Chapitre 25 :

9 minutes de lecture

22 juillet 2021, fin d'après-midi.

Kasper :

Lentement, je m'éloigne de Silas afin de l'examiner. Un sourire éclatant est dessiné sur ses lèvres alors qu'il fixe un point dans mon dos. Je suppose qu'il observe la personne qui visiblement me connaît, mais le son de cette voix m'est inconnu. J'ignore qui se tient près de nous, mais le visage rayonnant de mon vis-à-vis me laisse penser que cette intrusion ne lui déplaît pas.

— Je pensais que tu n'arrivais que demain, s'exclame Silas en penchant la tête sur le coté.

— Ça devait être le cas, mais mon dragon de patronne m'a laissé ma journée alors je me suis dit " pourquoi pas ", répond le second dont je ne connais toujours pas l'identité.

Le regard vert de Silas se pose sur moi, son expression change légèrement, s'adoucit davantage lorsqu'il parcourt mon visage. Ce simple geste me détend un peu. Sa façon de m'admirer me rassure. La présence de cette personne n'a aucun effet sur son comportement envers moi. Il baisse un peu la tête, jusqu'à ce que son souffle m'effleure.

— Ne te tracasse pas l'esprit, murmure-t-il. J'entends déjà toutes les pensées qui t'envahissent. Mais avant de prendre peur, sache que ce n'est pas un Mathias et souviens-toi que tu es le seul qui compte.

— C'est pas sympa ça, grogne la voix qui s'est relativement approchée de nous.

Silas jette un coup d'œil par-dessus mon épaule, un sourire moqueur aux lèvres avant de me regarder à nouveau.

— On est daccord ? insiste-t-il sur un ton doux.

— Je... euh... oui, soufflé-je.

— Parfait, approuve-t-il en posant un baiser sur ma joue.

Ses mains se posent sur mes épaules et lentement, il me fait pivoter vers l'inconnu qui patiente. Mes yeux s'arrondissent lorsque je remarque qu'il est beaucoup trop près de moi. Mon souffle se coupe alors que je lève la tête vers un visage à la peau basanée, d'énormes yeux bruns et des cheveux presque rasés, aussi sombres que le charbon. Intimidé par cette proximité, je fais un pas en arrière. Mon dos rencontre le torse de Silas et ses doigts se referment sur ma hanche pour me maintenir contre lui.

— Félix, sourit ce dernier en me tendant une main amicale, j'espère que tu sais qui je suis !

— Euh... non, désolé, bredouillé-je en fixant ses doigts qu'il secoue sous mon visage.

Je lui serre la main, exerçant une légère pression tandis qu'il enserre ma paume d'une poigne assurée et un peu trop forte pour moi.
Sa simple présence me met mal à l'aise. Pas parce qu'il semble désagréable, il paraît même très aimable à sourire de façon chaleureuse mais sa carrure m'oppresse. Si Silas est grand, large d'épaule et a la musculature déjà bien développée, ce fameux Félix prend encore plus de place. Tout en hauteur et en assurance, il me fait presque peur.

— Silas ! peste-t-il. Tu ne lui as pas parlé de moi ? Je suis outré, blessé même !

Un ricanement fait vibrer la poitrine de Silas contre moi, tandis que son menton se pose sur mon épaule.

— Toutes mes excuses, Sir, s'amuse-t-il, je pensais avoir jusqu'à demain pour le faire.

— Bien, je vais devoir me présenter seul. Je suis le meilleur ami et colocataire à mi-temps de cet idiot dans ton dos. Toi, tu es Kasper, pas besoin de confirmer, je le sais et j'ai entendu parler de toi, beaucoup, énormém...

— Ça suffit, je crois qu'il a compris, le coupe Silas d'un ton léger.

Mes joues sont brûlantes, je me sens minuscule, coincé entre ces deux corps puissants. Le fait que Silas ne m'ait pas prévenu de l'arrivée de son ami me chagrine un peu. J'aurais aimé me préparer mentalement avant de me retrouver face à cet inconnu. Dans un élan de courage, je lève le regard vers Félix afin de le détailler, profitant du fait que son attention soit portée sur le brun derrière moi. Ils échangent quelques mots que je n'écoute pas, tandis que je commence à me demander si leur relation est purement amicale. Ils ont l'air très proches, et les paroles de Félix résonnent dans ma tête. Qu'est-ce que ça signifie : colocataire à mi-temps ? J'aimerais poser la question mais je n'en ai pas la force.
Les doigts de Silas impriment une petite pression sur ma hanche et me font tourner la tête vers lui. Mon nez frôle le sien alors qu'il sourit contre mes lèvres. Le menton toujours sur mon épaule, nous sommes affreusement près l'un de l'autre et la présence de son ami m'intimide.

