Chapitre 57 :

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18 août 2021, au même moment.

Silas :

Le soleil est brûlant en ce début d'après-midi. Je suis posté au stand de glaces depuis des heures déjà. J'ai chaud et ressens l'envie de plonger la tête dans le congélateur à roulettes pour me rafraichir. Ce n'est vraiment pas le travail que je préfère dans ce camping, mais Marco continue de me rabâcher qu'il n'a d'autre choix que de faire tourner ses employés pour ne pas avoir de plaintes. Je suis qualifié pour le service en salle et le secourisme, alors autant dire que rester immobile pendant tout un après-midi est un réel calvaire. J'ai l'impression que le temps ne s'écoule pas assez rapidement et Kasper me manque. J'aimerais le voir, même si ce n'est qu'un instant, pour embrasser ses jolies lèvres et recharger mes batteries pour le reste de la journée.
Un sourire ourle ma bouche lorsque je revis la nuit dernière. Blotti dans mes bras, il ne lui a fallu que quelques minutes pour trouver le sommeil, tandis que moi, j'ai passé des heures à l'admirer. Le film que nous avions mis n'était pas aussi intéressant que les expressions de son visage quand il dort paisiblement. Je crois avoir passé un très long moment à caresser ses cheveux, son dos, ses bras. Ces soirées sont aussi agréables que celles où nous laissons nos désirs s'exprimer. Finalement, chaque instant avec lui est merveilleux. J'ai dû quitter ses bras tôt ce matin pour aller travailler, le laissant seul dans mon lit. Je n'ai pas eu le cœur à le réveiller, il dormait si bien.

— Je peux... avoir une glace à la vanille ? s'élève une voix hésitante.

Je baisse la tête vers un petit blondinet aux yeux mordorés. J'acquiesce en souriant, ouvrant le congélateur afin d'examiner son contenu.

— Il y a beaucoup de choix, tu sais ce que tu veux ? lui demandé-je gentiment.

Il secoue la tête en dansant d'un pied à l'autre.

— Non, je veux juste une glace à la vanille.

J'incline la tête, puis lui demande d'approcher. Il fait quelques pas, les yeux baissés.

— Et si je te montrais ce qu'il y a ?

Il hoche timidement la tête, puis tend ses bras vers moi. Je me penche, le soulève afin de l'aider à faire son choix. Pendant une longue minute, il regarde les glaces en se frottant le menton puis en pointe une d'une doigt.

— C'est celle-là que je veux ! s'exclame-t-il.

— Très bon choix ! acquiescé-je en le posant à terre. C'est ma préférée.

Je lui déballe sa glace, enroule le bâtonnet d'une serviette en papier et la lui tends en souriant. Il l'accepte en sautillant, tandis que je pouffe de rire en voyant sa mine réjouie. Il semble moins intimidé qu'il y a quelques minutes.

— Oh... je n'ai pas de pièce, souffle-t-il en tapotant les poches de son pantalon.

— Pas de souci, champion, je te l'offre.

— C'est vrai ? s'exclame-t-il, les yeux illuminés.

— Evan ! Bon sang, mais je te cherche partout depuis dix minutes ! grogne un inconnu surgit de nulle part. Comment tu as eu ça ?

— C'est le monsieur, répond l'enfant en levant le menton dans ma direction.

Un garçon aux cheveux roux me regarde, les sourcils légèrement froncés, puis reporte son attention sur le petit Evan en râlant.

— Tu n'as même pas d'argent, peste-t-il. Qu'as-tu fait encore ? Retourne voir tatie, dépêche-toi.

Le gamin bougonne en traînant les pieds, mais ne semble pas perturbé pour manger sa friandise glacée. Il me fait un signe de la main avant de s'éloigner.

— Combien coûte-t-elle ? m'interroge le second en fouillant dans ses poches.

— Rien du tout, c'est pour moi, souris-je en refermant le congélateur.

— Quoi ? Non, je vais payer. Désolé, mon cousin est un peu agaçant parfois.

— Il n'a pas été désagréable, dis-je en haussant les épaules. Ce n'est qu'une glace.

— Il sait y faire ce petit, grogne-t-il, je m'appelle Théo.

— Silas.

— Il est chouette cet endroit, c'est la première fois qu'on vient. Mais je ne sais pas quoi faire.

— Ce ne sont pas les activités qui manquent ici, dis-je en cherchant un flyer.

