Chapitre 56 :

10 minutes de lecture

18 août 2021, début d'après-midi.

Kasper :

— Je crois que mon premier vrai fantasme, c'était ta sœur, déclare Vinny en levant le regard vers moi.

— Moi aussi ! s'exclame Jo. C'était carrément Kate qui m'a fait...

— Bon sang, mais ferme-la, grommelle Jessica en lui assénant un coup de poing dans l'épaule.

Je me retiens de rire face à la mine contrite de Jonathan. Je crois qu'il n'a pas encore l'habitude d'être officiellement en couple avec elle, laissant ainsi ses mots s'échapper sans même réfléchir à leur portée. Il faut le dire, Vincent et Jo n'ont jamais eu de barrière, nous dévoilant l'ampleur de leurs pensées sans aucune gêne et cela peut importe le sujet abordé.

— Excuse-moi, Jessy..., lâche Jo d'une voix qui se veut désolée. Maintenant c'est toujours toi qui me fais fantasmer.

— Qu'ils sont niais, râle Vincent en tirant la langue.

— Eh ! On est pas pire que Kas et son mec.

Je lève les yeux au ciel en souriant. Il faut avouer que nous le sommes peut-être un peu parfois.

— Laissez-les tranquille, moi je les trouve trop mignons, s'exclame Jess avec enthousiasme.

— Hum hum, sinon, pourquoi la conversation a dévié de cette façon ? demandé-je en ricanant.

— Je me rappelle plus Kastor, j'ai qu'un cerveau.

— Un peu comme nous tous.

— C'est faux, la pieuvre en a trois ! déclare Jo en levant l'index.

— N'importe quoi, crétin. Elle a trois cœurs et neuf cerveaux.

J'éclate de rire, suivi de près par Jessica et Vincent alors que Jonathan se met à compter sur ses doigts.

— C'est pareil, se renfrogne-t-il. Vous êtes chiants.

— C'est pas notre faute si t'es un peu con, s'amuse Vinny en lui jetant une frite au visage.

— On ne joue pas avec la nourriture, bande de crados. Le seul qui est civilisé ici, c'est Kasper.

— Merci, Jess, ce compliment me va droit au cœur, approuvé-je en hochant la tête.

— Ouais, mais toi tu n'en as qu'un, c'est moins drôle.

— On lui dit que lui aussi ? s'esclaffe Vinny. Et en plus, il n'a qu'un demi cerveau.

Je pouffe de rire en voyant les sourcils de Jonathan froncés par la contrariété. Nous rions de lui, mais il sait parfaitement que ce n'est pas méchant. Certes, ce n'est pas une lumière mais on l'aime comme il est.
Sans prévenir, Vincent se redresse brusquement, tire sa chaise afin de la positionner à mes côtés, puis un sourire taquin sur les lèvres, il me fixe sans sourciller.

— Dis Kassoulet, commence-t-il en passant son bras sur mes épaules, j'ai une question.

— Essaie toujours, dis-je sur la défensive.

Il pique une frite dans mon assiette, la mâche lentement sans me lâcher du regard puis finit par se pencher davantage vers moi.

— Est-ce que toi et Silas vous avez, tu sais ? s'enquiert-il en mimant je ne sais quoi avec ses doigts.

Je hausse un sourcil, observe son pouce et son index qui forment un cercle sans vraiment comprendre ce qu'il tente de faire lorsqu'un autre doigt passe au centre.

— C'est quoi ça ? bougonné-je en plaçant mes coudes sur la table pour soutenir ma tête.

— Euh... bah tu sais ? dit-il en continuant. C'est...

— ... toi et Silas, ricane Jo en lui coupant la parole. Et je crois que le rond c'est toi.

Je me renfrogne, me sentant idiot de ne pas comprendre ce qu'ils essaient de me dire. Je réfléchis, observe ses doigts avec plus d'intérêt jusqu'à ce que les explications apparaissent d'elles-mêmes dans mon esprit. Les yeux exorbités et les joues écarlates, je tape sur ses mains pour qu'il cesse ces mimes obscènes et dérangeants.

— Ça ne va pas bien ? grogné-je. Arrête ça tout de suite !

Vinny éclate de rire en se laissant tomber contre le dossier de sa chaise.

— Il t'en faut du temps pour assimiler des gestes si simples.

— Eh, ça m'intéresse aussi de savoir !

— Vous êtes intenables, gronde Jessica, laissez-le tranquille.

— Alors, Kassoulet ?

— Non, on n'a pas... fait ça, marmonné-je en cachant mon visage brûlant.

— Vous attendez quoi ?

— Le bon... moment, réponds-je gêné.

— Donc tu en as envie ? s'exclame Vinny en me secouant par les épaules.

— Parle moins fort, me plains-je en relevant la tête pour lui offrir un regard assassin.

