Chapitre 15 :

11 minutes de lecture

17 juillet 2021, dans la soirée.

Silas :

Il y a un monde fou ce soir, pire encore que lors de cette fameuse soirée avant que l'orage se mette à gronder. Ce n'est pas étonnant, les années précédentes étaient identiques. La totalité des campeurs assistent à l'inauguration de la saison estivale.
La musique est superbement diversifiée, les rythmes et thèmes changent régulièrement depuis une bonne heure, à tel point que les danseurs de tous les âges se mélangent sur une piste improvisée. C'est presque dommage que je travaille, j'aurais aimé me mêler à eux. J'adore me trémousser ! Malgré tout, je ne me plains pas. L'ambiance est bonne et les fêtards sont respectueux pour le moment. Le seul souci, c'est que je n'ai pas aperçu Kasper. J'ai croisé Milla, alors qu'elle courrait entre les campeurs, poursuivie par deux petits garçons aux regards espiègles. J'ai vu ses parents, Harry et Madison, siroter un verre avec la famille du bungalow 34. Et Kate, la belle Katherine Price ne passe pas inaperçue dans sa jolie robe à fleurs. Elle est face à moi, au milieu d'un cercle de personnes qui ont probablement notre âge à tous les deux. Mais Kas n'est pas là et je me demande bien où il se cache. J'ai fait plusieurs fois le tour mais il est introuvable.

Alors que j'erre entre les vacanciers, la musique perd en intensité et la voix du grand patron résonne dans les hauts parleurs du camping. D'un air enjoué, il déclare que le ciel est assez sombre pour que l'on allume enfin ce fameux feu. Des éclats de voix excitées s'élèvent et amusent Marco qui cesse de parler pendant un instant. Il rappelle ensuite, les règles de sécurité, puis signale qu'une équipe de secouristes et surveillants est présente pour le bon déroulement de cette soirée et le moment tant attendu arrive enfin. Les vacanciers hurlent leur bonheur alors que trois hommes arrivent avec une torche en main. Un roulement de tambour s'élève tandis que les flambeaux s'approchent de la base en bois, prête à s'enflammer. La joie est partout lorsque le feu ardent éclair enfin la zone de fête. La chaleur s'étend, les applaudissements retentissent vivement et résonnent en masse. J'aimerais apercevoir Kasper, voir ses yeux bleus s'illuminer de milles étincelles orangées mais je ne le vois toujours pas.

— Silas ! s'exclame une voix dans mon dos, juste avant que la musique reprenne puissamment.

Lentement je pivote vers celui qui m'offre un sourire charmeur.

— Mathias, lui réponds-je en souriant, ça fait un moment !

Je détaille rapidement le campeur à la chevelure d'ébène. Il n'a pas changé depuis l'année derrière mis à part peut-être sa barbe qu'il a laissé pousser et qui le vieillit légèrement.

— Un an, s'amuse-t-il en rivant son regard au mien. On est arrivé dans la nuit, on ne voulait pas louper le feu de camp.

— Je comprends, c'est top comme soirée.

Il acquiesce puis lève son verre sous mon nez en souriant. L'odeur du whisky vient agresser mes narines mais je ne me démonte pas. J'ai horreur de ça. Jamais, ô grand jamais on me fera boire ce breuvage venu des enfers.

— Ça te dit de partager un verre avec moi, après ton service ?

— Je risque de finir tard, déclare-je, très tard.

Il hausse les épaules m'informant que ça ne le dérange pas de patienter. Ça, je veux bien le croire. Mathias est du genre tenace, j'en ai fait les frais l'été dernier. Ce n'était pas forcement un problème, j'ai passé plusieurs bonnes soirées en sa compagnie et celles de ses amis. Mais, vraiment là, ça ne m'intéresse absolument pas. Je pivote sur moi-même, de façon à garder un œil sur les vacanciers que j'ai pour mission de canaliser. Mathias se place près de moi, son épaule frôle la mienne alors qu'il avale une gorgée de son verre à l'odeur immonde. Mes yeux voyagent, observent les alentours et mon cœur s'affole brusquement lorsqu'enfin, telle une vision divine, Kas apparaît.

