Chapitre 36, partie 1 :

9 minutes de lecture

28 juillet 2021, dans la soirée.

Kasper :

Assis à la table du salon, je n'ose pas lever le regard vers mes parents installés face à moi. Les yeux rivés sur la toile cirée, je fixe une tache de café qui n'a pas été nettoyée. Mes genoux tremblent et mes doigts sont crispés sur le tissu de mon bermuda. Mon esprit est embrumé, mes pensées s'agitent et me donnent mal à la tête. Je pense à Silas et aux derniers mots qu'il m'a prononcé, son beau visage, trop triste à mon goût, et ses yeux pleins d'amour. Mon cœur me fait souffrir, il bat très vite, trop vite, et me coupe le souffle.

— Bon, quelqu'un va enfin m'expliquer ce qu'il se passe ? s'impatiente papa en tapotant son index sur la table.

Je relève le menton, tente un regard vers lui puis vers maman et inspire profondément.
Kate entre dans la pièce après dix minutes enfermée dans sa chambre avec Milla. Elle tire une chaise, faisant grincer les pieds contre le carrelage et provoquant des frissons de gêne le long de ma colonne vertébrale. Sa présence me rassure, elle a toujours été de mon côté, m'encourageant et me soutenant dans n'importe quelle situation. Le sourire réconfortant qu'elle m'offre me fait du bien. D'un geste gracieux, elle rabat sa crinière blonde dans son dos pour ensuite poser ses coudes sur la table afin de soutenir sa tête sur ses paumes.

— Milla est enfin calmée, déclare-t-elle, elle est fatiguée, je pense qu'elle va très vite s'endormir.

— Bien, acquiesce maman, tu n'es pas obligée de rester Katherine. Va rejoindre Salomé, si tu le souhaites.

— Non, je n'en ai pas envie. Je préfère rester avec Kasper, il a besoin de soutien.

— Je ne comprends toujours pas où est le problème, ronchonne papa. Soyez aimables en vous montrant un poil plus clairs !

Je les observe tour à tour, discuter comme si j'étais absent. Finalement, c'est peut-être le cas. Je me fais si petit sur ma chaise que je doute moi-même de ma présence.

— Kas, allez, m'encourage Kate, dis exactement ce que tu ressens et ensuite, tu te sentiras plus léger.

Je la regarde un instant. Ses yeux bleus sont ancrés aux miens et je réalise que je suis bel et bien là, avec eux, dans ce salon qui m'étouffe.

— Je commence à m'inquiéter, soupire papa, est-ce qu'un drame s'est produit ? Tu es blessé Kas ? Malade ?

Je secoue la tête, deux fois, puis ferme les yeux. Sous mes paupières closes, les traits de Silas se dessinent. Ses lèvres pleines étirées en un sourire tendre. Mon sang s'échauffe, mon cœur se calme très légèrement. Même lorsqu'il n'est pas là, il parvient à m'apaiser, à me détendre alors, j'expire et affronte le monde parce qu'il le mérite.

Ça va aller, Kas, tout va bien se passer.

— Je suis amoureux de Silas Miller, débité-je à toute vitesse.

Les yeux de papa s'arrondissent. Il me fixe pendant quelques secondes seulement, pourtant, j'ai l'impression qu'une éternité s'écoule avant que son éclat de rire résonne dans la pièce.

— Quoi ? C'est pour ça que tout le monde retient son souffle depuis trente minutes ? Bon sang, mais respirer, s'amuse-t-il, ce n'est pas la fin du monde. Kasper est amoureux, ce n'est pas pour autant que le ciel va nous tomber dessus. C'est chouette ! Il est en âge de connaitre les premiers émois.

Mes lèvres s'entrouvrent face à cette surprenante réaction. J'avais envisager une tout autre réponse, bien loin de ces mots qui pansent mon cœur et me soulagent grandement.
Kate pouffe de rire, laissant probablement s'échapper le stress de la situation tandis que mes muscles se détendent doucement.

— Ce n'est pas ça le problème, soupire maman. Je me moque de ça, mais cela me chagrine de l'avoir appris de la bouche de Milla !

Mon père tourne la tête vers sa femme, la regarde avec douceur puis passe ses doigts dans ses mèches rousses.

— Enfin, chérie, nous avons eu seize ans, nous aussi. Je me rappelle très bien de la peur que tu as ressenti lorsque tu as dû apprendre à ton père que nous sortions ensemble depuis quelques mois, déjà.