Un sourire radieux étire ses lèvres, alors que moi, je me sens observé, étudié comme une bête en cage. Je n'ai pas vraiment de problème quant à ce que je désire mais aborder le sujet avec Silas est plus simple que de le faire avec mes amis un peu trop curieux. Je sais qu'ils ne me jugent pas, qu'ils sont ainsi faits et que la barrière du privé ne fait pas partie de leurs habitudes, mais ça n'en reste pas moins gênant lorsque tous les regards sont braqués sur moi. Je peux tout leur dire, j'en ai parfaitement conscience mais si pour eux, c'est chose aisée de tout déballer, pour moi, c'est plus difficile et légèrement embarrassant.

— Si tu veux un conseil, mon pote, commence Jonathan, respire profondément et tout se passera bien.

— Carrément, renchérit Vinny, tu dois te détendre, ne pas trop réfléchir et laisser les choses aller toutes seules.

— Hum hum, soufflé-je en détournant le regard, merci mais ça suffit maintenant.

Les paumes à plat sur la table, je sens des doigts venir serrer les miens. Je tourne lentement la tête, croise le regard compatissant de Jessica qui sourit doucement.

— Ne les écoute pas, articule-t-elle sans émettre aucun son.

Je hoche la tête brièvement, puis mon regard se pose sur mes frites probablement froides. Comme si rien n'avait été dit, la conversation change à nouveau et mon corps se détend peu à peu. Je n'aime vraiment pas être le centre de l'attention, surtout quand il s'agit d'un sujet si intime. Je sais ce que je veux, je désire Silas plus que tout et je l'ai parfaitement compris désormais. Je suis en paix avec ça, bien que j'apréhende un peu. Je sais pourtant qu'il sera le plus doux et le plus prévenant possible à mon égard, exactement comme chaque fois que nous sommes seuls et que nos désirs prennent le dessus. J'ai moins de craintes lorsqu'il s'agit de le caresser, je l'ai fait sans même y réfléchir l'autre soir et j'ai aimé cela. Pourtant, j'ignore pourquoi mais quand il s'agit de moi, je suis incapable d'agir. J'ai réessayé quelquefois, seul dans mon lit, j'ai tenté de me toucher, de me découvrir comme Silas me l'avait conseillé mais je n'y parviens pas. Je me sens comme étranger à mon propre corps et je n'arrive à rien hormis à éprouver une énorme gêne. J'aime que Silas me touche, je déteste le faire moi-même. C'est étrange, j'ignore si c'est normal ou non mais je refuse de poser la question, ni à lui, ni à mes amis. Si certains sujet deviennent moins angoissants, celui-ci est oppressant et me rend nauséeux. Par moments, j'ai l'impression d'être cassé, comme si quelque chose clochait chez moi. Je dois probablement être le seul adolescent à ne pas savoir se soulager.

— Kas ! m'interpelle Jo en secouant la main face à mon visage. Tu es encore avec nous ?

J'acquiesce, subitement sorti de mes pensées. Je me suis légèrement égaré.

— On va à la piscine, tu viens avec nous ? me sourit Jessica.

— Tu n'es pas obligé de te baigner, enchaîne Vinny.

Je secoue la tête en avisant l'heure sur mon téléphone.

— Une autre fois peut-être, Kate va me rejoindre. Je dois voir Marco pour le dernier feu de camp.

— Ah mais oui, à ce propos, tu as trouvé le thème ? s'intéresse Jess.

— Je crois avoir une idée mais je ne sais pas si ce sera faisable, c'est pour ça que je dois voir mon oncle.

— Tu nous réserves une surprise, Kastor ?

Je hausse les épaules, ce n'est rien de fabuleux, en réalité, c'est simplement quelque chose qui me ressemble, basique et peut-être même très peu original. Je sais que Marco sera enthousiaste à cette idée mais je ne suis pas certain qu'il aura les moyens pour l'organiser. Si ce n'est pas possible, je vais devoir me rabattre sur un autre plan.

— Ne t'attends pas à des merveilles, les pires idées viennent de vous, dis-je en pointant les mèches colorées dans mes cheveux.

— C'est pour ça que c'est drôle, mais on te fait confiance, Kascouilles.

Quelques minutes s'écoulent durant lesquelles nous terminons nos assiettes en parlant de futilités. Puis, mes amis s'éloignent, leurs sacs de piscine à la main tandis que j'attends Kate en faisant défiler les photos de mon téléphone. Il n'y en a pas énormément, elles sont toutes de mes amis et moi, et les dernières prises sont de Silas.

— Tu es prêt, mon Kas ? s'enquiert ma sœur en s'immobilisant face à moi.

Je hoche la tête, puis nous nous dirigeons vers le bureau de notre oncle.

— Tu n'as pas vu Silas aujourd'hui ?

— Non, il travaillait tôt ce matin. On doit se retrouver en fin d'après-midi.

— Qu'avez-vous de prévu ?

— Je ne sais pas, rien de spécial j'imagine.

Kate acquiesce puis passe son bras sous le mien pour nous rapprocher un peu. Elle m'apprend que nos parents souhaitent planifier une sortie en famille avant que ne vienne la fin de nos vacances.

— Pourquoi ne m'en ont-il pas parlé ? boudé-je.

