Chapitre 13 :

10 minutes de lecture

16 juillet 2021

Kasper :

Ça va pas, Kas, rien ne va aller correctement.

Il est 14h00, Silas a terminé son service depuis trente minutes et doit probablement m'attendre entre nos deux arbres. Pourtant, je suis encore installé sur mon lit, me demandant si le rejoindre est la chose convenable à faire. La discussion que j'ai eu plus tôt avec Kate ne cesse de me revenir en mémoire et me laisse hésitant quant à la décision que je dois prendre. Cela ne m'a étonné qu'à moitié lorsqu'elle a surgi dans ma chambre en battant des cils. C'était évident que ce moment allait arriver, il faut dire aussi, que Silas et moi n'étions pas discrets lors de notre conversation de la veille. Elle m'a assuré ne pas nous avoir écoutés, simplement apercus par la petite fenêtre du salon. Bien sûr, il fallait qu'elle nous surprenne alors que j'étais face à lui et que ses doigts caressaient ma main. Elle m'a fait dire des propos que j'étais certain de ne pas être capable de prononcer, ni même penser, m'a également dit des choses qui m'ont heurté avec trop de brutalité. Ma sœur a su déceler mes sentiments avant même que je ne puisse pleinement les ressentir et cela m'a perturbé.
J'ai été pris de court lorsqu'elle m'a assuré que certaines émotions n'étaient pas faites pour être comprises ou expliquées, que parfois elles vont et viennent et qu'il faut simplement les laisser vivre pour pouvoir en profiter.
Ce que je ressens pour Silas est nouveau et effrayant. Je ne parviens pas à trouver les mots justes afin de clairement définir ce sentiment et je crois que finalement, c'est cela qui m'effraie. Il est parfois hésitant et maladroit lorsque son naturel reprend le dessus, mais il est surtout doux et tendre dans ses gestes et ses propos. Est-ce normal d'éprouver de telles choses pour une personne que l'on connait depuis huit jours à peine ? Serais-je déviant ? L'est-il lui aussi ?
Je suis toujours aussi mal à l'aise face à lui, mon embarras ne me quitte pas, ma gêne non plus et ma honte surgit parfois. Mais je ne suis pas certain que cela vienne de lui, c'est simplement moi et ma façon de me voir. J'en ai conscience mais je ne sais pas comment l'affronter ; comment m'affronter, moi.

Un mal de ventre me malmène alors pour tenter de l'atténuer, je m'étends sur le matelas. Le regard rivé au plafond, je me répète en boucle les dernières paroles de Kate avant qu'elle ne quitte ma chambre.

Silas est un jeune homme qui me paraît tout à fait charmant. Je n'ai pas eu la chance d'échanger avec lui mais les yeux ne mentent pas, mon Kas. J'avais déjà remarqué son regard posé sur toi lors de notre repas avec Marco. S'il peut t'aider à sortir de ta solitude, de ton enfermement, alors tu dois saisir cette opportunité. Je sais que tu es terrifié et c'est normal. Peut-être que vos moments ne dureront pas, que ce lien est éphémère mais le temps que tu passes avec lui est du temps où tu n'es pas cloîtré dans ta chambre, alors tu dois en profiter. C'est peut-être le début d'une belle amitié, ou de quelque chose de plus fort encore. Qui le saura, si tu restes ici à bouquiner ?

Mon téléphone vibre sur le lit, brisant le courant de mes pensées. Son prénom apparaît sur l'écran et mon cœur s'emballe.

Silas :
Kasper... tu as dit que tu viendrais.

Un sentiment de culpabilité m'étreint et je clos les paupières pour ne pas pleurer. J'ignore pourquoi les larmes envahissent mes yeux, pourtant elles sont là, assassines, étouffantes. L'arrivée d'un second texto m'incite à me redresser.

Silas :
Est-ce nécessaire que j'attende ? Dis-le moi si tu ne souhaites pas venir, mais ne m'ignore pas, s'il te plaît.

Kas :
J'arrive. Excuse-moi.

D'un geste rageur, j'efface les gouttelettes qui se sont échappées pour suivre leur chemin le long de mes joues, puis j'inspire profondément en quittant la chambre. Le bungalow est vide et cela ne m'étonne pas, ils sont tous partis en ville pour faire les boutiques. Maman était agacée lorsque j'ai refusé de les accompagner, mais n'a pas émis la moindre plainte. Finalement, elle sera peut-être heureuse si je lui avoue que je ne suis pas resté enfermé ici.
Je traverse le camping, les doigts tremblants et la respiration chaotique, songeant plusieurs fois à faire demi-tour. Mais très vite, j'aperçois l'épaisse chevelure brune de Silas et mon cœur s'emballe toujours plus. Il est assis par terre, le dos contre l'arbre sur lequel il m'a surpris en train de lire le premier soir, patientant en dessinant des formes abstraites dans la terre avec un petit bâton de bois. Comme s'il avait senti ma présence, il relève la tête alors que je m'immobilise à un bon mètre de lui. Son regard trouve instantanément le mien et une vague de chaleur s'empare de moi. Je le laisse s'approcher, lentement, comme s'il faisait face à un animal égaré. C'est probablement ce que je suis, finalement.

