Chapitre 26 :

10 minutes de lecture

22 juillet 2021, dans la soirée.

Silas :

Les yeux rivés sur la bouteille de bière qui traîne sur la table de salon, je rumine en pensant à Kasper. Il me manque. Je ne l'ai pas suffisamment vu aujourd'hui et son état lorsqu'il m'a quitté m'inquiète.
Je n'ai pas aimé la façon dont il me regardait, comme si quelque chose le chagrinait, sans qu'il ne parvienne à me le dire. Je lui ai envoyé un texto pour savoir s'il se sentait mieux, mais mon téléphone demeure silencieux. Peut-être s'est-il endormi.

— Tu n'as pas grand-chose à me dire, grogne Félix installé près de moi. Après toutes ces semaines sans se voir, je m'attendais à ce que tu sois plus bavard.

— On s'est téléphoné plusieurs fois et pendant des heures ! Que veux-tu que je te dise de plus ?

— Sérieusement ? s'offusque-t-il en quittant la banquette sur laquelle nous sommes assis.

Il se dirige vers le réfrigérateur pour en sortir deux nouvelles bouteilles de bière. Il en décapsule une qu'il me tend puis prend place sur le petit fauteuil, face à moi. Ses coudes sur les genoux, il se penche en arquant un sourcil.

— Tu te comportes comme un crétin, Silas.

Je le fixe un instant, puis soupire en m'enfonçant contre le dossier du canapé.

— T'as raison, soufflé-je, pardon. Je suis vraiment content de te voir.

— Hum, passons. Raconte-moi plutôt pourquoi tu tires cette tronche de chien mouillé depuis tout ce temps.

— C'est juste que Kas semblait préoccupé et je me demande bien pourquoi.

— Enfin ! Un sujet, intéressant, s'exclame-t-il en se redressant.

Ses paumes tapent sur ses cuisses tandis qu'il étend ses jambes sur la table de salon.

— Il était temps que tu me parles de lui ! Je pensais devoir te mettre le couteau sous la gorge pour que ça arrive. Maintenant, explique-moi ce qui t'a poussé à te mettre dans une telle embrouille.

J'avale une gorgée de ma boisson en ne quittant pas les yeux de Félix. Ses iris bruns me scrutent avec intérêt et impatience. Je lui ai déjà parlé de Kasper, brièvement, contrairement à ce qu'il lui a fait croire, mais je n'ai pas eu le courage d'exposer les faits. Moi aussi je peux me montrer trouillard parfois, mais face à mon meilleur ami, c'est difficile de garder des secrets.

— Ce n'est pas une embrouille, contré-je en grimaçant. Il est toujours dans ma tête, c'est dingue, ça me rend presque bon à rien.

— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? Dans le détail, je veux dire.

— Parce que tu me répètes sans cesse que je m'attache trop rapidement.

— Mais c'est le cas, Miller. Regarde toi avec ce gosse !

— Avec lui, c'est différent.

C'est la vérité. Ce que je ressens pour Kas est incomparable à tout ce que j'ai pu ressentir jusqu'ici. Je ne peux pas vraiment mettre de mots dessus, si ce n'est que je suis fou de lui.

— Je le sais, soupire-t-il. Je l'ai compris dès que j'ai vu comment tu le regardais tout à l'heure. C'est justement ça, le problème.

— En quoi est-ce un problème ?

Je fronce les sourcils, tentant de comprendre ce qu'il cherche à me dire. Avec Félix, c'est tout ou rien. Soit il dit franchement les choses, quitte à paraître désagréable ; soit il fait en sorte de nous faire réfléchir jusqu'à ce qu'on trouve soi-même les réponses.

— T'es amoureux, Silas, et en plus t'es con. Les anglais ont vraiment le cerveau ramolli. T'as même pas compris pourquoi ton cher et tendre était si désaxé en partant.

Je lui lance un regard noir qui le fait éclater de rire. Il se penche à nouveau, passe son bras par-dessus la table pour venir me cogner doucement l'épaule.

Shut up. What would you know about that ?You don't know him. Whatever. Tell me, if you're so clever ! What should I do ? ²

— Parle mon langage si tu veux que je t'aide, ricane-t-il. Quand tu angoisses, tes racines refont surface, c'est hilarant ! Puis, quelle agressivité, détends-toi !

Ma main s'abat sur mon front, il me fait tourner en bourrique. Sait-il réellement pourquoi mon Kas était perturbé ? Si c'est le cas, moi, pourquoi n'ai-je pas compris ?

— Félix..., soupiré-je, tu veux bien être plus clair ? Tu vas me donner mal au crâne, je t'en prie, va à l'essentiel.

— Tu t'es mis dans une sacrée situation de merde ! Ce Kasper a l'air top, il est charmant avec ses joues toutes rouges, on dirait presque un fraisier. Yeah, boy ! Un gâteau que tu aimerais croquer mais il est surtout beaucoup trop fragile pour une relation comme la vôtre.