C'est dans la caisse que j'en trouve un, il est un peu abîmé mais il fera l'affaire. Je lui tends sans vraiment faire attention à lui, mon regard dévie sur les alentours. Il n'y a pas énormément de monde de ce côté du camping, et je me demande pourquoi Marco souhaite placer un stand de glaces dans un lieu si peu fréquenté.

— Wouah, c'est plus grand qu'il n'y paraît, s'exclame le garçon dont j'ai oublié le prénom.

J'acquiesce tout en le détaillant rapidement, je lui donne dix-huit ans, pas plus. Ses cheveux roux et ses yeux bruns lui octroient un petit coté sombre. Il est mignon, mais banal. Kasper est bien plus beau, mais ce n'est pas difficile finalement. Personne ne l'égal, il est la perfection à mes yeux. Mon Amour aux iris aussi bleu que le ciel. J'aimerais l'apercevoir, le temps est long.

— Tu conseilles quoi pour commencer ? demande-t-il en coupant le fil de mes pensées.

— Pardon ?

— Les activités, rit-il en secouant le dépliant du camp sous mes yeux.

— Ah oui, et bien le tir-à-l'arc est pas mal, dis-je distraitement. Le parcours d'accrobranche est assez grand et accessible à tout âge donc ton cousin peut aussi y participer. Sinon, il y a le pédalo, c'est nouveau cette année et ça fonctionne bien, c'est top pour passer un bon moment.

Il hoche la tête à chacun de mes mots, semble boire mes paroles tandis que j'aimerais simplement que Kasper vienne me voir. Il est gentil ce type, mais je n'ai pas vraiment envie de faire la conversation. Je suis fatigué et j'ai trop chaud. Ça ne me ressemble pas de penser ainsi, mais mon humeur est morose.

— Tu as déjà testé ? Les employés aussi peuvent participer ?

— Bien sûr, on ne travaille pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J'ai quasiment tout essayé.

Je me force à sourire, je ne peux pas me montrer désagréable, je me dois d'être chaleureux lorsque je travaille. En réalité, ce n'est pas que ce garçon me dérange, c'est simplement que j'aimerais retrouver mon bungalow pour prendre une douche. Le soleil tape trop fort, mes cheveux sont lourds et humides sur ma tête.
Je regarde discrètement ma montre, les minutes sont trop longues, ma pause commence dans une demi-heure. À cet instant, je déteste mon patron de m'avoir posté ici.

— Tu sembles distrait, fait-il remarquer, est-ce que je t'ennuie ?

— Non, pas du tout. Excuse-moi, c'est juste que ça fait des heures que je suis immobile et ce n'est pas ce que je préfère.

— Je vois, tu es du genre à ne pas savoir rester en place, constate-t-il en plissant les yeux.

Je passe une main dans mes cheveux pour dégager mon front, puis acquiesce en souriant. C'est tout à fait ça, je me sens mieux lorsque je suis en mouvement, je suis un peu hyperactif, sauf quand j'ai ma Douceur dans les bras. Là, je pourrais rester sans bouger pendant des heures.
Un léger sourire se dessine sur les lèvres du campeur tandis qu'il se dresse légèrement. Je le fixe en fronçant les sourcils, tentant de comprendre ce qu'il se passe dans son regard lorsqu'il croise le mien, pourtant, je n'ai pas le temps d'anticiper la suite. Mon corps se fige brusquement lorsqu'il écrase sa bouche sur la mienne. Les yeux écarquillés, je ne bouge pas pendant une seconde, pris de court et complètement sonné. Mon cœur cesse de battre, alors qu'un sentiment de dégoût s'empare de moi. Tout s'accélère à l'instant où un cri de stupeur me parvient, je fais un pas en arrière, secoué par deux émotions qui s'opposent. La rage et l'angoisse me submergent quand je tourne la tête vers Kasper qui me fixe, ses beaux yeux remplis de larmes.

Putain !

Je secoue la tête, m'essuyant les lèvres du revers de la main. Je me sens souillé, comme abusé, tandis que mon cœur s'enraille face à la mine torturée de mon Amour perdu au milieu de l'incompréhension.
Intérieurement, je me flagelle de ne pas avoir bougé, de ne pas avoir repoussé ce type qui vient de briser quelque chose dans le regard de Kasper. À moins que ce ne soit moi ? J'étais comme paralysé, complètement pris au dépourvu et les événements se sont produits à une vitesse bien trop rapide pour que je puisse réagir.