— Je vais amener Félix jusqu'à mon bungalow pour qu'il dépose ses affaires, déclare-t-il. Tu viens avec nous ? Je n'ai pas envie de te laisser filer maintenant.

Mon regard dévie vers le sac de sport qui traîne sur l'herbe, ainsi que l'étui de ce qu'il me semble être une guitare. Je ne les avais pas vus jusqu'ici, focaliser sur les deux personnes présentes avec moi.

— Euh... je devrais peut-être rentrer... pour te laisser avec ton ami.

— Tu as entendu ce que je t'ai dit ? me demande doucement Silas. Je ne veux pas que tu partes maintenant, on ne s'est pas vu de la journée et ça fait à peine quinze minutes que tu es avec moi.

Sa mine boudeuse me donne mal à l'estomac. Il est beau, qu'il sourit ou non. Chaque trait de son visage est agréable à regarder, tandis que je dois paraître bête et insignifiant en comparaison.

— Je ne veux pas... déranger.

— Tu ne dérangeras pas, m'assure Félix. Les amis de Silas sont les miens !

Ami.
Ami.
Ami.

Ce mot s'entrechoque entre les parois de mon crâne, faisant souffrir mon cœur par la même occasion. Figé, j'attends que Silas le contredise pour calmer l'angoisse qui m'étreint, pourtant rien ne vient et ma tête s'embrume.

Est-ce ainsi qu'il me voit ? Me suis-je mépris depuis le début ? Il n'est pas mon ami. Je refuse qu'il le soit. Ce que je ressens pour lui n'est pas de l'amitié, non, ce n'est en rien comparable à ce que j'éprouve pour Vinny et Jonathan. Mais, est-ce en tant que tel que me décrit Silas ?

— Kas, souffle ce dernier à mon oreille, tu es tout crispé. Détends-toi, tout vas très bien.

Ma respiration se saccade, tandis que mon cœur martèle mes côtes. Mes tempes battent fortement et mes doigts tremblent. Silas récupère doucement mon poignet pour me faire pivoter vers lui. Il cherche mon regard en baissant la tête vers moi, pourtant je persiste à le fuir. Je me sens mal, honteux d'avoir imaginé des choses qui ne sont visiblement pas identiques pour lui.

— Kasper, m'interpelle-t-il, qu'est-ce qui ne va pas ?

Je reste muet, les yeux dans le vague et incapable de dire quoi que ce soit. Le rythme effréné de mon palpitant me rend nauséeux.

— Excuse-nous un instant, dit-il à Félix avant de m'attirer à l'écart.

Lorsque son ami est assez loin pour ne plus nous entendre, ses paumes viennent englober mes joues, m'incitant ainsi à l'affronter.

— Kasper, je sens que tu t'égares et je n'aime pas ça, dis-moi ce qui te perturbe.

— Je... je, tu...

Mes yeux se voilent de larmes. J'aimerais lui poser la question, l'interroger sur notre relation. Je souhaite qu'il me rassure, qu'il dissipe mes doutes en m'assurant que je ne suis pas un simple ami, qu'entre lui et moi, les choses sont vraies, que mes sentiments sont partagés. J'aimerais lui dire que je l'aime, car c'est une vérité que je ne peux négliger, pour qu'ensuite il me souffle que c'est réciproque. Pourtant, malgré mes envies de communiquer, aucun mot ne passe mes lèvres. La tendresse qu'il dégage lorsqu'il me regarde, la douceur qu'il met dans ses baisers, cela ne peut pas être de l'amitié. À moins qu'il s'amuse depuis le début, cherchant à combler son temps libre et profiter de son été avec ma naïveté et moi. En y pensant bien, j'ai été idiot. Ses douces paroles m'ont apaisé lorsqu'il les a prononcées mais en y réfléchissant plus ardemment, je ne suis qu'un campeur à qui il dira au revoir à la fin des vacances. Kate a dit que certaines relations n'étaient pas faites pour durer mais je suis tombé amoureux de lui sans même le remarquer. Il va me laisser partir lorsque l'été sera terminé et moi, moi, comme un crétin je lui ai donné mon cœur et je l'ai presque supplié de me... de quoi, au juste ? Me toucher ? Me caresser ? Ou plus encore ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je ne veux pas être l'ami de Silas, je veux être celui qu'il aime ! Je veux, pour la première fois, sortir de l'ombre et être celui qu'on adore et qu'on chérit. C'est ce qu'il fait d'une certaine façon, mais je ne veux pas de cette éphémérité.