— Quoi ? Non, il a fait beaucoup d'efforts. Je fais tout pour le mettre à l'aise, pour l'apaiser, parce que je veux qu'il se sente bien avec moi. Il n'est pas fragile, il est juste timide. Ça se combat l'introversion, et il apprend plutôt rapidement. Avant, il ne sortait même pas de son bungalow.

Félix incline la tête pour étudier mes propos, puis avale une gorgée de sa bière en fronçant les sourcils. Après un silence de plusieurs secondes, il enjambe la table pour reprendre place à mes côtés. Son bras se pose sur mes épaules tandis qu'il se penche vers moi.

— Je te connais, je sais que tu fais ce qu'il faut et que tu te comportes très bien avec lui. Ce n'est pas vraiment à ça que je faisais allusion. Réfléchis, Silas.

— Alors, quoi ? me lamenté-je.

— Tu penses au " pendant " et c'est très bien, mais après ? Sil, tu jongles sans cesse entre ici et Hastings. Quand tu ne travailles pas, tu es sur les bancs de la fac. Et lui, il est d'où ? Est-ce qu'il vit près de chez nous au moins ?

Nous n'avons jamais abordé ces sujets avec Kas, pas parce que ça ne m'intéresse pas mais plutôt parce que j'essaie de ne pas trop y penser. Au début de la saison, lorsque je lui ai proposé de m'accompagner pour cet été, j'étais persuadé que nous allions passer du bon temps et qu'ensuite, on reprendrait le courant de nos vies. Mais désormais, je ne peux plus imaginer faire une croix sur ce que je ressens et repartir à mes petites affaires comme si de rien n'était. C'est égoïste, en réalité. J'ai été égoïste parce qu'être avec lui me rend heureux et j'en ai besoin. C'est dorénavant impensable de le savoir si près de moi sans profiter de sa présence.

J'adore Félix, il est le frère que je n'ai jamais eu, mais je le déteste aussi, parce qu'il est toujours celui qui me fait redescendre sur terre lorsque je plane à trop haute altitude. C'est une bonne chose en soi, mais ce n'est pas toujours agréable parce que penser à la fin de l'été et à Kas qui s'éloigne de moi me brise le cœur.

— Il vit à plusieurs heures d'ici, soupiré-je, je l'ai vu sur les fiches de Marco.

— Rassure-moi, tu vois bien où est le problème, n'est-ce pas ?

Obviously, I'm not that stupid, but...³

Je me tais, me rendant bien compte que la panique me gagne. C'est idiot, mais j'ai tendance à perdre mon français chaque fois que les émotions me submergent. Jusqu'ici, ce n'est arrivé qu'une fois parce que Kasper m'a rendu malade d'amour. Avec Félix, c'est différent, il me fait devenir dingue parce qu'il sait exactement quel sujet il doit aborder pour titiller mes nerfs et me forcer à faire face à ce que je tente d'oublier.

— Je n'ai pas envie de le faire souffrir, me plains-je en massant mes tempes. Je veux son bien, c'est la seule chose qui compte pour moi.

— Vous avez déjà parlé de ce qu'il se passera à la rentrée ?

— Non. Je n'ai pas envie de penser à la fin, je veux juste l'aimer.

— Rien ne t'empêche de le faire, et je suis sûr que tu le fais très bien mais est-ce que tu le voudras encore quand les études te prendrons la tête et que tes parents t'inciteront à retourner en Angleterre ?

— Oui, réponds-je sûr de moi. Je ne veux pas que l'on se quitte quand la réalité nous rattrapera.

Je pivote vers mon meilleur ami, la gorge nouée et le cœur en souffrance. Je ne voulais pas songer à ça ce soir, mais maintenant, les mauvaises pensées m'étreignent. Je sais comment rassurer Kasper, je sais quoi lui dire, comment caresser sa peau pour l'apaiser, mais je suis incapable de me calmer moi-même.

— Félix, je suis vraiment amoureux de lui, ce n'est pas passager. Je rêve de lui la nuit, je me demande sans cesse ce qu'il fait et s'il pense à moi. Je me demande s'il va bien, s'il ne se sent pas acculé par les autres et s'il est calme et apaisé.

— T'es dans la merde, Silas.

— Merci de me le rappeler, moi qui faisais tout pour ne pas y penser ! râlé-je en laissant tomber ma tête contre le dossier du canapé.

— Si ce n'est pas moi qui te fais réagir, alors qui le fera ? s'amuse-t-il.

— Je suis supposé faire quoi, maintenant ? Tu m'as embrouillé l'esprit. Je vais penser à ça chaque fois que Kasper sera face à moi.

— C'est là tout l'intérêt. Profiter, c'est bien, mais vous devez surtout vous mettre d'accord sur ce qu'il se passera ensuite. C'est pour ton bien, et celui de Kasper.

