Chapitre 11 :

7 minutes de lecture

15 juillet 2021

Kasper :

Un remue-ménage provenant du salon me force à ouvrir les yeux. Le regard rivé vers le plafond, un mal de crâne m'assaille et me fait grimacer. Je suis fatigué ; éreinté d'avoir passé de longues heures, les écouteurs enfoncés dans les oreilles dans l'unique but de ne pas entendre le tonnerre gronder. Je n'arrive pas à dormir lorsque j'écoute la musique, mais mon état aurait été bien pire ce matin si je m'étais contenté de laisser passer l'orage en me crispant douloureusement à chaque fracas tonitruant. Je n'ai même pas tenté de bouquiner. Mon esprit alourdi de terreur n'était pas apte à se focaliser sur les mots.
À tâtons, je cherche mon téléphone, alors que le boucan de l'autre coté de la cloison me dérange grandement.
9h30.
C'est la première fois depuis que nous sommes ici que je me réveille si tard. En soupirant, je lis rapidement les messages qui m'attendent puis y réponds brièvement avant de me lever et de quitter ma chambre d'un pas traînant.

— Bon sang, mais que se passe-t-il ? demandé-je d'une voix ensomeillée.

Kate est la première à se tourner vers moi. Elle enjambe le mètre qui nous sépare et embrasse mes cheveux tout en me frottant énergiquement le dos.

— Tu as réussi à dormir ?

— Pas vraiment, soupiré-je. Pourquoi il y a tant de bruit ?

— Ce n'est rien, ne t'inquiète pas. Le vent a beaucoup soufflé et a causé quelques dégâts sur la terrasse mais rien de bien méchant. Papa est avec un employé à l'extérieur, ils arrangent tout cela.

— C'est ici que j'entendais remuer, pas dehors.

— Oh, oui, s'amuse-t-elle. C'est maman qui tente de s'occuper. Tu sais comment elle est quand elle angoisse, il faut à tout prix qu'elle fasse quelque chose de ses mains !

— Hum..., grogné-je en me frottant les yeux, elle m'a réveillé.

— Elle nous a tous réveillés, rectifie-t-elle en pointant Milla du doigt.

Cette dernière à la tête contre la table du salon, la joue écrasée contre le bois et les yeux à demi fermés. Elle n'a pas meilleure mine que moi, et cela me réconforte un peu. La seule qui rayonne, c'est Kate, comme toujours. Éblouissante dans chaque situation.

— Kas ! s'exclame maman lorsqu'elle m'aperçoit. Tu es debout, parfait. Je te prépare ton petit-déjeuner.

Ma grande sœur pouffe de rire en me gratifiant d'un sourire complice, puis se dirige vers Milla pour la secouer doucement. Elle râle et peste un peu, puis finit par se laisser tomber dans les bras de notre aînée pour se reposer, la tête sur ses genoux.
D'un pas las, je rejoins l'extérieur pour constater l'ampleur des dégâts dont Kate m'a informé. La table et les chaises sont retournées et la pergola en bois s'est brisée au centre. Elle tient encore, mais la poutrelle accidentée pourrait être dangereuse.

— Bonjour, p'pa, lâché-je en approchant un peu.

Il pivote vers moi et mon sang se glace lorsque j'aperçois Silas juste derrière lui. Parmi tous les employés du camping, fallait-il vraiment que ce soit lui qui s'occupe de notre bungalow ? Le sort s'acharne-t-il sur moi, malmenant mon cœur et mes émotions sans relâche ?

— Kasper, tu tombes bien ! Reste ici une seconde, je dois parler avec Marco. Je reviens vite.

— Euh... oui, d'accord, soufflé-je en baissant la tête.

Je me sens mal à l'aise, pieds nus, vêtu de mon short de pyjama et d'un tee-shirt avec un énorme flocage représentant Hedwige accompagné du blason de Gryffondor. Mes joues s'enflamment lorsque Silas s'approche de moi, pourtant, il ne fait pas attention à ma tenue et cherche mon regard.

— Tu as l'air fatigué, fait-il remarqué alors que j'accepte de lui faire face.

— Toi aussi.

Ses yeux verts sont cernés et son teint est plus pâle qu'à l'accoutumé, mais ce qu'il me perturbe réellement, c'est qu'il ne sourit pas. Je me sens immédiatement secoué en songeant que ce genre de détails me frappent si rapidement.

— J'ai peu dormi, avoue-t-il en passant une main lasse dans ses mèches brunes et désordonnées. On a eu beaucoup à faire à cause des intempéries.

J'acquiesce, maintenant tant bien que mal son regard vert qui me sonde avec insistance. Je me sens honteux face à la réaction que j'ai eu la veille et mon esprit s'égare dans une brume épaisse et anxiogène. J'ai l'air ridicule, et plus le temps passe, pire c'est. Silas doit avoir pitié de moi, c'est la seule explication plausible face à son intérêt pour ma pauvre personne.

— Tu ne devais pas être à la piscine ? demandé-je en baissant les yeux.

Je suis surpris d'être parvenu à prononcer une phrase sans bégayer, probablement poussé par l'envie de paraître moins crispé et pathétique face à cette personne si sûre d'elle.

— Si, mais Marco a décidé de ne pas l'ouvrir ce matin. Pas avant d'avoir réglé les problèmes que l'orage a causé.