Bordel, est-ce permis d'être si irrésistible ? Sérieusement, comment fait-il pour être si beau sans faire le moindre effort ?

Je ne vois plus que lui, comme si les autres avaient disparus pour ne laisser que Kasper. Assis sur un banc, il fixe les flammes, les paumes sur ses genoux et ses lunettes de soleil sur la tête pour maintenir ses cheveux vers l'arrière. Son visage est entièrement dégagé et les flammes dansent dans ses iris bleus. Il est seul au milieu d'un brouhaha indomptable, mais si concentré à la contemplation du feu qu'il ne paraît pas mal à l'aise. Vraiment, il est éblouissant.
Ma vison est troublée par une main qui s'agite près de mon visage. Je fronce les sourcils, à la fois agacé et un peu désaxé puis la voix de Mathias me parvient à nouveau.

— T'es toujours là ? se marre-t-il en ne cessant pas de passer ses doigts sous mes yeux.

Lentement, je me tourne vers lui alors que j'avais oublié sa présence.

— Quoi ?

Il éclate de rire et pose sa main sur mon bras. Je ne réagis pas, l'observant avec insistance pour qu'il poursuit rapidement afin de me laisser admirer la beauté qui attire mon regard.

— Tu t'es perdu, déclare-t-il en souriant. Je disais, on pourrait peut-être se voir quand tu seras libre ? Ce serait sympa, non ?

J'incline la tête, puis la secoue doucement pour ne pas le recaler avec trop de rudesse. Mon bras passe sur ses épaules pour le positionner de façon à ce qu'il ait Kas en visuel.

— Tu vois le petit blond, là-bas ? demandé-je en le pointant du doigt.

— Qui ça ? Kasper ?

— Tout à fait, approuvé-je vigoureusement. Il occupe absolument toutes mes pensées depuis le début de la saison. Alors, désolé, mais ça ne va pas être possible.

— T'es sérieux ? grimace-t-il. Est-ce qu'on parle bien du même Kasper Prince, là ?

Je le lâche avec sûrement trop de dureté, mais finalement, je me moque bien de son avis.

— C'est Price, rectifié-je d'un ton froid. Et oui, je te parle bien de lui. Donc, si tu vois une quelconque objection, et bien sache que je m'en fous.

Je lui souris, pour ne pas être complètement impoli bien que son air dédaigneux me fasse enrager. Un pas, deux en arrière et enfin, je me trouve à une distance tolérable de Mathias et ses paroles qui ne me plaisent pas.

— Ne t'énerve pas, c'est juste que...

— Passe une bonne soirée, le coupé-je ne m'éloignant déjà.

La musique m'empêche d'entendre ses plaintes et j'en suis satisfait. Sans plus perdre de temps, je me dirige vers celui avec qui je veux passer cette soirée. Travail ou non, je veux être avec lui ce soir.
Je prends place à ses côtés, tandis qu'il tourne lentement la tête dans ma direction. Ses yeux trouvent les miens et un petit sourire se dessine sur ses lèvres alors que ses joues rosissent doucement.

— Salut, soufflé-je en me penchant vers lui afin qu'il m'entende. La chemise te va à ravir ! Ça fait longtemps que tu es là ?

— Me... merci. Oui, enfin... non pas... vraiment, quelques minutes.

— Je t'ai cherché, lui avoué-je, j'ai vu toute ta famille mais pas toi.

Ses doigts se serrent sur le tissu quadrillé de son pantalon, puis il pince sa lèvre entre ses dents avant d'inspirer doucement. Son regard voyage partout autour de lui, alors qu'il commence à se tendre. Les traits de son visage se figent et sa respiration s'alourdit lorsqu'il me voit à nouveau.

