Chapitre 18 :

8 minutes de lecture

18 juillet 2021.

Silas :

Lorsqu'on arrive au stand de tir à l'arc, Kasper est légèrement crispé. Il n'y a pas grand monde ce matin, je m'en doutais et cela m'arrange. Les vacanciers ont veillé tard, l'alcool ayant coulé à flot, c'était évident qu'en ce milieu de matinée, rares allaient être ceux qui se lèvent pour une quelconque activité.
Je me rends vers mon collègue afin de nous inscrire sur la liste prévue à cet effet, alors que Kas patiente un peu plus loin

— Salut Silas, lâche Pablo, je ne m'attendais pas à te voir si tôt après cette courte nuit.

— Il faut ce qu'il faut, m'amusé-je en griffonnant le papier.

Par automatisme, je lis les noms écrits sur la fiche de présence et mes sourcils se froncent lorsque j'aperçois celui de Mathias. Je jette un coup d'œil à mon Kas, qui se cache derrière ses lunettes et finalement, je décide de ne pas m'en préoccuper. Je lui ai bien fait comprendre que cet été, je n'ai qu'une chose en tête et il n'en fait pas partie.

— Tu sais t'y prendre ? m'interroge Pablo en déposant un arc sous mes yeux.

— Oui, enfin, je ne suis pas pro mais je me débrouille pas mal, m'amusé-je.

Il acquiesce en souriant puis lève la tête vers mon partenaire de jeu.

— Hum... attends, il t'en faut un plus petit pour le gamin Price. Il ne s'en sortira jamais avec un truc aussi grand !

Un éclat de rire m'échappe et une tout autre pensée me traverse l'esprit. Je me ressaisis rapidement, me maudissant intérieurement d'avoir songé à une stupidité pareille. Mon collègue me zieute avec des yeux arrondis et une légère rougeur sur les joues. Il a évidemment compris le double sens de cette phrase, chose que Kasper n'aurait probablement pas saisie, et heureusement ! Je me sens coupable d'avoir imaginé ne serait-ce qu'une seconde une telle scène. Ce n'est pas bien, pas avec Kas. Non, jamais avec Kas. Du respect et de la douceur, voilà, les deux seules choses qui comptent avec lui.
Pablo se racle la gorge et se détourne pour me tendre un arc d'une taille en dessous du mien, puis des flèches et l'attirail qui va avec.

Quelques instants plus tard, mes pensées vagabondes effacées et une mission bien précise en tête, je rejoins Kas en souriant.
Ses yeux fixent les arcs d'un air douteux puis retrouvent les miens alors qu'il pince fortement sa lèvre entre ses dents.

— Je n'arriverai jamais à... manier cette... chose, bredouille-t-il en paniquant déjà.

— Je vais t'apprendre, m'enthousiasmé-je, ça va être drôle, tu verras.

Les mains prises, je ne peux pas attraper ses doigts pour le faire me suivre alors je lui intime d'un petit sourire et d'un mouvement du menton. J'observe les plusieurs cibles qu'il reste de libre et opte pour celle à un mètre cinquante de distance. Pour commencer, c'est parfait. Je pose mon barda sur les socles prévus à cet effet et me tourne vers Kasper. Ses doigts tremblent et son regard voyage partout où se trouvent les vacanciers. Je fais de même, jusqu'à ce que Mathias se dessine un peu plus loin, il est accompagné de deux personnes et ri beaucoup trop fort. Je lève les yeux au ciel, pour me recentrer sur Kas. Je tends la main pour attraper son poignet et l'inciter à me regarder.

— Ça va aller, d'accord ? Respire. Et tu sais quoi ? Concentre-toi sur moi seulement. Il n'y a que toi et moi ici, oui ?

Il hoche lentement la tête avant d'inspirer doucement. Un pas en avant et le voilà à quelques centimètres de mon corps, tête levée vers moi et joues rosies. S'il savait seulement ce qu'il se passe en moi, chaque fois qu'il m'observe de cette façon. Ses yeux d'une profondeur océanique me perturbent exactement de la même façon que la première fois. Je me penche légèrement vers son visage, me retenant de déposer mes lèvres sur le bout de son nez.