— Tu n'as pas vraiment peur de l'orage, n'est-ce pas ? demandé-je brusquement.

L'expression de son visage la veille m'a fait douter de la véracité de ses propos. Il n'avait pas réellement l'air dérangé par le tonnerre, plus focalisé sur mes réactions probablement démesurées et idiotes pour lui.

— Plus depuis plusieurs années, avoue-t-il en tentant de me sourire.

Mes sourcils se froncent, je me sens blessé qu'il m'ait menti. Je ne comprends pas pourquoi il l'a fait et cela m'agace. C'est étrange, je ne comprends pas pourquoi cet aveu m'ébranle de cette façon.

— Pour... pourquoi, tu m'as... menti ? demandé-je en fermant les yeux.

Mon corps me fait ressentir des choses que je ne saurais expliquer. Mon cœur est douloureusement comprimé, je suis perdu et honteux.
Sans lui laisser le temps de répondre, je fais volte-face dans le but de m'éloigner mais ses doigts s'enroulent autour de mon poignet dans un geste doux et mesuré. Ma respiration se coupe tandis que mes membres se mettent à trembler. Sa peau est chaude, elle brûle la mienne, me démange.

— Attends, murmure-t-il, viens par là.

Assommé par son contact, gêné par sa paume qui enserre mon poignet, je le laisse me ramener vers lui dans un geste lent et sans aucune brutalité. Les yeux fixés sur le logo du camping brodé sur son tee-shirt, je fais tout pour ne pas croiser son regard. Mes joues sont si chaudes que j'ai l'impression que mon visage est sur le point de prendre feu.

— J'ai dis ça uniquement pour essayer de te mettre à l'aise, Kasper.

Son souffle balaie mon front, éparpillant les quelques mèches rebelles qui chatouillent ma peau.

— Qu... quoi ?

— Tu semblais très gêné, je voulais te détendre. Je ne suis peut-être pas doué pour ça, je m'y suis probablement mal pris mais...

Il cherche ses mots, les doigts toujours refermés sur mon bras, je subis l'acharnement de mon cœur.

— ... ce n'était pas pour me moquer de toi, finit-il.

Lentement, je relève le menton pour croiser le vert de ses iris. Ses yeux m'observent d'un air penaud, ses lèvres me sourient doucement, sûrement pour alléger mon embarras. Ça ne fonctionne pas. Mon cœur bat d'une cadence que je connais pas et cela m'intimide davantage. Je me pose désormais un tas de questions, tandis que son regard s'adoucit, puis s'obscurcit la seconde d'après lorsqu'il effleure chaque recoins de mon visage. Ses lèvres ne me sourient plus du tout, elles sont légèrement entrouvertes et expulsent son souffle sur ma peau qui s'embrase.
Je fais un pas en arrière, perturbé par sa proximité, par ses expressions que je n'avais jamais aperçu avant et terrifié d'être à la vue de tous, sur la terrasse du bungalow.

— Silas..., soupiré-je, tremblant des pieds à la tête.

Mes yeux s'arrondissent de surprise lorsque je décèle de légères rougeurs colorer ses joues. Je ferme les yeux, secoue la tête pour me remettre les idées en place. J'hallucine, il n'y a pas d'autre explication. Mon cœur s'arrête et ma respiration se saccade dès lors que j'ouvre de nouveau les paupières pour constater que sa peau est réellement rosie, très légèrement, à peine visible, mais notre proximité ne peut mentir.

— Je... euh..., commencé-je.

— Oui ? insiste-t-il alors que son pouce effleure le dos de ma main.

— Pourquoi m'as-tu emmené à cet endroit... dans la forêt ? m'enquiers-je, parce que cette question me taraude l'esprit depuis trois jours. Pourquoi, alors que... tu étais satisfait... que personne n'y aille... jamais ?

Pendant quelques secondes, il fronce les sourcils. Son visage se fige et il semble réfléchir, puis il incline la tête, plonge le vert d'eau de ses iris dans le bleu des miens et relâche doucement mon poignet. Je me surprends à regretter son contact, mais je n'y fait pas attention, attendant la réponse à ma question. C'est difficile de soutenir un regard aussi puissant que le sien, difficile de ne pas m'enfuir alors que mon âme sanglote son embarras, encore plus compliqué de ne pas avoir la force d'encaisser tout ça, de ne pas ressentir cette gêne et cette stupide timidité qui me rongent de l'intérieur. Je regrette d'avoir parlé, je me maudis d'avoir quémandé des explications.

— Cet endroit est fait pour toi, murmure-t-il, tu en auras sûrement plus besoin que moi. Et pour être entièrement honnête, ça ne me dérange absolument pas de le partager avec toi.

— Pourquoi ? bredouillé-je, dans l'incompréhension.

— Parce que j'en ai envie.

— Je ne... comprends pas.

Un sourire orne son visage, et enlise mon cœur dans un curieux nuage de coton.

— Moi non plus, avoue-t-il, je ne comprends pas.

— Kasper ! Ton petit-déjeuner est prêt ! hurle maman depuis l'intérieur.

Je sursaute brusquement tandis que Silas fait plusieurs pas en arrière, comme pris en faute, en flagrant délit de je ne sais quel crime. Perturbé comme jamais auparavant, je m'empresse de rejoindre le bungalow sans un regard en arrière.

Ça va aller, Kas, tout va bien se passer.

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