Chapitre 12 :

8 minutes de lecture

16 juillet 2021

Silas :

Mon humeur est à revoir ce matin. Je suis à la fois déçu et fatigué, perdu et agacé. C'est ainsi que j'ai ouvert les yeux, et cinq heures après ça n'a pas évolué. Mon regard n'a pas quitté le bassin, mais mon esprit est ailleurs. Je surveille tout de même les nageurs, mais ils ont tous le visage de Kasper. C'est pas normal, si ? Je songe rapidement à Marco, qui ne se priverait pas de me réprimander sèchement s'il voyait le peu d'investissement dont je fais preuve aujourd'hui. J'ai tout de même une bonne excuse, mais je ne suis pas certain que mon patron l'entende de la même oreille.

Il n'est pas venu hier.
Kas ne m'a pas rejoint. J'ai patienté pourtant, pendant plus d'une heure en pensant bêtement qu'il avait du retard. J'ai fini par me résigner lorsque le soleil a attaqué ma peau et que mes jambes finissent cotonneuses à force d'être immobile. Depuis, je ne fais que me demander ce que j'ai bien pu faire de mal ou d'inconvenant pour qu'il me laisse en plan. Il est vrai que je parle souvent sans réfléchir, que les mots passent mes lèvres sans penser aux conséquences qu'ils engendrent par la suite. Il me semblait malgré tout que nous étions sur la même longueur d'onde après notre discussion sur la terrasse de son bungalow. Me serais-je mépris ?
Ce qui me perturbe davantage, ce sont mes réactions. Pourquoi est-ce que je me sens si mal, maintenant ? J'ai tendance à vite m'attacher, c'est le reproche que me fait souvent Félix mais là, c'est différent. Je le ressens au fond de moi. Ce n'est pas comparable à ce que j'ai vécu jusqu'ici. Avec Kas, j'essaie d'être le plus avenant possible, j'évite d'être trop oppressant avec mes approches directes et souvent incomprises. En sa présence, la seule chose à laquelle j'arrive à penser, c'est son confort avant tout, le fait de le dérider, de le mettre à l'aise, de le comprendre alors, pourquoi ne m'a-t-il pas rejoint hier ? Initialement, je lui ai proposé de l'accompagner pour ses vacances parce que je le trouvais mignon et qu'ainsi, les moments de libres m'auraient parus moins longs. Désormais, je ne fais qu'y penser, à tel point que ne pas l'apercevoir fout un coup à mon moral.
J'ai songé à aller au bungalow, ne serait-ce que pour vérifier que tout allait bien pour lui. Je me suis ravisé lorsque j'ai pris conscience que c'était un comportement trop envahissant et probablement anxiogène pour lui.
Me voilà maintenant, bête et impuissant. J'ignore quoi faire. Peut-être a-t-il une excuse pour ne pas être venu, peut-être était-il occupé et que ce n'était pas son intention de se tenir loin de moi ? Je l'ignore, et le fait de me poser mille questions n'arrange en rien mon humeur maussade.

Je soupire, désabusé et déboussolé. J'aimerais comprendre certaines choses et seul Kasper peut m'aider à y parvenir. Alors que je laisse mon regard voyager autour de la piscine, tout en inhalant une bouffée de ma cigarette électronique aromatisée à la pomme, une chevelure flamboyante attire mon attention. J'observe la petite Price, enroulée dans une serviette mauve, puis instinctivement mon regard cherche son aîné qui n'apparaît pourtant nulle part.
Je quitte mon perchoir afin de rejoindre Milla, qui râle pour je ne sais quelle raison. Elle est toujours énervée cette gamine, c'est dingue.

— Mademoiselle, dis-je en arrivant à sa hauteur, comment allez-vous en ce matin ensoleillé ?

J'essaie temps bien que mal de cacher mon trouble et généralement, c'est en disant des bêtises que j'arrive à mes fins.
Elle hausse un sourcil en me dévisageant, puis glousse comme une idiote.