— Évidemment, ronchonne-t-elle, il est justement là, le souci. Je pensais être une mère assez ouverte d'esprit pour que notre fils nous parle de ses sentiments sans avoir peur de notre réaction.

— C'est différent, intervient Kate, il ne s'agit pas seulement d'assumer avoir une petite-amie. Kasper aime un garçon, cela rend les choses plus complexes.

— Ah bon ? Et pourquoi ? demande notre père en souriant. Une fille ou un garçon, qu'importe ? La réelle question à se poser c'est, est-ce que cette personne est bonne pour Kasper ? Si ce Silas lui apporte la paix, qu'il soit doté de testicules ou d'ovaires, je ne vois pas bien le problème. Les gens qui pensent le contraire sont aigris et de la vieille époque !

Je reste ébahi à l'écoute de ses propos, je n'avais jamais imaginé une telle chose sortir de la bouche de cet homme au visage sévère et aux traits durs. Mon père est une personne qui fait frissonner en un regard, son aspect est terrifiant mais en réalité, c'est un nounours rembourré d'amour et de compassion. Harry Price est la personne qui confirme parfaitement l'expression disant qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

— Il y en a pourtant un ! Même plusieurs, râle ma mère. Tu as seize ans, Kas ! Et lui, quel âge il a ?

— Euh... dix-neuf, hésité-je.

— C'est moins que l'écart qui nous sépare, déclare papa d'un ton rieur. Ton père m'a botté le cul quand il a su que j'avais sept ans de plus que toi ! Dois-je latter ton copain, Kas ? Non parce que si je dois le faire, je préférerais que ce soit parce qu'il a été désobligeant, pas pour trois malheureuses années alors que presque dix ans nous séparent ta mère et moi.

— Tu n'es décidément pas de mon coté !

— Non, en effet. Pardonne-moi, chérie, mais tu dramatises un peu la situation.

— Mais enfin ! Il faut être réaliste, proteste-t-elle. J'ai bien remarqué que Kasper était plus joyeux, moins enfermé et un peu plus détendu depuis le début de cet été. J'ai conscience que ce jeune homme l'a beaucoup aidé à en arriver là, c'est énormément d'efforts et j'en suis très heureuse mais cette relation est trop compliquée pour notre fils.

— Pourquoi ? demande gravement Kate. Kasper et Silas sont faits pour être ensemble. C'est parce que tu ne les as pas vus mais ils sont faits de douceur et de tendresse, c'est exactement ce qu'il faut à Kas pour prendre confiance en lui.

Notre mère soupire, puis se pince l'arête du nez en grognant de frustration.

— Je n'en doute pas, mais que se passera-t-il à la fin de l'été ? C'est toi qui ramassera les morceaux de ton frère quand il aura le cœur brisé ? Et dis-moi, comment tu t'y prendras en étant à l'université, à trois heures de la maison ?

— En fait..., débuté-je, on... on a... on voudrait essayer de maintenir... une relation à distance...

— Pardon ?

— Oui, on... je l'aime et je ne veux pas que ça... s'arrête. On en a discuté... ensemble.

— Kasper ! Tu as seize ans, tu vas encore au lycée ! Silas est un adulte qui travaille probablement toute l'année et non pas seulement pendant les périodes de saisons !

— Il est... à la fac, en fait, soufflé-je.

— Ce n'est pas mieux !

— Je pensais que tu l'appréciais, bougonné-je, tu as dis que c'était un garçon charmant et tu voulais même qu'il vienne dîner avec nous. Pourquoi maintenant tu le vois différemment ?

Mon cœur s'est remis à battre trop fort, la peur s'est évanouie pour laisser place à une colère grandissante.

— Calme-toi, m'intime doucement Kate.

— Pourquoi devrais-je le faire ? m'agacé-je en me levant brusquement. Ça fait des mois que j'entends qu'il faut que je sorte, que je profite et que j'arrête de me perdre au milieu de livres et maintenant que j'ai trouvé quelqu'un qui me fait me sentir bien, on me dit que ce n'est pas possible !

Je suis surpris de ce comportement qui ne me ressemble pas. Je n'aime pas faire entendre ma voix. Pourtant, ce soir, je suis fatigué et j'en ai assez. Je suis dépassé par ce qu'il se passe et j'aimerais juste être avec Silas.

