Chapitre 10 :

6 minutes de lecture

14 juillet 2021, début de soirée.

Silas :

Un plateau à la main, je zigzague entre les tables de la terrasse pour servir leur boisson aux consommateurs assoiffés. Je préfère être derrière le bar, mais ce soir, il y a tellement de monde que le patron m'a prié d'attraper mon carnet afin de prendre les commandes pour ne pas qu'un troupeau se forme au comptoir.
Le soleil commence à baisser et un léger vent vient chatouiller mon visage. Les orages prévus pour deux jours plus tôt n'ont finalement pas éclaté, mais je ne serai pas étonné qu'ils arrivent cette nuit. Les températures ont été élevées, le vent souffle plus qu'à l'accoutumé et le ciel est parsemé de quelques épais nuages.

Un sourire aux lèvres, je dépose les verres sous le nez des vacanciers qui me remercient pour la plupart d'un hochement de tête.
Cela fait une heure que j'évite de jeter des coups d'œil appuyés à la table qu'occupe Marco accompagné de la famille Price au grand complet. Ce n'est pas l'envie qui manque, simplement mon professionnalisme qui me rappelle à l'ordre. J'ai discrètement observé Kasper lorsqu'ils sont arrivés, j'ai détaillé la tenue qu'il porte, différente de cette qu'il avait lorsque nous étions ensemble cet après-midi. Il est d'une beauté qui m'aveugle et mon cerveau a fait tinter une sonnette d'alarme, me rappelant que le moment de flâner n'est pas encore arrivé. Alors, je fais tout pour ne pas être distrait par sa présence, pourtant, j'ai bien remarqué sa gêne et sa timidité qui refont surface à l'instant où quelqu'un s'adresse à lui. C'est étrange, même entouré de sa famille, il se renferme dès que l'attention est braquée sur lui. J'aimerais savoir ce qu'il se passe dans sa petite tête, au-delà de ses joues rougies et de ses lèvres pincées, cela doit être un énorme vacarme.

— Tiens, encore trois, dis-je à Thonyo en secouant les billets de commandes. Tu peux me sortir une bouteille d'eau, je te la paierai plus tard, pas le temps.

Le barman ne semble absolument pas perturbé par la file interminable qui s'est formée devant son comptoir, sûrement parce qu'il a travaillé dans une des plus grosses boites de nuit du coin. Rien ne peut être pire qu'une tonne de jeunes avec un verre de trop dans le nez. Pour lui, les soirées comme la nôtre, c'est un jeu d'enfant.

— Pas besoin, c'est pour moi.

Je lui souris de toutes mes dents avant d'avaler la moitié de la bouteille qu'il m'a presque mis dans la bouche. Le liquide glacé est désagréable lorsqu'il parcourt ma gorge mais j'étais sur le point de mourir de soif, sans aucune exagération.

— Je crois que Marco te cherche, m'informe-t-il en pointant sa table d'un geste du menton.

— Vite que ça se termine, bougonné-je, j'adore mon job mais là, il me faudrait des rollers parce que je vais me coltiner des ampoules horribles aux pieds à force d'arpenter la terrasse.

— Tu n'as qu'à glisser l'idée au patron entre deux commandes, se moque-t-il tout en préparant des cocktails trop colorés pour être bons.

Je soupire en empoignant mon plateau, passant ma main libre sur mon front pour rabattre mes cheveux vers l'arrière. Une fois les verres servis, je me place face à la table des Price, un sourire enjôleur aux lèvres. Mon regard voyage entre toutes les personnes instalées, s'attarde quelques secondes de plus sur Kasper qui fixe son assiette presque pleine, puis s'ancre à celui de Marco.

— Que puis-je pour vous ? demandé-je d'un ton enjoué.

— Tu as l'air en forme ! me complimente-t-il. Continue sur cette lancée.

— Toujours patron !

— Lèche bottes, se fait entendre une voix que je reconnais immédiatement.

— Mais enfin, Milla ! gronde son père. Quelles sont tes manières ?

Amusé, je lui jette un regard rieur tandis qu'elle sourit en coin. Kate, assise à sa droite, lui assène une petite tape sur le bras pour la réprimander.

— Tu m'as l'air encore de très bonne humeur, Salamèche.

Ses yeux s'arrondissent, puis deviennent sévères lorsqu'elle les relève vers moi.

— Et Pikachu alors, ronchonne-t-elle, tu as dis que tu aimais bien alors appelle-le lui comme ça, mais moi c'est juste Milla.

— Ferme-la ! grogne Kasper en râlant ensuite des propos inintelligibles.