— Moi je vais bien, mais toi tu n'as pas dormi depuis trois jours, non ?

Pris de court, je la sonde avant de lever les épaules avec désinvolture.

— Ça va ! Dis, ton frère est-il dans les parages ?

— Non, il n'a pas quitté sa chambre depuis hier.

Mon cœur se serre, bien que cette éventualité s'était imposée dans mon esprit avant même de poser la question à Milla.

— Comment va-t-il ?

Désormais, elle me regarde comme si un deuxième nez avait pris place au milieu de mon visage. Je ne la blâme pas, évidemment qu'elle ne comprend absolument pas ce qui me pousse à l'interroger. Elle est bien trop jeune pour ça. Et moi, d'ailleurs, est-ce qu'à dix-neuf ans j'assimile seulement ce qui se passe en ce moment dans mon esprit ? Pas sûr...

— Pourquoi tu lui tournes autour, comme ça ? demande-t-elle, méfiante. J'ai entendu Kas et Kate parler de toi, tout à l'heure !

Mon cerveau s'éveille face à cet aveu. Suspendu aux dires de la petite, j'attends la suite qui pourtant ne vient pas.

— Tu as dit qu'il n'était pas sorti de sa chambre.

— Ça ne veut pas dire que Kate n'y est pas entrée, soupire-t-elle comme si j'étais demeuré.

D'un sens, elle n'a pas entièrement tort. C'est plutôt logique, finalement.

— Et, de quoi ont-ils parlé ? m'enquiers-je prestement.

— T'es vraiment un psychopathe, en fait ! La première impression est toujours la bonne, ma maman a raison chaque fois qu'elle répète ça !

Je lève les yeux au ciel, mitigé entre l'exaspération et l'amusement, mais mon humeur morose fait pencher la balance vers le premier ressentiment.

— Je promets de ne plus jamais t'appeler " Salamèche " si tu réponds à ma question, l'encouragé-je.

C'est déloyal, j'en ai bien conscience.

— C'est vrai ça ? se méfie-t-elle.

J'acquiesce vivement, souriant face à sa mine dubitative.

— Bon, ok. En fait, je sais pas vraiment de quoi ils ont parlé mais j'ai entendu Kasper prononcer ton nom deux fois et Kate, une fois. Ça peut être que toi, personne d'autre s'appelle Silas ! C'est pas beau, et t'es pas beau de toute façon.

Elle est vraiment intenable cette gamine, c'est pas possible. En plus, cela ne m'avance finalement à rien, j'en suis toujours au point de départ.
Alors que je détaille Milla, une idée s'immisce en moi. Elle a l'air très jeune, dix ou onze ans à tout casser mais tant pis, je tente tout de même ma chance.

— Dans le plus grand des hasards, tu n'aurais pas un téléphone portable ?

Elle fronce les sourcils, place ses poings sur ses hanches et tape du pied. Elle me ferait presque rire si je n'étais pas paumé au milieu de mes sentiments.

— Si, approuve-t-elle après une longue minute, pourquoi ?

Alléluia !

— Accepterais-tu de me communiquer le numéro de Kasper ? l'interrogé-je en souriant.

— Pourquoi je ferai ça ?

— Parce que je te le demande gentiment ?

Je lui fais les yeux doux, jusqu'à ce que son visage se déride légèrement.

— Je ne sais pas si j'ai le droit, m'avoue-t-elle en triturant sa serviette.

Je m'accroupis pour être à sa hauteur, attrapant ses mains pour les serrer doucement. Bien qu'elle soit un peu dur, je l'apprécie cette petite. Elle est marrante et franche, ce sont des qualités à ne pas négliger.

— Je te promets que si ça dérange ton frère, je supprime le numéro dans la seconde. J'aimerais juste lui parler mais je ne veux pas m'imposer face à lui s'il ne le souhaite pas, tu comprends ?

Elle réfléchit un instant puis hoche la tête en soupirant.

— Est-ce que tu lui as fait du mal ? Il avait l'air triste.

