Chapitre 28 :

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23 juillet 2021, dans la soirée.

Silas :

Les doigts sur les cordes de la guitare, mes yeux ne quittent pas ceux de Kas. Je n'ai pas encore commencé à jouer, pourtant, mon cœur s'est déjà relativement calmé par le simple toucher de mon instrument, mon souffle s'est allégé et un sourire ourle mes lèvres. Les flammes du feu de camp dansent sur le visage de Kasper, habillent son regard d'étincelles orangées et sa beauté n'a d'égale que la profondeur de ses iris. Installé entre Félix et Kate, il est face à moi, un peu gêné mais il garde la tête haute, me rendant fier de lui. Sa sœur ne se défait pas de son sourire éblouissant et je peux, une fois de plus, constater à quel point ils se ressemblent tous les deux.
Il y a peu de monde ce soir, mais tous sont agglutinés autour du socle brûlant. Les rires et la joie se ressentent, mais la seule qui m'anime c'est celle des mots que Kasper a prononcé dans la matinée. Il m'aime.

Marco fait grésiller son micro pour que le silence s'installe et d'une voix claire, il déclare que la projection du film aura lieu de l'autre côté du camping, à l'orée de la forêt et qu'il commencera à minuit. Les applaudissements s'élèvent, pour aucune raison finalement, mais l'enthousiasme des campeurs fait rire le patron. Ce feu de camp est relativement différent de celui qui a ouvert la saison estivale, il n'y a ni platiniste, ni piste de danse, moins de monde et une ambiance plus intimiste. La seule chose qui ne diffère pas du week-end dernier, c'est le bar d'appoint installé un peu plus loin. Thonyo y serre des verres à la pelle et sa bonne humeur réjouit les vacanciers.
Lorsque le calme retombe doucement, que les cris s'estompent, je relève le visage vers Marco qui me sourit en levant le pouce. Je comprends alors qu'il est temps de faire résonner la musique et mes doigts pincent les cordes de la guitare. Je ferme les yeux un instant, cherchant à faire le vide dans mon esprit pour pouvoir jouer de la plus naturelle des façons. Ce n'était pas prévu et je n'ai pas exercé depuis longtemps ; mais Félix, surexcité à l'idée de voir la réaction de Kasper, a suggéré à mon patron de me laisser l'opportunité de mettre l'ambiance à cette soirée. Marco a accepté sans réfléchir plus de dix secondes et me voilà maintenant, la chaleur des flammes léchant ma peau et la pulpe de mes doigts effleurant le cordage de l'instrument.
Les notes s'élèvent et résonnent doucement tandis que j'interprète Blackbird, me visualisant comme un membre successeur des Beatles. Je ne suis pas le plus doué, mais visiblement personne ne s'en plaint.

Les yeux de nouveau ouverts, je sens une présence à ma droite. Les effluves d'un parfum et l'odeur désagréable du Whisky m'informent qu'il s'agit de Mathias, sans que je n'ai besoin de me tourner pour vérifier. Ignorant sa personne, je cherche le regard de mon Kas qui s'est crispé. Les doigts de Kate sont emmêlés aux siens tandis qu'il me regarde d'une façon qui assèche ma bouche. Tout en ne cessant pas de jouer, je fixe sa beauté. Il brille au milieu de tout ce monde, ou alors, c'est simplement mon cœur amoureux qui me donne cette impression. Il a troqué ses lunettes de soleil pour un bandana kaki, dégageant son visage et laissant apparaître chacun de ses traits juvéniles. Il m'éblouit.

Blackbird prend fin et laisse place a Come As You Are de Nirvana. Je jette un coup d'œil à mon meilleur ami qui sourit comme un crétin. Cette musique, c'est la sienne ; celle qu'il préfère et je me devais de la lui jouer ce soir. Une sorte de remerciement après notre discussion qui m'a poussé à avouer l'étendue de mes sentiments à Kasper. Je le vois fredonner les paroles tout en tapant ses doigts sur sa cuisse et mon rire résonne sans pour autant couvrir le son de la guitare.
Les musiques s'enchaînent, je suis possédé par le plaisir de jouer et je songe à le faire plus souvent. J'adore ça, bien que le temps ne soit pas en ma faveur pour me laisser l'occasion d'exercer comme je le souhaiterai. Je termine par Perfect de Ed Sheeran, couvant ma Douceur d'un regard tendre. Ses yeux se voilent de larmes, étincelantes face aux flammes qui dansent et chavirent dans ses iris. Je ne vois que lui désormais, plus rien n'a de sens hormis l'amour qu'il dégage. Mon cœur bat rapidement, prenant une toute nouvelle cadence sous l'intensité que dégage le visage de Kasper. Lorsque la chanson se termine, j'inspire lentement et pose l'instrument contre le banc libre à ma gauche.
Une main se pose sur mon bras alors que je m'apprêtais à me lever pour rejoindre Félix et Kas. Je fixe les doigts ornementés de bagues de Mathias pendant plusieurs secondes avant de trouver son regard, les sourcils froncés.