— Tu es venu, dit-il lorsqu'il s'arrête à quelques centimètres de moi.

— Pardon... de t'avoir fait... attendre, bégayé-je en soutenant son regard.

— Tu es là, c'est le principal.

Un sourire se dessine sur ses lèvres et sans que je m'y attende, il tend la main pour venir enrouler son index autour du mien. Je le laisse faire, parce que je suis incapable de m'en défaire mais aussi parce que je ne pense pas avoir envie de le faire. Il se met en marche, m'attirant doucement à ses côtés. Nous évoluons en silence, entourés des campeurs qui nous saluent lorsqu'on passe près d'eux. Le fait que nous soyons en contact m'angoisse mais personne ne semble s'en soucier, tous bien trop occupés à profiter de la chaleur et des plaisirs dont je ne connais même pas le sens ; ces choses qui me sont inconnues et que Silas aimerait probablement commencer à me faire découvrir.
C'est lorsque nous arrivons face aux rochers qu'il lâche mon doigt. Il avait peut-être peur que je m'échappe encore une fois.
Je l'observe s'allonger sur l'herbe, passer ses deux bras sous sa tête pour la surélever un peu. Je me surprends à faire naviguer mon regard sur son corps bien plus développé que le mien, pendant quelques secondes seulement mais mes joues s'enflamment. C'est la première fois que je m'autorise une telle liberté, ce qui provoque en moi une décharge électrique surprenante et douloureuse. Je me laisse glisser contre l'une des pierres, les jambes tendues et les bras autour de ma poitrine. J'aimerais briser le silence mais je ne sais pas quoi dire, alors j'attends.

— Moi aussi ça m'effraie, tu sais ? déclare-t-il abruptement.

Je baisse les yeux vers lui tandis qu'il glisse l'extrémité de sa vapoteuse entre ses lèvres.

— Est-ce que tu dis ça aussi pour... me mettre à l'aise ?

— Non, cette fois c'est la vérité.

Il se redresse en prenant appuie sur ses coudes, cherchant mon regard que je peine à lui offrir. Je pose mes yeux partout sur son visage mais jamais dans les siens, je n'y parviens pas.

— Je pense que le mieux c'est de ne pas trop se poser de questions, dit-il alors que quelques volutes de fumée s'élèvent entre nous. Se prendre la tête sur des détails, c'est un peu comme s'empêcher de vivre pleinement, tu ne trouves pas ?

Mes lèvres s'entrouvrent et un éclat de rire m'échappe sans que je puisse le contrôler. Pris de court, je plaque ma paume sur ma bouche alors que Silas m'observe avec des yeux brillants de je ne sais quoi.

— Ça t'amuse ? s'enquiert-il en faisant la moue.

— Non... c'est que... Kate a dit, enfin, elle a presque... dit la même chose que... toi, articulé-je en avalant plusieurs fois ma salive.

Silas incline la tête, me fixe avec une insistance qui me perturbe et par réflexe, je baisse mes lunettes sur mon nez pour cacher mes yeux. Cela n'a aucun sens, aucun intérêt puisque nous sommes à l'ombre alors je les retire aussi rapidement que je les ai mises.

— Ta sœur est une reine ! dit-il avec enthousiasme. Et toi, toi, ris dès que te vient l'envie parce que, j'aime bien ça.

Ma peau ne s'échauffe pas, non, elle crépite, s'embrase complètement et pas seulement vers mon visage. Mon corps entier est brûlant et mon cœur a probablement raté plusieurs battements parce qu'il peine désormais à reprendre un rythme convenable.

— Tu dis vraiment... n'importe quoi, bougonné-je en cachant mon visage sur mes genoux désormais rabattus contre mon torse.

Cette fois, c'est à son tour de rire et je fais tout pour ne pas me focaliser sur ce son qui vient creuser mon estomac à la petite cuillère.
Le calme reprend peu à peu ses droits tandis que mon corps se détend enfin.

— Demain soir, c'est le premier feu de camp de la saison, est-ce que tu y seras ? m'interroge-t-il, les yeux perdus à la contemplation du ciel entre le feuillage des arbres.

— Oui. Mes parents souhaitent que nous y assistons, chaque année. Tu travailleras ?

— Malheureusement, soupire-t-il, mais je serai sur place alors ça me va.

— Tu ne seras pas au bar ?

— Non, Marco m'a mis en charge de la surveillance. Je vais passer ma soirée à vérifier que personne ne s'approche trop des flammes et que l'alcool ne pousse pas les buveurs invétérés à se battre pour des broutilles.