— Félix n'est pas Mathias, soupire-t-il, il ne te fera aucun mal et je peux t'assurer qu'il n'y a rien entre lui et moi. Nous sommes meilleurs amis depuis des années et jamais je ne l'ai désiré, et ça n'arrivera pas. D'ailleurs, si ça peut te rassurer, il est hétéro et fiancé depuis des mois.

J'écoute ce qu'il me dit, mais mon cerveau n'assimile pas vraiment le sens de ses propos. Il pense que je suis jaloux ? C'est probable. Je le suis peut-être parce que Félix, comme Mathias et encore tant d'autres ont ce que moi je n'ai pas. Ils ont l'assurance et la beauté, le courage et sûrement l'expérience dont je manque. Eux, ont sans doute le courage d'avouer ce qu'ils ont sur le cœur, mais pas moi. Moi, je ne peux pas laisser s'étaler mes sentiments parce que les mots refusent de coopérer, comme s'ils me fuyaient chaque fois que j'essaie de parler.

— Je... Silas, je... ne me sens pas très bien, parviens-je à dire. Je crois qu'il est... préférable que je... rentre.

Son pouce effleure ma peau, tandis que son visage s'attriste.

— Tu es malade ? Tu as mal quelque part ?

— Je... non, c'est juste que je suis... fatigué.

Il fronce les sourcils, me scrute pendant de longues secondes puis se penche vers moi pour apposer son front contre le mien.

— Tu es certain que ce n'est pas à cause de Félix ? Ne me fuis pas comme tu l'as fait avec Mathias, s'il te plaît. Ça n'a absolument rien à voir, lui est un crétin, mais Félix est comme un frère pour moi.

— Non, soufflé-je la gorge nouée, ce n'est pas... ça.

— Tu me le promets ? Si vraiment ça te pose un problème et que tu te sens menacé, tu as le droit de m'en parler. Kas, je ne veux pas que tu m'échappes.

Je ferme les yeux, retenant les larmes que je refuse de faire couler face à lui. J'ignore ce que je représente à ses yeux. J'ai bien compris qu'il m'apprécie et qu'il éprouve du désir pour moi. Je sais aussi qu'il fait tout pour ne pas me brusquer, que ses gestes sont empreints de calme et de douceur mais si pour lui, cela n'a de sens que pour les deux mois de vacances, alors ce n'est pas suffisant. Emporté par toutes ces nouvelles sensations, ces émotions galvanisantes, j'ai préféré mettre de coté ce temps réduit qui nous a été donné mais je ne pensais pas l'aimer si fort et si vite. La discussion que j'ai eu avec Kate ne me rassure plus, en réalité, désormais, elle me terrifie.

Je ne veux pas être ton ami, Silas. Rassure-moi, et dis-moi qu'en septembre, toi et moi on s'aimera encore !

C'est si facile de le penser, si difficile de le dire.

Honey, reste avec moi...

J'ouvre à nouveau les paupières, inspire profondément et ancre mon regard au sien. Un sourire crispé orne mes lèvres, tandis qu'intérieurement, je hurle.

— Tout va bien, dis-je avec calme, je vais juste aller me reposer.

Étonné par ma capacité à finir ma phrase sans bégayer, j'écarquille les yeux une seconde avant de me ressaisir. Silas semble rassuré, mais le doute reste présent dans ses yeux.

— D'accord, cède-t-il en soupirant. Envoie-moi un sms quand tu te sentiras mieux.

J'acquiesce, restant désormais silencieux pour ne pas me mettre à pleurer. Ses lèvres se posent sur les miennes pour un baiser rapide mais appuyé. Mon cœur souffre le martyr et je me sens minable de ne pas parvenir à discuter. Ce n'est, de toute façon, pas le moment idéal pour une telle conversation. Son ami est là et l'attend.

— Tu promets, Kas, qu'il n'y a pas de malaise ?

— Promis, lâché-je en un souffle.

— Très bien. Alors, on se voit demain, pour le film ? Et même avant, ajoute-t-il prestement, oui, avant aussi, si tu veux.

— D'accord.

Il me fixe encore, les sourcils légèrement froncés puis expire son air contre mon visage et je comprends qu'il capitule enfin. Un nouveau baiser rencontre mes lèvres, un peu plus long que le précédent, puis lorsqu'il s'éloigne, je me détourne pour fuir, parce que c'est la seule chose que je parviens à faire.

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