Chapitre 35 :

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28 juillet 2021, début de soirée.

Silas :

Les écouteurs dans les oreilles, je traverse le camping pour rejoindre mon bungalow. Mes doigts tapotent ma cuisse sur le rythme de la batterie qui résonne puissamment dans ma tête. Elle est si forte que mon cœur bat sur le même tempo.
La journée a été longue, bien que moins pénible que les précédentes. J'ai l'esprit plus léger depuis que Kasper et moi avons discuté. Les choses sont mises à plat et tout va de nouveau très bien.
Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon short, je le récupère en souriant à quelques campeurs qui passent près de moi.

Kas :
On rentre enfin, j'en peux plus. J'ai mal aux pieds ! :( Tu travailles encore ?

Silas :
Mon pauvre chéri... :) Non, je rentre. Tu veux qu'on se rejoigne plus tard ?

Kas :
On a fait 50 magasins, je n'aime pas ça et tu te moques encore de moi ! Oui, je ne suis plus confiné ! :D Dans une heure ?

Silas :
Pas du tout ! Je n'oserais pas ABUSER des blagounettes avec toi. Oui, parfait !

Kas :
Je te déteste.

Silas :
Je sais que c'est faux.

Je range le téléphone en souriant comme le con amoureux que je suis. Lorsque je relève la tête, mon sourire s'accentue et un éclat de rire passe mes lèvres. Je retire mes oreillettes en approchant discrètement de Kasper qui se tient à l'autre bout de l'allée, les bras chargés de sacs et de cartons. Il se bat pour tapoter sur l'écran de son téléphone. Quelques secondes plus tard, le mien vibre à nouveau.

— Kas ! Tu répondras à tes messages plus tard, allez, dépêche-toi ! râle sa mère.

— Oui, je suis là, marmonne-t-il.

Son menton se pose sur l'une des boites qu'il porte, ses cheveux tombent devant ses yeux et lui collent à la peau. Lorsque j'arrive près de lui, je m'immobilise en souriant.

— Tu as besoin d'aide ?

Kasper sursaute vivement, puis tangue avec son bardage. Ma main se plaque dans son dos pour l'empêcher de tomber alors que ses joues sont déjà toutes rouges.

— Silas ! gronde-t-il. Bon sang, tu m'as fait peur !

— C'était là tout l'intérêt ! m'amusé-je en lui offrant un clin d'œil.

Ses dents mordillent sa lèvre quelques secondes puis ses paupières se ferment alors qu'il inspire doucement.

— Tu aimes m'embêter en ce moment, fait-il remarquer en faisant la moue.

— C'est vrai, j'y prends goût. Mais c'est de ta faute, tu es beaucoup trop adorable quand tu rougis.

Ses yeux s'arrondissent alors qu'il regarde autour de lui.

— Non, ne t'inquiète pas, maman Price est partie, souris-je en me penchant un peu vers lui.

— Mais moi je suis là ! s'exclame Kate en riant.

Je pivote vers elle pour la saluer. Elle se tient à deux ou trois mètres, les bras aussi chargés que ceux de son frères.

— Seigneur, mais vous avez pillé la ville ?

— Je te l'ai dit, bougonne Kas, on a fait cinquante magasins.

— On lui a refait une penderie complète, se réjouit Katherine. Il était temps !

— J'avais dit non.

Je jette un regard amusé à Kasper. Ses sourcils sont froncés et ses lèvres pincées. Il paraît tout petit derrière ses cartons, ça m'amuse. Je passe un bras sous la pile afin de le désencombrer. Il soupire, visiblement heureux de s'en débarrasser. Je fais de même avec sa sœur, les siens sont beaucoup plus lourds.

— T'as acheté un éléphant ? ricané-je.

— Non, répond Kasper, par contre elle s'est fait plaisir au rayon chaussures. Cinq paires d'escarpins, deux de baskets et trois de sandales.

— C'est beaucoup trop ! m'exclamé-je en prenant la direction de leur bungalow.

— C'est juste assez ! se défend la coupable. Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

Je lève les yeux au ciel, un rictus sur les lèvres. Kasper râle, répétant que sa sœur est une acheteuse compulsive et cette dernière le réprimande en parlant de la tonne de livres bien en sécurité dans le coffre de la voiture.
Milla est assise sur la terrasse lorsque nous arrivons devant le bungalow. Elle vide des sacs de jouets, un sourire énorme collé au visage.

— Tu as été gâtée, Xena ! Est-ce que tu mérites toutes ces choses ? demandé-je en déposant les cartons sur le sol.

— Je suis une gentille fille, et une grande guerrière, c'est toi qui l'as dit.

— Tu t'es trompé, soupire Kasper, elle est tout sauf gentille !

Je pouffe de rire en me tournant vers lui. Il observe sa petite sœur avec un sourcil haussé et une mine boudeuse.

— Pourquoi ça ?