— On te voit très peu, s'amuse-t-elle. Quand tu n'es pas avec Silas, tu es avec les idiots qui te servent d'amis.

— Hum, c'est vrai. Et que veulent-ils faire ?

— Ils ne se sont pas encore mis d'accord. Maman aimerait une sortie de plein-air, tandis que papa opte pour un bowling.

— C'est toujours pareil, soufflé-je, ils ont tous les deux des idées complètement différentes et finalement nous feront ni l'une ni l'autre.

— Exactement, rit-elle, on finira sûrement au cinéma.

Je pouffe de rire, sachant parfaitement que c'est ainsi qu'évolueront les plans.
Lorsque nous arrivons près de l'endroit où est posté Silas, mon regard le cherche. C'est instinctif, quand je sais qu'il n'est pas loin, je tente de le repérer ne serait-ce que pour le voir quelques minutes. Il me manque, nous n'avons pas eu l'occasion de nous voir longtemps lors de la journée précédente, bien que c'est avec lui que j'ai passé la nuit, et celle d'avant aussi.
Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je l'aperçois, il discute avec un campeur aux cheveux d'un roux foncé. Silas passe une main entre ses mèches, sourit à son vis-à-vis en hochant la tête. Je m'approche lentement, il ne m'a pas encore vu. L'autre garçon lève le regard vers moi lorsqu'il me distingue dans son champ de vision. Ses iris bruns rencontrent les miens, tandis qu'un sourire presque imperceptible apparaît sur son visage. Il fait un pas vers Silas, se dresse légèrement et écrase sa bouche sur celle de mon petit ami.
Un cri d'effroi m'échappe tandis que je me stoppe brusquement. Les yeux exorbités, je fixe ce... type qui embrasse les lèvres qui ne devraient rencontrer que les miennes. Le temps semble s'être arrêté alors qu'une déflagration explose en moi.

Pourquoi a-t-il acquiescé ? Est-ce pour accepter ce baiser qu'il a hoché la tête ?

J'entends Kate parler, mais je ne comprends pas, non, je ne saisis rien sauf le fait que Silas ne repousse pas la personne qui vient de réduire en cendres mon cœur. J'ai l'atroce impression que la scène dure une éternité, mais j'ai perdu la notion du temps, j'ai perdu la raison aussi, je crois.

Pourquoi ai-je si mal ? Bordel, pourquoi je pleure au lieu de crier mon désespoir ?

J'ai la sensation de tomber, de tellement haut que mon cœur cesse de battre. Je ferme les yeux, tentant d'anticiper l'atterrissage mais il n'arrive pas. Je chute, encore et encore, mais rien d'autre ne se passe. Sous mes paupières, ce sont les lèvres de cet intru contre celles de Silas qui s'impriment et ne s'effacent pas. Une douleur fulgurante me percute, comme si mon âme venait de rencontrer un mur à une vitesse folle. Je me sens terriblement mal, trahi, moqué, humilié. Il s'est joué de moi, m'a mené par le bout du nez pour me ridiculiser. Ses mots tendres résonnent dans ma tête, mon esprit est malmené. Les larmes dévalent mon visage, à tel point qu'elles me brûlent la peau. Je suffoque, je me perds, égaré au milieu de nos baisers et nos caresses en imaginant les horreurs qu'il a dû penser. Silas se serait-il servi de moi ? Mon cœur est si douloureux que je me demande s'il n'est pas gisant dans ma poitrine.

Un regard vert croise le mien lorsque mes paupières s'ouvrent à nouveau. J'aimerais que Silas disparaisse, qu'il n'existe plus et que ma souffrance s'efface avec nos souvenirs et l'amour que je ressens pour lui.
Ses yeux sont horrifiés, arrondis à l'excés tandis qu'il secoue violemment la tête. Sa main se lève dans ma direction, mais je refuse qu'il m'approche.

— Kasper, respire ! m'intime Katherine en posant sa main sur mon bras. Je suis certaine qu'il y a une explication à ça.

Mon corps est figé, je ne veux pas être touché, je me sens trop mal pour ça. Les lèvres de Silas se mettent en mouvement mais je ne comprends pas ce qu'il dit, je crois que je ne veux pas l'entendre.
Je sors subitement de ma torpeur lorsqu'il fait un pas vers moi, le visage ravagé par un sentiment indescriptible. Je me réveille brusquement, je crois que la chute est terminée, j'ai enfin rencontré le sol. Mes jambes se mettent en action dès lors qu'il s'approche de moi. Je me détourne, efface rageusement l'eau qui ruisselle sur mon visage et me mets à courir le plus vite possible tandis qu'il hurle mon nom. J'ai besoin d'être loin, de le fuir pour que ma douleur reste près de lui.

Ça va aller, Kas, tout va bien se passer !

Non ! Rien ne va, rien n'ira bien. Silas ne l'a pas repoussé...

J'ai envie de hurler ma souffrance, mais rien ne sort, je crois qu'une pièce dans le mécanisme est cassée.

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