Mon cœur se fissure, parce que l'image de Kasper dans cet état s'impose à moi, mais aussi en entendant la façon dont Milla me l'a dit. C'est la première fois que je la vois soucieuse.

— Non, Milla, lui assuré-je, je ne lui ai pas fait de mal et si vraiment c'est le cas, ce n'était absolument pas volontaire de ma part. Tu vois, c'est pour ça que j'aimerais lui parler. Hier, nous devions nous voir et il n'est pas venu, je veux simplement lui demander pourquoi.

— D'accord, accepte-t-elle en soupirant, mais tu jures de supprimer, hein, si Kas est en colère ?

— Tu as ma parole, souris-je en ébouriffant ses cheveux.

Elle ronchonne tout en récupérant son sac à dos sur le sol. Elle en sort un petit téléphone à clapet, de ceux qui datent d'il y a dix ans et me le tend après avoir affiché le contact de son frère. Je sors le mien de la poche de mon short et enregistre rapidement le numéro en le nommant avec les trois petites lettres de son surnom, tout en remerciant la fillette. J'embrasse ses cheveux, reconnaissant et la laisse filer.
Lorsque je regagne mon perchoir, j'avise le bassin, constate que tout se passe très bien et reporte mon attention sur le téléphone durant l'écriture de mon message.

Silas :
Kasper ?

Kas :
Qui est-ce ?

Silas :
Pikachu ?

Les minutes passent et s'éternisent sans que mon téléphone se mette à vibrer. La première réponse est arrivée presque dans l'instant et l'attente de la seconde me perturbe. Je me demande s'il ne répond pas car il refuse de me parler mais l'écran s'illumine après presqu'un quart d'heure et les doutes retombent doucement.

Kas :
Comment tu as réussi à avoir mon numéro ?

Silas :
J'ai croisé Salamèche à la piscine.

Kas :
C'est une plaie.

Silas :
Tu n'es pas venu hier, je t'ai attendu.

Kas :
Désolé...

Silas :
J'ai fait quelque chose de mal ?

Kas :
Non, tu n'as rien fait de mal...

Silas :
Alors, pourquoi ?

Kas :
J'ai peur, je crois.

Silas :
De moi ? :(

Kas :
Non, je ne pense pas.

Silas :
De quoi, dans ce cas ? On peut discuter, tu sais. Tu peux me parler de n'importe quoi, je t'écouterai sans protester.

Kas :
Je ne suis pas certain d'y arriver... Pardon.

Silas :
Où veux-tu en venir ?

Kas :
Désolé.

Silas :
Kasper... arrête de t'excuser. Parle-moi...

Kas :
C'est difficile pour moi. Je ne sais rien de ce qu'il se passe et je comprends pas... j'arrive pas à comprendre.

Silas :
Moi non plus je ne comprends pas, je te l'ai dit hier matin. Mais on pourrait essayer d'y voir plus clair ensembles ? L'été est loin d'être terminé, j'ai encore un tas de choses à te faire découvrir, on a encore rien fait de concret pour l'instant. Ne me fuis pas, Kas...

Kas :
Les après-midis dans la forêt étaient concrets pour moi.

Silas :
Ils l'étaient pour moi aussi, mais je te parle de réelles activités, les occupations du camping.

Kas :
Je vois...

Silas :
Tu veux bien qu'on se voit aujourd'hui ? Je peux t'attendre au même endroit que d'habitude ? On pourra mieux parler, d'accord ?

Kas :
J'y serai...

Je range le téléphone en soupirant. C'est plus complexe que ce que j'avais imaginé. Je conçois parfaitement qu'il soit effrayé. S'il ressent les mêmes choses que moi, son trouble est compréhensible mais moi, je ne souhaite pas l'éviter. Non, je veux continuer de nager au centre de mes instabilités émotionnelles pour voir jusqu'où ça nous mènera. Depuis que nous nous sommes rencontrés, il est constamment quelque part dans ma tête, ça en devient presque insoutenable.

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0