— Elle m'envoie promener depuis des jours, grogne-t-il en passant les doigts à travers ses mèches blondes. Elle est casse pieds et elle fait que me traiter d'idiot.

— Parce que tu es idiot ! Retourne faire des bisous d'amoureux à Silas derrière un arbre et ne me parle plus.

— Milla ! s'exclame Kate en s'approchant vivement. Parle moins fort !

Les yeux écarquillés, je fixe Kasper qui a perdu toutes ses couleurs. Sa lèvre inférieure tremblote, tandis qu'il observe un point face à lui, horrifié. Un bruit de verre se brisant nous fait sursauter et instinctivement je tourne la tête vers l'entrée du bungalow.

— M... mam... maman, je.... je vais t'ex..., tente Kasper.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, face au visage blême de Madison. Elle lève la main d'un geste crispé, indiquant à son fils de se taire. Ce dernier s'agite brusquement à côté de moi tandis que Kate essaie de prendre la parole. Le regard que sa mère lui lance est sans appel, ce n'est pas le moment pour les explications.

— Tu peux répéter, Milla ? demande-t-elle d'un ton étrangement neutre.

— Oh non ! s'exclame la fillette en sautant sur ses pieds. Je suis désolée ! Je suis désolée, Kasper. Silas, pardon !

Elle se place devant moi, agrippe mes poignets et tire dessus afin d'attirer mon attention. Je baisse les yeux en déglutissant difficilement. Milla pleure à chaudes larmes tandis qu'elle continue de me serrer très fort les bras.

— Je suis désolée, Silas ! Excuse-moi, je n'ai pas fait exprès. Je ne voulais pas révéler notre secret. Pardon ! Tu me détes...

— Milla ! gronde Madison. Assez ! Tais-toi !

La tête me tourne brusquement lorsque je pivote vers Kasper. Ses joues sont noyées de larmes et chaque trainée fait souffrir mon cœur. J'ai conscience qu'il n'est pas prêt à en discuter avec ses parents et le fait que la nouvelle tombe de cette façon doit le terrifier. J'aimerais m'approcher pour l'enlacer, lui murmurer que tout ira bien et qu'il n'a pas à s'inquiéter mais j'ignore s'il le désire. Par dessus tout, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Non, ça ne l'est définitivement pas.

— Est-ce que quelqu'un peut m'affirmer que ce que Milla vient de dire est une plaisanterie ?

Un blanc s'installe, enfin, si on fait abstraction des sanglots de Milla et des larmes destructrices de Kasper. J'ai la sensation d'être en trop, de ne pas avoir ma place au milieu des membres de la famille Price pourtant, j'ai la certitude que je ne devrais être ailleurs qu'auprès de ma Douceur meurtrie.

— Non, évidemment que non, ricane Madison. Vous n'avez pas besoin de dire quoi que ce soit, le silence est bien plus éloquent que mille mots.

— Maman, on devrait rentrer et discuter, essaie Kate.

— Comment ça " discuter " ? gronde-t-elle. Il aurait peut-être été plus judicieux d'y penser avant ! Comment dois-je me sentir ? Vous étiez toutes les deux au courant et personne n'a trouvé utile de nous avertir ton père et moi ?

— Ne soit pas si fermée, maman. Kasper avait juste besoin de temps pour l'assumer pleinement. Je ne vois pas où est le problème, c'est juste que le moment ne s'est pas présenté.

— Maman, je, je peux te...

Kas ferme les yeux, si fort que son nez se fronce et ses paupières se plissent. Ses doigts tremblent et sa respiration est beaucoup trop lourde.
Je fais un pas vers lui, tends la main pour effleurer son bras mais il s'éloigne en sursautant. Son regard terrifié se pose sur moi, puis retrouve celui de sa mère.

— Est-ce que... que tu... m'en veux de... pour... ça ? Je voulais te le... dire, mais je... je ne savais pas comment tu... allais le prendre et je...

— Bon Dieu ! Respire Kasper, grogne Madison en s'approchant de son fils.

Lorsqu'elle s'immobilise face à lui, elle clôt les paupières, lève la tête vers le ciel et inspire longuement. Après un silence de plusieurs secondes, elle observe Kas qui semble vouloir disparaître. Madison approche ses doigts du visage de son fils et efface ses larmes en fronçant les sourcils.

— Je ne comprends pas ! s'agace-t-elle. Je pensais que tu nous faisais suffisamment confiance pour te confier à nous. Comment as-tu pu croire qu'il était nécessaire de nous cacher une telle chose ?

— Je... je ne sais pas, mais j'ai... ce n'est pas que je ne vous fais pas confiance... mais, j'avais peur et je... oui, enfin, voilà.

Mon cœur bat si vite que ma tête se met à tourner. Je n'appréhende pas pour ma peau, non, je suis crispé à l'idée que Kasper vive mal ce moment. Il avait besoin de plus de temps avant d'être entièrement transparent quant à cette situation. J'ai tout fait pour ne pas lui mettre la pression, et pourtant, mes efforts ont été vains.