— On part quand tu veux, lui murmuré-je. Si tu sens que c'est trop dur pour toi, tu me le dis et on s'éclipse.

— Oui, souffle-t-il en mordillant sa lèvre. Je suis prêt...

Il n'en a pas conscience, mais je suis très fier de lui. La semaine dernière, l'amener ici aurait été impensable. Il a déjà fait pas mal d'efforts en si peu de temps.

— Tu me... montres ? demande-t-il doucement, en pointant le matériel du doigt.

— Avec plaisir !

Je me place face à la cible, évaluant la distance et récupère l'arc. Le dos bien droit, les jambes légèrement écartées, j'encoche la flèche et la maintenant solidement entre mes doigts. J'inspire lentement, lève les bras, tire sur la corde puis bloque ma respiration. J'attends quelques secondes, vise le plus nettement possible et enfin, je relâche tout. La flèche traverse le terrain, termine sa course sur le cercle rouge près du centre de la cible et un sourire fier se dessine sur mes lèvres.

— Waw..., souffle Kas, c'est juste un coup de chance !

Amusé, je pivote vers lui et hausse un sourcil.

— Tu vas me vexer ! ricané-je en m'approchant. Ce n'est jamais de la chance avec moi. Je suis doué, c'est tout.

— Prétentieux...

— Insolent.

Il pince les lèvres en haussant les sourcils et cela m'amuse. Il a enfin l'air détendu, j'aime bien le voir ainsi.

— À ton tour !

Ses yeux s'arrondissent alors qu'il déglutit. Je lui souris et l'emporte avec moi face à la cible. Son arc en main, je lui tends, ainsi que la flèche et j'attends. Il observe le tout dans tous les sens et lève un regard intimidé vers moi.

— Je ne sais pas comment m'y prendre...

— Ce n'est pas difficile tu verras, lui assuré-je en me plaçant derrière lui.

Mon pied passe entre les siens afin qu'il les écarte légèrement. Les bras le long du corps et l'arc en main, Kasper se laisse docilement faire.

— Tes pieds doivent être alignés à la largeur de tes épaules, murmuré-je près de son oreille. Elle équivaut à celle de tes hanches.

Sa peau frémit alors que mes mains passent sur ses épaules, glissent jusqu'à son bassin pour le positionner de façon à ce que son corps soit parfaitement en place face à la cible. Ses jambes s'écartent naturellement et il baisse la tête pour observer ses pieds.

— Comme ça ? souffle-t-il alors qu'il tremble légèrement.

— Oui, c'est parfait.

Je suis si proche de lui que mon souffle vient s'échouer sur son cou et parsème sa peau de légers frissons.

— Regarde face à toi, respire tout doucement et ensuite, tourne la tête vers la cible.

Il obéit, inspire et expire plusieurs fois, puis son regard se rive vers son objectif. Ses mèches viennent doucement chatouiller mon visage tandis que mes mains glissent avec lenteur vers les siennes. Je lui fais relever les bras, les plaçant correctement en effleurant sa peau.

— Maintenant, lui susurré-je à l'oreille, bloque ta respiration, ferme l'oeil gauche et fixe bien le centre de la cible puis décoche, tout ça sans respirer.

Son souffle se coupe, son torse se bombe et son corps se tend contre le mien.

— Silas ! Les vêtements de ville te vont nettement mieux que l'uniforme du camping, résonne une voix dans mon dos, faisant sursauter Kasper à l'instant où il relâche la corde de son arc.

Les mâchoires serrées, je fixe la flèche prendre une tout autre trajectoire que celle visée initialement. Kas se met à trembler alors que mes mains caressent encore ses bras. Tête baissée et les joues rouges d'embarras, il s'éloigne de moi. Lentement, je pivote vers l'inopportun qui a troublé ce moment.

