Chapitre 33 :

9 minutes de lecture

27 juillet 2021.

Silas :

Le soleil tape trop fort, bien que le début de soirée ne soit pas loin. Mes cheveux trop sombres sont lourds de transpiration. Humides, ils retombent sur mon front et me collent à la peau. D'un geste las, je les retire pour les plaquer sur le dessus de ma tête. Quelques mèches rebelles ne sont pas de cet avis et se replacent immédiatement sur ma peau brûlante. En soupirant, je laisse tomber l'idée de les dégager.
Je m'approche du comptoir, récupère le plateau de boissons et me dirige vers les campeurs qui attendent leur commande. Un sourire factice collé au visage, je dépose les verres en silence.
Lorsque je me dirige à nouveau vers le bar, Thonyo me scrute par-dessus ses lunettes de soleil.

— Tu fais une sacrée tronche, qu'est-ce qui t'arrive gamin ? Depuis le début du service, tu déambules comme un mort-vivant, sans but, ni motivation.

— Je ne dors pas suffisamment en ce moment. Fais trop chaud pour passer des nuits correctes.

Il y a de ça, mais pas seulement. Mon plus gros problème, c'est l'abscence et les silences de Kasper, à cela s'ajoute le fait que Félix soit reparti il y a deux jours et que j'aurais aimé qu'il ne me quitte pas. Je me sens terriblement seul. Pour la première fois de ma vie, je suis dépassé par les événements. Je ne parviens pas à garder ma bonne humeur, celle qui ne me délaisse quasiment jamais et qui m'aide à remonter les pentes trop raides. Mon enthousiasme a pris la fuite quand mon meilleur ami n'a pas eu d'autre choix que de rentrer pour reprendre le travail. Avec Félix à mes côtés, c'était bien plus facile de gérer mes émotions et de faire face aux distances imposées par Kasper. Je sais qu'il ne peut pas sortir, Kate me l'a confirmée lorsque je l'ai croisé à la piscine. Mais je sens bien qu'il est distant lors de nos échanges par textos et ça me rend fou. J'ai probablement ma part de responsabilité dans cette histoire, j'aurais dû faire preuve de plus de retenue lorsque la fièvre l'a poussé à agir de façon démesurée.
Je croque ma lèvre pour éloigner les pensées qui me submergent. Ce n'est pas le moment de lâcher prise, j'ai un service à terminer.

— Tu es sûr que ça va ? m'interroge mon collègue en fronçant ses sourcils broussailleux.

— Oui ! m'exclamé-je faussement enjoué. Tout va très bien. Allez, au boulot !

Je me détourne, le calepin à la main et le stylo coincé derrière l'oreille. J'arpente la terrasse, passe et sers les commandes, en prenant sur moi pour ne pas écrire à Kasper. Les minutes me paraissent longues, interminables. Je suis épuisé et j'ai énormément de mal à rester concentré sur ma tâche. Je me permets cinq minutes de répit lorsque je remarque que personne n'a besoin de moi. Je me mets un peu à l'écart, attrape ma cigarette électronique et aspire durement dessus. La fumée s'infiltre en trop grosse quantité dans mes poumons et me fait tousser à presque m'en briser les côtes. C'est douloureux, mais soit, quelle importance ? Je recommence, un peu moins fort cette fois et récupère mon téléphone dans la poche arrière de mon short.
Rien. Aucun message et ça me prend la tête.
J'ouvre la conversation de Félix à défaut de harceler Kasper.

Silas :
Tu me manques déjà !

Sa réponse arrive presque immédiatement et un léger sourire se dessine sur mes lèvres.

Félix :
Je suis encore là, tu le sais. Ce n'est toujours pas réglé ?

Silas :
Non, je suis en train de perdre espoir.

Félix :
Vous devez discuter. Ce n'est pas un drame, juste un manque de communication.

Silas :
Pour ça, il faudrait déjà qu'il accepte de parler.