— S'il te plaît, rassieds-toi, Kas, dit calmement papa. Je ne suis pas contre toi, bien au contraire.

Je me laisse tomber sur le chaise, les yeux rivés sur mes doigts qui triturent mon tee-shirt, soudainement honteux d'avoir explosé.

— Pardon, soupiré-je, je ne voulais pas m'énerver mais... j'aime sincèrement Silas. Je me sens bien quand je suis avec lui, il est... gentil, doux... il me donne du courage et c'est grâce à lui que je... que je ne reste plus enfermé dans ma chambre. J'aimerais que tu comprennes maman, je... j'ai besoin de lui.

Ma mère reste silencieuse un instant, puis fait glisser ses mains sur la table en soupirant. Les paumes vers le haut, elle secoue ses doigts pour que j'y enlace les miens. Je le fais sans protester. Ses réactions ne me plaisent pas, mais mon énervement ne me réjouit pas non plus.

— Écoute, mon cœur, souffle-t-elle, je ne fais pas ça pour te nuire. Je dis simplement que votre relation est plus complexe que ce que tu imagines. Il te fait du bien et j'en suis heureuse, mais que feras-tu si les choses n'évoluent pas comme tu le souhaites. Je ne veux pas que tu souffres, tu comprends ?

— Ne pas essayer me ferait souffrir, bredouillé-je.

— Je ne veux pas que tu finisses avec le cœur brisé.

— Madi, intervient papa, on ne peut pas vraiment savoir ce que leur réserve l'avenir. Et quand bien même cela se passe mal, finir avec le cœur meurtri ne veut pas dire que le monde s'arrête de tourner. C'est une expérience que nous ne pouvons pas programmer et si elle arrive, notre fils ne sera pas seul pour la surmonter. Nous ne pouvons pas mettre la main devant pour empêcher que ça se produise. J'estime que Kas est assez mature pour savoir ce qu'il risque en se lançant dans une telle aventure. Et puis, nous, nous sommes mariés depuis plus de vingt ans et par chance, tu étais le premier amour de ma vie. Enfin, depuis que nos enfants sont là, tu n'es plus le seul, jen ai quatre ! Mais tu as compris où je voulais en venir, j'en suis certain.

Maman semble réfléchir pendant un moment, tandis que Kate me lance des regards enjoués. J'ignore à quoi elle pense mais moi, je suis étonné par le soutien de mon père et je me sens coupable d'avoir imaginé qu'il soit en colère. J'ai envie de le prendre dans mes bras et de le serrer très fort pour le remercier.

— Et puis cesse d'être si pessimiste, poursuit-il après un court silence. Ne lui fais pas peur de cette façon, c'est à lui de faire ses choix qu'ils soient bons ou mauvais. Nous, nous serons là, quoiqu'il arrive. Et ce Silas, Marco m'en a parlé à plusieurs reprises et de ce qu'il en dit, c'est un brave gosse.

Un brave gosse...
J'ai envie de sourire en entendant papa parler de lui ainsi, mais mon cœur reste serré.
Silas est bien plus que cela, il est le soleil qui réchauffe ma peau et la lune qui éclaire mes nuits. Est-ce si difficile de le comprendre ? Non, tout le monde le sait, alors pourquoi maman est-elle aveugle ?

— Très bien, concède-t-elle en soupirant de résignation. Cette fois, tu n'as pas le choix que de l'inviter à manger ! Ne te défiles pas !

Je clos les paupières, retenant les larmes qui me brûlent les yeux depuis tout ce temps. C'est une porte qui se déverrouille, et je l'ouvre avec plaisir. Je veux que tout le monde puisse voir Silas à travers mon regard pour faire comprendre ce que je ressens pour lui ; mais à contrario je souhaite que personne ne le sache pour que je garde ce petit coin de paradis pour moi seul.
Le fait qu'il dîne avec ma famille m'angoisse toujours autant, si ce n'est plus, désormais. Mais si cela permet de m'assurer qu'il y aura bien un " après l'été " avec lui, alors j'accepte.

— Oui ! m'exclamé-je en respirant enfin convenablement. Il finit à 20h00 cette semaine, ça ne fait pas trop tard ?

— Non, c'est bien. Maintenant, allez vous coucher et laissez moi respirer, je ne veux plus vous voir ce soir.

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