— J'étais avec... Kate, puis elle est allée... rejoindre ses amies... et moi j'ai, je me suis...

— Eh, Kas, respire, soufflé-je doucement en posant mes doigts sur les siens. Ça va, d'accord ?

— Je... oui, c'est que... il y a beaucoup de monde.

Ses yeux fixent désespérément mon regard, alors qu'ils s'emplissent de larmes. Mon cœur se serre, il n'a plus l'air d'aller bien.
J'enlace ses doigts, presse ma paume contre la sienne et lui intime silencieusement de me suivre après m'être levé. Je nous éloigne de l'attroupement, de la musique et du mouvement. Sa main tremble dans la mienne, s'accroche à moi, les ongles enfoncés dans ma peau. Je m'immobilise derrière une rangée d'arbres, à l'abri des regards indiscrets. Son dos heurte un tronc lorsqu'il se laisse tomber en arrière. Mes yeux s'arrondissent et je le stabilise en maintenant ses épaules.

— Kas, ce n'est pas parce que je t'ai assuré que je pouvais te venir en aide si tu tombais dans les pommes qu'il faut forcément que ça arrive.

— Je... pardon, mais je n'aime pas quand...

— Je sais, le coupé-je pour mettre fin à son supplice. Pourquoi Kate t'as laissé ?

— C'est moi qui lui ai dit de partir, je pensais que... j'allais gérer.

— Tu avais l'air d'aller bien quand je suis arrivé, fais-je remarquer en levant les doigts vers son visage.

J'effleure sa peau, de la même façon que la veille, lorsque je lui ai avoué qu'il me plaisait.
Bon sang, il me plaît désespérément.
Mes mots n'ont jamais été aussi sincères que lorsque je les ai prononcés pour lui. Il fallait que ça sorte, je n'en pouvais plus de les garder pour moi. Il n'a rien dit, mais finalement, il n'a pas eu besoin de le faire. Ses yeux ont parlé pour lui.

— J'étais... ailleurs.

— Et où étais-tu allé ? m'enquiers-je en laissant mon index errer vers son menton.

J'ai besoin de le toucher, de sentir la chaleur de sa peau sur la mienne. J'ai besoin de tellement de choses que mon esprit est secoué dans tous les sens. Ses grands yeux bleus ne me quittent pas, sa peau tachetée de petites traces brunes et rougie d'embarras me donne envie de sourire, constamment. J'aimerais le prendre dans mes bras pour le rassurer, apaiser ses peurs et calmer ses doutes. Je me retiens par peur de le heurter, de l'effrayer mais si je m'écoutais, j'aurais déjà goûté à la douceur de ses lèvres. Tout chez lui m'appelle, comme si chaque parcelle de Kasper était faite pour que je la désire. C'est insensé, non ? Incompréhensible.

— J'étais avec toi, soupire-t-il.

Je ferme brusquement les yeux, envahi par un raz-de-marée de sentiments. Mon cœur palpite, martèle ma poitrine et malmène mon self-control.
Mon front retombe doucement contre le sien, son souffle chatouille ma peau. Un douce odeur sucrée s'élève jusqu'à moi, les effluves de son parfum et l'arôme fruité de sa peau. C'est enivrant, déstabilisant.

— Kas... Kas, tu ne peux pas me dire de telles paroles, murmuré-je, luttant contre moi-même.

— Pourquoi ?

— Tu ignores tellement de choses. Tellement...

— Alors dis-moi.

Je suis surpris par son audace, étonné par son aplomb mais bordel, j'aime ça. Il est mal à l'aise, tremble contre le tronc d'arbre et fait vibrer mon corps qui se trouve trop près du sien, mais il ne se démonte pas. Non, il maintient mon regard de ses beaux yeux emplis de timidité. Je suis à deux doigts de craquer.

— Tu n'imagines pas ce que tu me fais. Tu ne sais pas ce que je ressens quand tu me regardes comme ça. Je suis désolé ; désolé de ressentir ça. Ça me rend coupable.