Je range hâtivement le téléphone lorsque je relève le visage et que j'aperçois Marco s'avancer sur la terrasse. Mon cœur rate un battement. Juste derrière lui se trouve la famille Price au grand complet. Je m'avance lentement, reprenant mon travail comme si de rien n'était tandis que mon esprit est focalisé sur Kasper. Je ne vois pas son visage, caché derrière la visière d'une casquette d'un bleu presque aussi clair que ses yeux.
J'avale ma salive, inspire doucement et me dirige vers la table à laquelle ils viennent de s'installer. Immédiatement, le regard de Kate trouve le mien. Elle me sourit gentiment, bien qu'avec une petite pointe de compassion qui attaque mon cœur. Je tente de capter l'attention de Kas, mais sa tête reste baisée vers la table et ses doigts sont crispés sur le rebord de celle-ci.

— Bonsoir, que puis-je pour vous ? demandé-je d'un ton professionnel.

Marco me scrute un instant, puis hoche la tête en ouvrant le col de sa chemise.

— Silas, c'est bien ça ? m'interroge Madison.

J'acquiesce en souriant, tandis que le corps de Kasper se crispe davantage.

— Oui, madame, c'est moi.

— C'est un nul ! fanfaronne Milla.

Cette petite est à la fois exceptionnelle et agaçante. Elle ne perd jamais son mordant. Cela m'amuse en temps normal, pourtant, ce soir, je n'ai pas envie d'en rire.

— Un peu de tenue ! grogne son père.

La fillette lève les yeux au ciel en s'agitant sur sa chaise. Parfois, je me demande comment c'est possible qu'elle parvienne à garder le secret que je lui ai confié. Elle parle toujours trop et souvent sans réfléchir. C'est un exploit qu'elle tienne sa langue.

— Je suis heureuse de te voir, ajoute la mère de famille. Je n'ai pas eu l'occasion de te le dire plus tôt, mais nous tenions à te remercier pour avoir défendu Kasper l'autre soir.

Pris au dépourvu, je lance un regard vers ma Douceur qui m'ignore encore. Il gratte nerveusement une tache imaginaire sur son pantalon. C'est douloureux de le voir et de ne pas pouvoir lui parler comme je le souhaite, difficile de ne pas le toucher alors que je meurs d'envie de caresser sa joue pour calmer ses angoisses.

— Il n'y a pas de quoi. J'agirai de la même façon si c'était à refaire.

Un grognement échappe à Marco. Il me lance un regard désapprobateur puis pose ses coudes sur la table pour se pencher en avant.

— Mathias est un problème, affirme-t-il, ce n'est pas la première fois qu'il cherche les histoires sur mon camping mais, je refuse que l'un de mes employés agisse de cette façon sur son lieu de travail.

— Cela va de soi, confirme Harry, mais tout de même, c'était attentionné de sa part de réagir. Kasper n'a pas l'habitude de se révolter. Parfois, il est nécessaire que quelqu'un le fasse pour lui.

Marco approuve, en se tournant vers Kasper installé à sa droite. Il tape doucement dans son dos, lui faisant lever la tête dans sa direction.

— Tu sais bien que si tu as des problèmes avec mes campeurs, tu peux venir me trouver. Je ne laisserai personne s'en prendre à l'un de vous.

Cette histoire prend des proportions trop grandes, j'ignore si c'est une bonne chose.

— Oui, je sais, tonton, souffle Kas, mais c'était un simple incident. Rien de plus.

Mes mâchoires se contractent. Non, ça n'était pas le cas mais visiblement tout le monde le voit ainsi. Et je suis presque certain que Kasper tente de s'en persuader.

— Bien, maintenant que le problème est réglé, on va commander, déclare mon patron en se frottant les mains.

Mon regard ne quitte pas Kasper. J'aimerais voir son visage, mais il m'en empêche en faisant tout pour ne pas se tourner vers moi. Il ne se sent pas à l'aise, il faudrait être aveugle pour ne pas s'en apercevoir.
Je griffonne leur commande sur mon carnet alors qu'ils énoncent ce qu'ils désirent boire. Puis lorsque vient le tour de Kas, je le regarde, attendant patiemment que le son de sa voix s'élève pour me parler.

— Kasper, l'interpelle doucement Kate, c'est à toi.

Son visage se lève enfin, ses yeux s'ancrent aux miens, me percutent. Je n'aime pas ce regard et cette mine fatiguée. Je n'aime pas ses lèvres abîmées par ses dents et le pansement qui recouvre son front. J'ai envie de m'agenouiller devant lui, d'attraper ses doigts pour les embrasser un par un et sentir sa peau contre la mienne. Si je pouvais, je serais déjà à terre, à ses pieds pour quémander son attention, sa présence et l'interroger sur la raison qui le pousse à me tenir éloigné de lui. Il doit m'en vouloir d'avoir été faible face à la beauté de son plaisir. J'aurais dû être plus ferme et l'interrompre dans sa lancée. C'est probablement ce qu'il attendait de moi. Il n'était pas lui-même, et pourtant j'ai craqué.