— Tu sais faire ça, toi ?

Silas souffle un rire et se révèle pour venir s'installer à coté de moi, le dos contre le second rocher. Je le laisse faire en silence, tandis qu'il pivote sa tête dans ma direction.

— Deviendrais-tu insolent ? s'amuse-t-il en pointant son index vers ma poitrine.

Je hausse les épaules, incapable de parler.

— En fait, continue-t-il, il m'a posté là parce que j'ai obtenu mon diplôme de secourisme l'année dernière. Il angoisse à l'idée que cette soirée se passe mal et il préfère que tous les employés formés à la sécurité et pouvant exercer des potentiels soins soient sur place.

— Du plus loin que je me souvienne, cette soirée a toujours été incroyable. Enfin, réussie je veux dire. Le premier feu de camp est beau à voir, ensuite, les autres sont communs et perdent de leur charme.

— Les moyens ne permettent pas de reproduire le même spectacle toutes les semaines. C'est pour ça que le premier est fou et que tu trouves les autres ennuyants.

— Je n'ai pas dit... " ennuyant " , murmuré-je en baissant la tête.

— Je sais, sourit-il en me donnant un petit coup d'épaule, je te taquine.

— Hum... Alors, ça veut dire que... si je.. tombe dans les pommes, tu pourras me... secourir ?

La chaleur envahit mon visage face à l'audace de ma question, bien qu'il m'ait fallu presqu'une minute pour parvenir à la prononcer.
La commissure droite des lèvres de Silas s'étire alors qu'il m'admire avec une étincelle dans les yeux. Le poids de son regard me cloue sur place, me coupe le souffle et fait trembler mes doigts.

— En effet, murmure-t-il, je peux faire ça.

Je reste muet face à l'intensité qui fait briller ses yeux, à l'écoute du timbre chaud de sa voix, de son accent anglais qui le force à articuler chaque syllabe avec lenteur et perfection. Mon cœur va éclater s'il continue de battre si fort. Ma tête va exploser si mon sang continue de chauffer ainsi. Un léger étourdissement fait vibrer mes paupières lorsque son souffle chaud atteint ma peau. Je vais mourir, c'est certain.

— Dis, Kasper, quel âge tu as ? demande-t-il en un soupir.

— J'ai... seize ans.

— Tu es jeune, fait-il remarquer en fermant quelques secondes les yeux.

J'aimerais lui renvoyer la question, mais j'en suis inapte. J'ignore son âge, mais lorsque je le regarde, je lui donne une vingtaine d'années, pas plus, enfin, je crois. Cette pensée m'incite à le détailler davantage. J'observe sa mâchoire carrée et la fossette qui creuse naturellement sa joue droite, ses sourcils sombres et épais presque cachés par les mèches de cheveux qui retombent sur son front, ses lèvres épaisses, roses, qui me sourient si bien, si belles et son nez, légèrement retroussé, fin, qui habille son visage avec grâce. Si Jessica me demandait à nouveau à quoi il ressemble, je pourrai lui donner des détails que je n'avais pas remarqué avant. Si elle me demandait encore s'il est beau, je pourrai lui répondre sans l'ombre d'une hésitation que oui, il l'est. Mais je ne ferai rien de tout ça, parce que ce moment, il est à moi.
Quand le regard de Silas retrouve le mien, mon embarras réapparaît. Je me sens coupable d'avoir abusé de lui, d'avoir profité de ses paupières closes pour dessiner chaque trait de son visage dans mon esprit. Je me sens gêné d'avoir songé à sa beauté alors qu'il se trouve à quelques centimètres à peine de moi. Je dois probablement être pitoyable, rouge écarlate et ce constat me fait baisser les yeux, pourtant Silas ne l'entend pas de cette façon. Ses doigts trouvent ma joue et son contact m'oblige à relever le visage. Mon corps se met à trembler lorsque la pulpe de son index caresse lentement ma peau.

— Tu me plais, Kas, soupire-t-il en plongeant un regard perturbant dans le mien.

Si jusqu'ici, je pensais m'enflammer, en fait, c'était loin d'être le cas. Mes tempes battent à vive allure, résonnent brutalement à mes oreilles et font défaillir mon esprit.

— Je..., quoi ?

Son doigt ne cesse d'effleurer ma peau et me rend cotonneux. Je tente de fermer les yeux mais la pression sur ma joue s'intensifie et m'interdit de quitter son regard. Lentement, son index dérive vers ma bouche pour retracer ma lèvre inférieure et ses propos reviennent en hurlant dans ma tête.

Tu me plais, Kas.
Tu me plais, Kas.
Tu me plais, Kas.

— Ah... ? Oh..., soupiré-je lorsque je comprends enfin le sens de ses mots.

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