— Est-ce que... tu es... en colère ? sanglote-t-il en triturant la couture de son tee-shirt.

Du coin de l'œil, je vois Kate tenter de calmer Milla qui chouine encore. J'aimerais ressentir de l'agacement, la maudire et la réprimander mais en réalité, elle me fait énormément de peine. Après tout, elle n'y est pour rien. Elle est trop jeune pour comprendre ce qu'il se passe. C'était évident que ce moment allait finir par arriver tôt ou tard, j'aurais simplement préféré que Kasper soit prêt à y faire face.

— Je ne suis pas en colère parce que tu es homosexuel ou bisexuel, ou que sais-je, déclare Madison en balayant l'air avec sa main. Je suis simplement atrocement déçue que tu n'aies pas eu le courage de me le dire. Je pensais que nous étions assez proches pour que tu puisses me parler de tout ce que tu ressens et de ce que tu traverses.

Son visage s'attriste à mesure qu'elle parle. Ce n'est effectivement pas de la colère qui transparaît dans son regard. Elle est blessée, meurtrie de ne pas avoir été mise dans la confidence de façon formelle et venant du principal concerné.

— Il y a cette histoire avec ce Mathias, continue-t-elle, j'ai la certitude que ce n'était pas un simple accident mais tu refuses catégoriquement de m'en parler. Et maintenant, j'apprends que tu entretiens une relation avec un homme et que tu n'as pas eu suffisamment foi en moi pour me l'avouer.

Les larmes de Kas ne se tarissent pas, celles de sa mère perlent également et ma gorge se serre. Je voudrais agir, savoir quoi faire ou dire pour calmer la tristesse de Madison et la peur de ma Douceur. Pourtant, je me contente d'être spectateur, figé et inutile.

— Je ne suis pas sûre qu'il s'agisse de ça, intervient Kate. Le problème ne vient pas de ta relation avec Kas, c'est plutôt qu'il n'était tout simplement pas prêt. C'est nouveau pour lui.

— Je suis... désolé, ma... maman.

Madison passe une main sur son visage et expire son air en fronçant les sourcils. Elle fait plusieurs pas en arrière et tente de dissimuler son trouble en affichant une mine indifférente, pourtant, ses yeux ne trompent pas.

— Bah, dis donc ! s'exclame Harry, sorti de nulle-part. Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Vous avez vu un fantôme ? Vous en faites une de ces têtes.

— Papa, s'étrangle Kas, où... où étais-tu ?

— À la voiture, j'ai déchargé tes livres, regarde !

Ce dernier sourit de toutes ses dents en déposant un sac sur le sol. Puis son expression change, s'assombrit, lorsqu'il réalise qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche.

— Il y a un problème ? insiste-il en haussant un sourcil.

— On doit discuter, déclare simplement Madison.

Elle me jette un regard, me fixe un instant, me détaillant de la tête aux pieds, puis elle soupire en affaissant les épaules.

— Rentre chez-toi, jeune homme. Il est préférable que je parle avec mon fils avant de m'adresser à toi.

Son ton est calme tandis que ses yeux sont deux océans de déception.

— Bien madame, soupiré-je en hochant la tête.

— Tout le monde rentre, ordonne-t-elle. Kasper, tu as deux minutes.

L'instant suivant, je suis seul face à Kas.
J'approche lentement de lui, la main tendue pour effleurer son bras. Cette fois, il ne s'éloigne pas, fait même un pas vers moi à tel point que sa respiration saccadée s'échoue contre mon torse. Ses grands yeux noyés de larmes trouvent les miens et je me retiens de le serrer très fort dans mes bras.

— Je suis désolé, Kasper, murmuré-je doucement. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça...

— Ce n'est pas... ta faute. Je vais... je vais rentrer et je t'écris plus... plus tard.

Si je me réfrène à l'idée de l'enlacer, mes doigts, eux, trouvent le chemin de son visage sans demander la permission. Je caresse ses joues, fais disparaître les coulées de larmes et finis par apposer mon front contre le sien.

— Je suis là, d'accord ? Ça va aller, soufflé-je, il leur faudra juste un peu de temps pour l'accepter mais tout ira bien.

Il hoche la tête, renifle bruyamment puis recule jusqu'à ce que ses talons heurtent la marche du bungalow. Je lui souris pour tenter de le rassurer, mais intérieurement, je prie pour qu'il ne se sente pas trop mal.

— Kasper, le hélé-je doucement avant qu'il ne disparaisse à l'intérieur.

Il lève ses beaux yeux embués vers moi et attend la suite. Je reste silencieux quelques secondes, examinant son visage, le cœur serré.

— Je t'aime, dis-je juste assez fort pour qu'il puisse m'entendre.

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