ? s'enquiert-il.

— J'aimerais... mais je ne suis pas certain de réussir à me... repérer dans la forêt.

— Ce n'est pas compliqué, je t'aiderai à ne pas te perdre. Alors, tu aimes ?

J'acquiesce, sachant parfaitement qu'il m'observe puisque son regard me transperce. Mes yeux voyagent entre les arbres, se posent sur les pétales colorés des fleurs qui ornent le sol, puis enfin, je lève la tête pour admirer le ciel entre les feuillages.

— C'est étonnant, murmuré-je, on n'entend pas du tout le bruit du camping.

— C'est pour cette raison que j'apprécie venir ici, après une longue journée de travail. C'est paisible, comme si on était ailleurs sans vraiment partir.

Je trouve son regard après avoir inspiré longuement. Ses yeux fouillent les miens et font accélérer mon rythme cardiaque, créant en moi une sensation d'oppression. Je sens la chaleur se répandre sur mon visage, mais pour une fois, je ne m'en formalise pas. Le calme environnant me donne l'impression que rien ne peut m'atteindre, pas même ce regard trop vert qui ne quitte pas le mien.

— Ce n'est pas top, pour lire ? demande-t-il après un long silence.

— Si... vraiment top, approuvé-je en un soupir.

Sa tête s'incline légèrement, tandis qu'un sourire étire ses lèvres. Je me surprends à lui rendre, instinctivement, naturellement et mon esprit s'embrouille face à cette facilité à communiquer sans avoir à parler.

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