— C'était fou ! T'es vachement doué ! dit-il en se penchant vers moi.

Son haleine alcoolisée atteint mon visage et me fait grimacer.

— Merci, lâché-je, mais si tu veux bien m'excuser, j'ai à faire.

Je tente de m'éloigner, mais sa prise se resserre sur mon poignet. Il m'agace déjà.

— Attends, Silas. On peut parler ?

— J'ai à faire, répété-je plus sèchement, et je n'ai rien à te dire.

Il soupire, relève son verre jusqu'à ses lèvres et avale une longue gorgée de sa boisson qui me répugne. Ses doigts caressent ma peau et me font frissonner d'une désagréable façon. Je retire mon bras dans un geste empressé, je ne veux pas qu'il me touche. Il a manqué de respect à Kasper et l'a fait se sentir mal, s'il veut jouer, ce n'est pas avec moi qu'il le fera. Je sais ce qu'il cherche, un regard comme le sien ne peut pas mentir. Ses yeux brillent d'une lueur libidineuse. Si je n'ai pas accepté ses avances l'année dernière, ce n'est pas pour le faire maintenant et s'il le croit, c'est qu'il ne me connait vraiment pas.

— Allez, Silas, ne fais pas ton farouche. Je peux te satisfaire bien plus que cet empoté de Kasper.

Ma mâchoire se crispe, je vais réellement finir par perdre mon sang-froid et lui en coller une.

— Non, je ne crois pas. Maintenant, tais-toi et barre-toi, parce que tu me gonfles, grogné-je.

— Il ne sait même pas aligner deux mots, s'il est si silencieux quand tu le baises, ça doit être d'un ennui. Ce gosse est...

— Putain, mais ferme ta gueule ! pesté-je brusquement. Casse-toi, Mathias.

Je n'ai pas par habitude d'employer ce genre de paroles, ni même d'être violent mais là, il dépasse les limites de la bienséance. Les poings serrés, je me retiens de le cogner. Marco n'est pas très loin, si je m'emporte, je risque ma place. Si mon patron a laissé passer le fait que j'ai quitté mon stand pendant un moment, il n'acceptera jamais que je frappe un de ses campeurs.
Je me détourne, tentant de m'éloigner mais sa main glisse sur mes fesses et mon corps se fige. Je fais volte-face, hors de moi. Le poing levé, je m'apprête à le recadrer mais Félix surgit de nulle part et se place devant moi.

Hep hep hep, on se détend, mon pote, c'est clairement pas le moment, là, me reprend-il d'un ton catégorique.

Je soupire, en rogne, mais capitule parce qu'il a raison. Comme toujours.

— C'est qui ce crétin ? demande Félix sans se soucier le moins du monde de la présence de ce dernier.

— Mathias, grincé-je.

Mon meilleur ami l'examine de la tête aux pieds, puis éclate de rire en cognant l'épaule de celui qui nous fixe en fulminant.

— C'est toi, Mathias ! ricane-t-il. Ah, mon pauvre, t'as aucune chance, crois-moi. Tu devrais lâcher l'affaire !

Si je n'étais pas si énervé, j'aurais ri à gorge déployée. Pourtant, à l'instant, la seule chose qui me traverse l'esprit, c'est de dégager Mathias de ma vue avant de perdre totalement le contrôle de moi-même. Félix se calme enfin, cesse de rire et passe son bras sur mes épaules.

— Laisse tomber, me conseille-t-il. Ton fraisier n'attend que toi, ne le laisse pas seul trop longtemps. À plus, Mathieu.

— C'est Mathias ! grogne ce dernier.

— Je m'en branle, s'amuse Félix en nous éloignant.

Mon corps se détend à l'instant où Kasper m'apparaît. Il est avec Kate et Salomé, un peu en retrait de la foule. Tête baissée, il triture la couture de sa chemise, visiblement mal à l'aise.

— Bonsoir mesdames, lâché-je une fois à leur hauteur. Vous passez une bonne soirée ?

Katherine me sourit en acquiescant, tandis que son amie attrape mes épaules et commence à me secouer brusquement.

— Je ne savais pas que tu jouais de la guitare ! s'exclame-t-elle. Tu m'apprendras ?

— Euh... Saly, je pense que tu devrais te calmer sur la boisson parce que là, tu es un peu trop excitée.