— Mais, je... tu as dit que... je te plaisais ?

Le son de sa voix me fait frissonner et j'ai l'impression de revenir en arrière. Me revoilà quelques années plus tôt lorsque mes désirs d'adolescent m'empêchaient de penser rationnellement. Il est dans l'incompréhension, sa moue tristounette assèche ma gorge.

— C'est le cas, mais je ne veux pas te contraindre, tu comprends ?

— Non, soupire-t-il en baissant la tête, m'incitant à faire un pas en arrière. Parce que... je... je crois que... je ressens ça, aussi.

Il veut ma mort, vraiment, il souhaite me tuer à coups de regards intimidés, de sourires gênés, de mots hésitants et de souffles saccadés.

— Kas, j'ai envie de...

Mes mots se meurent dans ma gorge lorsqu'une explosion éclate dans l'air, tel un coup de fouet. Je comprends rapidement qu'il s'agit du feu d'artifice qui commence et je suis surpris de me rendre compte que minuit est déjà arrivé. Le temps passe trop vite lorsqu'on est en bonne compagnie.
Un sursaut brutal agite Kasper lorsqu'un second bruit s'élève, puis trois, quatre et cela ne s'arrête plus. Le visage juvénile de mon Kas est ruisselant de larmes et sa respiration est lourde. Ses mains s'agrippent à mes bras, si fort qu'il me griffe la peau.

— Ma mère..., articule-t-il difficilement. Je dois... je dois trouver ma... mère.

— Quoi ? Pourquoi ?

La panique me gagne, il est terrifié. J'essaie de réfléchir le plus rapidement possible mais rien ne vient. J'ai beau être apte à le secourir s'il se blesse, je suis supposé faire quoi face à toute cette terreur ?

— Elle a... les boules Quies.

Mon Dieu.
Les fils se touchent enfin, je comprends que le bruit du feu d'artifice lui fait peur, comme l'orage. Bien sûr, c'est évident !

" Je n'aime pas... c'est trop brutal, trop fort. "

Ce sont les mots qu'il a prononcé l'autre jour. En fait, Kasper n'a pas peur de l'orage, ce sont les bruits trop violents qu'il n'aime pas.

Instinctivement, mes paumes se plaquent sur ses oreilles alors que nous sommes éclairés par un tas d'étincelles colorées. Le bleu, le rouge, le vert, toutes ces teintes qui effleurent sa peau et font briller les larmes qui roulent sur ses joues. Il est tristement beau. Les traits de son visage se détendent très légèrement alors que j'étouffe le vacarme pour tenter de l'apaiser. Un pâle sourire se dessine sur ses lèvres et ses iris se lèvent lentement pour admirer la beauté du ciel. Je n'ai pas besoin de regarder pour savoir que c'est magnifique. Le visage de Kasper qui s'illumine et ses yeux qui changent de couleur en fonction des feux qui éclatent dans le ciel m'affirment que le spectacle est à couper le souffle.
Mes yeux s'égarent lentement vers ses lèvres entrouvertes, ces deux courbes pleines, roses, parfaites. Ma peau se met à crépiter, comme si mon sang était devenu lave. Je n'en peux définitivement plus, j'ai besoin de ça, j'ai besoin de Kasper.
Le plus lentement possible, je me baisse vers lui. Nos souffles se mêlent jusqu'à s'échouer sur la peau de l'autre. Ma langue passe sur mes lèvres afin de les humidifier et le regard bleu de celui dont je suis tombé amoureux trop rapidement trouve le mien, à l'instant où je dépose tendrement ma bouche contre la sienne.
Je suis faible, mais ce qui explose en moi à l'instant où nous entrons en contact me fait défaillir et ma conscience me hurle qu'il était temps.
Les doigts de Kasper se resserrent sur mes avant-bras, puis un soupir vient s'échouer contre mes lèvres alors qu'il accepte mon baiser.

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