— Mathias, dis-je d'un ton froid alors que mon regard se fait mauvais.

Il sourit de toutes ses dents tandis qu'une main passe dans ses cheveux noirs.

— Bonjour Kasper, prononce-t-il en insistant sur son prénom.

Ce dernier lève un regard intimidé vers lui, puis vers moi et reprend la contemplation de ses chaussures.

— Bon.. bonjour, chuchote-t-il en triturant ses ongles.

Mathias pouffe de rire en le détaillant de la tête aux pieds.

— On dirait un animal blessé, déclare-t-il en se tournant dans ma direction.

Mon humeur s'assombrit brusquement. Que cherche-t-il ? Je pensais avoir été clair avec lui. Je suis de nature gentille mais s'il ne comprend pas, je vais probablement devoir m'énerver.

— Qu'est-ce que tu veux ? demandé-je la voix tendue.

— Rien, fanfaronne-t-il, je pensais simplement à nos bons moments de l'année dernière et je me disais qu'il fallait remettre ça.

Instinctivement, mon regard cherche celui de Kasper. Ce dernier fixe ses pieds en se mordant l'intérieur de la joue, le corps tremblant et le souffle saccadé.

— Je t'ai déjà donné ma réponse hier, cinglé-je.

— Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis.

— Et bien, visiblement je suis bête comme mes pieds.

Mathias ricane puis fait volte-face en levant la main.

— À plus, Kasper !

Les poings serrés, je le regarde partir avec l'envie de lui en coller une, ce que j'aurais probablement fait si je n'étais pas avec Kas. Si je trouvais ce mec sympa, désormais, je l'exècre.
Un moment se passe sans que ni Kasper, ni moi n'amorçons le moindre geste, puis finalement je m'approche de lui pour caresser son poignet.

— Excuse-moi, je...

— Je vais rentrer, lâche-t-il tout à coup.

Mon corps se crispe. Non, je ne veux pas qu'il parte.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Je... je vais, je dois...

— Eh, Kas. Je suis désolé, d'accord ?

Je l'incite à relever la tête en passant mon doigt sous son menton. Lorsque son visage me fait face, ses yeux sont embués et mon cœur se serre.

— Si tu veux... aller avec... lui, je... je comprends, dit-il péniblement. Tu peux... y aller, je vais...

— Quoi ? Mais non, pas du tout, Kas.

Mes mains encerclent son visage afin de caresser ses pommettes de mes pouces.

— Je vais... te laisser. Je dois... je dois rentrer.

— Arrête, soupiré-je en tentant de le calmer. Je m'en moque de lui, c'est un crétin.

Ses yeux se ferment alors qu'une larme s'échappe pour venir se perdre sur mon doigt.

— Kas, regarde-moi, s'il te plaît.

Il secoue la tête, croque brusquement dans sa lèvre alors qu'elle se met à trembloter. C'est douloureux de le voir ainsi. Intérieurement, j'insulte Mathias de tous les noms possible et inimaginables.
Les doigts de Kasper s'enroulent autour de mes poignets alors qu'il m'éloigne de son visage. Peiné, je le laisse faire sans protester. Je n'ai pas envie de l'effrayer.

— J'y vais... réussit-il à dire alors qu'il fait plusieurs pas loin de moi.

Mon cerveau s'échauffe. Que dois-je faire maintenant ?

— Eh, attends...

Je tente de récupérer sa main mais il l'éloigne en prenant de la distance.

— Laisse-moi, Silas... s'il te plaît.

Je reste figé, perdu et déçu. Son regard triste trouve le mien. Il s'y accroche quelques secondes avant de partir à toute vitesse, tête baissée. Je le regarde faire, le cœur battant de désespoir.
Planté au milieu du terrain de tir, je ne sais absolument pas ce que je dois faire. J'ai la haine.

— Putain, grogné-je en passant une main dans mes cheveux.

Mathias est un gros con !

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0