— Je sais, mais s'il souhaite qu'on mette un terme à ce que nous avons lorsque l'été sera fini ?

— Ce sont les risques, Silas. Tu le savais, dès le départ. Mais la question que tu dois te poser, c'est : est-ce que tu parviendras à maintenir une relation à distance si la situation l'exige ?

Je ferme les yeux, inspire profondément et ressasse le problème dans tous les sens. Je suis certain de ce que je ressens pour Kas. Plus que du désir, je l'aime comme si mon cœur réclamait le sien pour pouvoir battre. Ce n'était pas ainsi que j'envisageais les choses mais maintenant, c'est trop tard, je me suis enlisé jusqu'au cou.

— Oui, je peux faire ça. Si Kasper le veut, alors je pourrai le supporter, avoué-je finalement.

Félix claque sa paume contre ma cuisse, puis me donne un coup d'épaule pour me faire relever la tête.

— Maintenant, la seule chose qu'il vous reste à faire, c'est discuter ! Et si Kasper n'est pas de ton avis et qu'il préfère mettre un terme à votre relation après l'été, je serai là pour toi et ramasserai ton petit cœur amoureux et mutilé.

Je lui lance un regard en biais, puis éclate de rire pour alléger le sentiment d'oppression qui m'étreint.

— Merci, mon pote, soupiré-je, tu es la voix de ma raison. Mon âme-sœur !

— Ne dis jamais ça devant Cassandre si tu ne veux pas qu'elle te hurle dessus, pouffe-t-il en amenant le goulot de sa bière contre ses lèvres.

— Elle ne fait que râler, ça ne changera pas de d'habitude.

— On va se marier, déclare-t-il d'un ton faussement choqué. Il serait peut-être temps que tu t'y fasses !

— Tu sais que je l'adore ta mad woman !

Yeah, man !

Un éclat de rire m'échappe alors que ma tête retombe mollement contre l'épaule de mon meilleur ami.

— C'est bon de te voir.

— Ouais, ça fait du bien, même si ton accueil aurait pu être plus chaleureux, british de merde.

Un silence s'installe, tandis que mes pensées divaguent vers mon beau blondinet. Si le temps nous est restreint, je compte bien profiter de chaque seconde en sa présence.
Je me frotte les yeux, assailli par la fatigue, puis mon regard dérive vers l'étui qui traine dans un coin du petit salon. Je fronce les sourcils, perplexe quant à la présence de l'instrument.


— Félix ?

— Ouais ?

— Pourquoi t'as apporté ma guitare ?

— Elle prenait la poussière à l'appartement et un feu de camp sans guitariste n'est pas un feu de camp digne de ce nom ! s'exclame-t-il solennellement.

— Idiot.

— C'est toi l'idiot ! râle-t-il en levant brusquement son épaule pour que je me redresse. Tu n'as toujours pas compris pourquoi ton protégé était triste tout à l'heure ?

— Non, soupiré-je. Ça m'agace.

— T'es vraiment lent parfois ! Heureusement que t'as une belle gueule. J'ai dit : Les amis de Silas sont les miens. Ça te dit toujours rien ?

Je fronce davantage les sourcils, analysant ses mots jusqu'à ce qu'une petite lumière s'allume au-dessus de ma tête.

— Bon sang, je suis con, grogné-je. Pourquoi t'as dit ça, aussi ?

— Je voulais voir comment tu t'en sortais, mais visiblement t'es pourri. Si la dernière fois j'ai approuvé le fait que tu sois innocent quand tu m'as raconté pour ce Mathias, cette fois, je peux t'assurer que t'as merdé en beauté !

Je râle des propos inintelligibles en songeant à ma bêtise, tandis que Félix se moque de moi sans aucune discrétion. J'attrape mon téléphone sur la table en soupirant puis tente une nouvelle approche, en espérant que mon Kas ne m'en veuille pas.

Silas :
Tu n'es pas mon ami ! Excuse-moi d'avoir mis tant de temps à comprendre ton trouble.

J'attends, les yeux rivés sur l'écran en espérant qu'il me réponde. Mon cœur bat trop vite, mes doigts sont crispés sur le téléphone, ce qui amuse mon ami qui a la science infuse. Un sms apparaît et je retiens mon souffle.

Kas :
... :(

Silas :
Pardon. Tu n'es pas mon ami, sweetheart. Ma Douceur, je suis idiot parfois...

Kas :
Bonne nuit, Silas. ❤

2 : Shut up. What would you know about that ?You don't know him. Whatever. Tell me, if you're so clever ! What should I do ? = Tais-toi. Qu'est-ce que tu en saurais ? Tu ne le connais pas. Peu importe. Dis moi, si t'es tellement intelligent ! Que devrai-je faire ?

3 : Obviously, I'm not that stupid, but... = Évidemment, je ne suis pas si stupide, mais...

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0