Mon attention se pose sur lui, ses joues sont écarlates tandis qu'il fait en sorte de ne pas me regarder. Jouant avec sa nourriture, il écrase ses légumes du dos de la fourchette tout en se cachant derrière son bras. Cette vision est à la fois triste et attendrissante.
Finalement, c'est Madison qui, dans l'incompréhension totale, passe sa commande en première. Je fais le tour de la table, griffonnant sur mon calepin les boissons demandées jusqu'à ce que le tour de Kasper arrive enfin. Il garde sa tête bien basse, toujours ailleurs et en même temps bien présent pour analyser ce qui se déroule autour de lui.

— Et toi, Kas ? demandé-je tout doucement. Que veux-tu ?

Lentement, son bras disparaît et son menton se lève dans ma direction. J'ignore si c'est le fait de l'appeler ainsi pour la première fois ou si c'est le ton que j'ai employé pour le faire mais ses yeux se rivent aux miens. Sa peau est toujours aussi colorée et ses lèvres tremblent très légèrement. Pendant quelques secondes, il ne réagit pas, se contente de me jauger et les heures passées avec lui plus tôt dans la journée s'imposent dans mon esprit. Nous n'avons rien fait de spécial, nous sommes simplement retournés dans la forêt pour discuter de tout et de rien, enfin, j'ai raconté plein de choses tandis que lui m'écoutait en faisant quelques commentaires de temps à autre.
Je l'observe avec intérêt, attendant patiemment qu'il me dise ce qu'il souhaite boire. Je ne le brusque pas, non, je le laisse aller à son rythme, quitte à me mettre le reste des vacanciers à dos. Il y a trop de paires d'yeux braqués sur lui, et bien que ce soit ses proches, je remarque sans mal son malaise.
Suspendu à son visage, je sens mon cœur s'emballer lorsqu'un coup de tonnerre retentit et que ses iris se mettent à briller de larmes. Un sursaut le secoue et ses lèvres s'entrouvrent, tremblantes, il me fixe désespérément. Les orages sans pluies sont probablement les pires et j'imagine à quel point il doit être apeuré dans l'instant.

— De la batterie, articulé-je à voix basse, c'est juste de la musique.

Un éclair illumine brusquement le ciel, suivi rapidement d'un second grondement tonitruant. Ses yeux ne lâchent pas les miens et j'aimerais le rassurer, mais son entourage ne comprendrait pas, de plus, je ne suis pas certain que c'est ce qu'il souhaite. Dans ma poitrine, mon palpitant s'acharne et j'ignore pourquoi. Je n'ai plus peur de l'orage depuis des années, même si je lui ai assuré le contraire, alors, je ne comprends pas pourquoi tout à coup, mon corps réagit si brutalement.

— On ferait mieux de rentrer, s'exclame Harry, la pluie ne devrait pas tarder à nous tomber dessus.

Autour de moi, les Price s'activent pourtant Kas ne bouge toujours pas, comme s'il était en état de choc.

— Viens Milla, l'interpelle sa mère, le vent se lève.

— Je vais devoir vous laisser, déclare Marco à contrecœur, j'ai des consignes à donner. Silas, je vous attends dans mon bureau dans dix minutes, préviens ceux qui sont ici, je m'occupe des employés de l'autre coté du camping.

— Très bien, réponds-je sans pour autant dévier mon regard du blondinet terrifié.

Les yeux de ce dernier s'écarquillent davantage alors qu'il peine à respirer. Son souffle est saccadé et ses doigts crispés sur le tissu de son pantalon.

— Kas..., chuchoté-je en me baissant un peu vers lui. Est-ce que ça va ?

Ses lèvres s'écartent à nouveau, puis son visage s'approche presque imperceptiblement du mien. Je m'en aperçois uniquement parce que le son de sa respiration chaotique atteint mes oreilles avec un peu plus d'intensité.

— De la... de la batterie, couine-t-il en déglutissant.

— Oui ! m'empressé-je de répondre. Le concert du ciel. Rappelle-toi, nous sommes des privilégiés.

Il hoche lentement la tête tandis qu'une larme roule sur sa joue. Je n'ai pas le temps de réagir que sa sœur s'approche très vite de lui. Kate enroule ses bras autour de Kasper et le fait se relever à la hâte.

— Allez, Kas, on rentre, dit-elle en l'emportant avec elle, puis se tourne vers moi. Merci !

J'acquiesce, ne sachant quoi dire, ne sachant même pas s'il est judicieux d'ajouter quelque chose. Le tonnerre gronde alors que je fixe les Price s'éloigner rapidement. Mon regard ne quitte pas le dos de Kasper, pourtant, autour de moi tous se mettent en mouvement et la pluie commence à tomber, imbibant déjà mes vêtements. C'est dès lors qu'il quitte mon champ de vision que je réagis. Marco nous attend, je dois m'activer.

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