— Kas, soufflé-je lorsque le silence s'étale, que veux-tu ?

Intérieurement, je prie pour qu'il me réponde que c'est moi qu'il veut, même si j'ai parfaitement conscience que cela n'arrivera pas.

— Pikachu ! s'écrie Milla. Tu dors !

À l'instant, j'aimerais lui hurler de se taire. Ce n'est pas le moment de le brusquer. Il est perdu, je le vois bien.
Ses doigts se mettent à trembler tandis qu'il me regarde encore. Il déglutit, mâchouille sa lèvre et expire doucement.

— Un... thé glacé... s'il te plaît, bredouille-t-il.

Je le savais. En réalité, j'avais déjà inscrit sa commande sur mon papier. J'étais certain que c'est ce qu'il choisirait et cela me fait sourire.

— Très bien, soufflé-je d'une voix probablement trop douce pour les personnes présentes.

Je me gifle mentalement, m'ordonne de me reprendre et quitte enfin ma Douceur des yeux.

— Je reviens dans un instant, déclaré-je en m'éloignant déjà.

J'ai le cœur trop lourd, cela m'empêche de penser correctement. Mon regard est sans cesse attiré par la table qu'occupent Marco et les Price. Je me trompe dans les commandes, m'emmêle les pinceaux et fait répéter les campeurs plusieurs fois avant d'assimiler les choses qu'ils me demandent. Cela n'est pas dans mes habitudes, je me donne toujours à fond lorsque je suis en service mais ce soir, ce soir, seul Kasper m'importe. Lui et son malaise, lui et son silence, lui et son absence.

Lorsque 20h00 arrive enfin, que mon collègue vient prendre ma place, je soupire de soulagement en m'installant au bar, près de Thonyo qui remplit une tonne de verres.

— Tu veux un truc ? me demande-t-il.

— Une bière, réponds-je d'un ton blasé.

Il hausse un sourcil, me fixe avec étonnement. Évidemment, je ne commande jamais d'alcool au bar, même lors de ces moments où je ne travaille pas.
Lorsqu'il la pose sous mon nez, j'avale une longue gorgée et fait tourner mon tabouret pour avoir vue sur la terrasse. Le regard rivé sur Kas, je l'observe piquer sa nourriture avec lenteur et aucun enthousiasme. J'admire sa bouche boudeuse mâcher avec écœurement. Je détaille chaque recoin de son visage, le cœur battant de tristesse et d'égarement.

Pourquoi n'es-tu plus en phase avec moi, Kas ?
Pourquoi n'acceptes-tu pas la situation ?
T'ai-je fait peur lorsque tu as joui dans mes bras ?
Pourquoi as-tu fui ce matin-là ?
Regrettes-tu d'avoir pris du plaisir avec moi ?
Me vois-tu désormais comme quelqu'un qui ne mérite plus ta pureté ?

Ouais... j'ai succombé mais comment ne pas le faire ? Regarde-toi Honey, tu es d'une divine beauté.
En plus, j'ai refusé d'exploser, j'ai tout fait pour ne pas t'effrayer.

Je reste là, pendant un long moment, me posant inlassablement les mêmes questions. Je dois réussir à le faire parler, avouer d'où vient toute cette tristesse dans ses yeux.
Mon cœur s'emballe lorsque je le vois quitter la table, il longe la terrasse et prend la direction des sanitaires. Sans réfléchir, je saute sur mes pieds et le rejoins à grandes enjambées. J'ai besoin de comprendre pour quelle raison il me déteste !
J'attrape son poignet le plus délicatement possible lorsque je l'atteins enfin. Son corps se crispe, tandis que mon pouce effleure sa peau. Avec lenteur, il se tourne vers moi. Ses yeux s'arrondissent et il baisse instantanément la tête lorsqu'il croise mon regard.

— Kasper, murmuré-je, on peut discuter ? S'il te plaît, laisse-moi te parler une minute.

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