— Quoi ? Mais Silas ! Tu nous caches trop de choses, t'as d'autres talents dans tes poches ?

Kate pouffe de rire et éloigne sa copine hystérique en encerclant sa taille. Son regard dérive vers Kasper qui a fait plusieurs pas en arrière et semble vouloir disparaître.

— Je me charge d'elle et de son excès d'enthousiasme, m'informe-t-elle en souriant. Toi, occupe-toi de mon petit frère et fait en sorte qu'il ne part pas.

— À vos ordres, cheffe.

Lentement, je m'approche de lui, tandis qu'il relève un regard voilé vers moi. Dans la pénombre, seulement éclairés du feu qui crépite, je remarque les rougeurs qui baignent son visage. Tendrement, je récupère ses doigts et l'attire loin de la foule. Il me suit sans protester, jusqu'à ce que son dos rencontre un arbre et que je m'impose doucement contre lui. Sa chaleur m'inonde instantanément, alors qu'il mord sa lèvre inférieure. Loin des regards, je me permets de déposer un baiser sur sa joue. Mes paumes se plaquent contre le tronc, de chaque côté de sa tête tandis que mon bassin est contre le sien.

— Salut, soufflé-je en souriant.

Ses bras s'enroulent autour de moi, jusqu'à ce que ses mains se rejoignent dans mon dos. J'aime quand il prend des initiatives, qu'il met de côté sa timidité pour m'offrir son contact.

— Bonsoir...

Ça me fait rire, nous agissons comme si nous ne nous étions pas vus alors que j'étais en sa présence avant de me mettre à jouer. Son menton se pose sur ma poitrine, la tête inclinée vers l'arrière. Dans l'obscurité, seuls ses yeux m'apparaissent clairement. Pourtant, malgré les ombres qui noircissent son visage, il reste d'une beauté irréelle.

— Tu es beau.

— Toi aussi.

Je dépose un baiser sur ses lèvres.

— Que voulait Mathias ? demande-t-il en un murmure lorsque je m'éloigne.

Je grimace en repensant à ce crétin, la colère tente de refaire surface mais le souffle de Kasper qui caresse ma peau annihile tout ce qui n'est pas de l'amour.

— Ne te préoccupe pas de lui, Kas. Ça n'a pas d'importance.

— Est-ce qu'il a voulu...

— Tais-toi, ne cherche pas plus loin, murmuré-je contre ses lèvres. Qu'importe ce qu'il veut, mon seul souhait, c'est toi.

— Oui... d'accord.

Ses bras se resserrent et me font sourire. Ses grands yeux m'admirent, me coupent le souffle. Être avec lui sans éprouver du désir devient difficile. J'ai de plus en plus de mal à dissimuler ce qu'il me fait ressentir et j'ai toujours peur de l'effrayer mais, comment ne pas réagir face à ce regard innocent qui me scrute comme si j'étais le Graal ? Il est si attirant, si désirable, tout en pureté et magnificence.

— J'aime t'entendre jouer, souffle-t-il après un temps. Tu le feras pour moi, seul ?

— Bien sûr, souris-je, quand tu veux, il suffit de demander.

Il acquiesce, se dresse sur la pointe des pieds et embrasse la commissure de mes lèvres. J'aspire à plus, à le sentir tout contre moi, tremblant, frissonnant, avide de sensations et de découverte. Mais pas maintenant, non, pas ce soir. Chaque fois, je me répète la même chose ; inlassable litanie qui résonne dans ma tête mais cette retenue s'affaiblit à chacun de ses sourires, de ses regards. Je crains le jour où plus rien n'aura de sens hormis son plaisir qui explosera sous mes doigts. Mon ventre se contracte à la simple pensée de son corps crispé par la jouissance et je me sens honteux de le désirer si ardemment.
La voix de Marco s'élève dans les haut-parleurs et me fait redescendre sur terre. Il informe les campeurs que le film commencera dans une dizaine de minutes, les invitant ainsi à rejoindre le lieu de visionnage.
Je fais un pas en arrière passant une main dans le dos de Kasper pour le décoller du tronc d'arbre et le plaquer contre mon torse. Ses mains se referment autour de mes bras tandis qu'il se laisse emporter.

— Si on reste ici plus longtemps, on risque fortement de louper ce film, susurré-je proche de ses lèvres. On ferait mieux d'y aller.

Ses joues s'empourprent délicatement sous les rayons de Lune qui effleurent son visage. Je me retiens de l'embrasser, même si j'en meurs d'envie. Si je cède maintenant, nous allons définitivement rater la projection, alors, j'enlace ses doigts afin de rejoindre Félix.

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