– Kasper..., soufflé-je en tendant les doigts dans sa direction, ce n'est pas ce que tu crois...

Son regard est vide, il semble égaré et mon cœur se serre. Bordel, mais que vient-il de se passer ?

Je m'approche lentement, essayant vainement de le rassurer mais il m'observe d'une façon indéchiffrable. C'est douloureux, pire que tout. J'aimerais le prendre dans mes bras et le réconforter, m'excuser, lui dire que c'est un malentendu mais il ne me laisse pas l'occasion de le faire, prenant ses jambes à son cou pour me fuir comme si j'avais anéanti une chose au fond de lui.

— Kasper ! crié-je péniblement alors qu'il s'éloigne de moi. Kasper, ne t'en va pas, attends !

C'est à cet instant que je remarque Kate. Elle me barre la route, plaque brusquement sa main sur ma poitrine pour me stopper.

— Katherine... je dois lui parler !

Elle m'assène une gifle monumentale en plein visage, la mâchoire serrée et le regard assassin. J'encaisse sans broncher, je l'ai mérité pour être resté stoïque comme un idiot.

— J'espère que tu as une bonne explication pour justifier ça, tonne-t-elle d'une voix qui me ferait presque frissonner.

— Quoi ? Mais je n'ai... je...

— Qu'est-ce que t'as fait ? Et toi ? peste-t-elle en levant un doigt accusateur vers le campeur que j'avais oublié.

Je me tourne lentement vers lui, les nerfs en pelote et une rage fulgurante au creux de l'estomac. Il relève la tête vers moi, me regarde avec appréhension mais je me moque de ses états d'âme. Je le pousse brusquement alors qu'il tente de reculer, si fort qu'il chancelle et finit les fesses par-terre.

— Putain, mais t'es qui toi ? grogné-je en serrant les poings.

Ses bras se placent devant son visage, comme pour se mettre en sécurité. Ça ne fonctionnera pas, pour qui se prend-il au juste ? Comment a-t-il osé faire ça ?

— Ne me frappe pas, bredouille-t-il en se cachant davantage. Je suis même pas gay, désolé !

— Pardon ? pesté-je. Bordel, mais c'est quoi ton problème ?

J'attrape son bras pour le relever à la hâte, il chouine en frémissant. Son regard est baigné de terreur mais je m'en moque, celui de Kasper m'a brisé.

— Je suis désolé, répète-t-il, pardon. Ce n'était pas mon idée, c'est... on m'a payé pour faire ça ?

— Quoi ?

— De quoi tu parles ? intervient Katherine, furibonde.

— C'est Mathias, on est ami, il a... il m'a demandé de faire ça, mais... j'aurais pas dû, c'est vrai, c'était idiot... pardon.

Mon regard croise celui de Kate qui fronce les sourcils. La colère bouillonne dans mes veines, je suis à deux doigts d'exploser.

— Il ne lâchera donc jamais l'affaire, grince-t-elle.

— Il est où ce connard ? vociféré-je en secouant le type sans aucune douceur.

— Il n'est plus là, bredouille-t-il. Il est... il est parti, mais je devais l'appeler pour... pour...

Je le relâche, fais un pas en arrière tandis que je réfléchis à toute vitesse. À quel point Mathias est-il tordu pour avoir ce genre d'idée ? J'aurais dû le cogner plus fort pour lui faire passer l'envie d'agir comme un abruti mal baisé.

— Comment tu as su ? demandé-je en me pinçant l'arête du nez.

— De... quoi ?

— Que Kasper allait arriver ? Même moi je l'ignorais. Comment tu as su que c'était le moment pour faire... ça ? craché-je avec dégoût.

— Je... je ne le savais pas, je voulais juste... t'accoster pour te cerner un peu mais, quand j'ai vu ton copain... je me suis dis que c'était le moment ou jamais.

— T'as conscience de ce que tu viens de faire, crétin ? rugit Kate en lui donnant un coup dans le bras. C'est mon petit frère que tu viens de blesser !

— Je suis désolé, répète-t-il encore, je... je n'aurais pas du accepter, mais il m'a donné de l'argent. Je suis pas gay.

— Et c'est la seule raison pour laquelle ça te gêne ? hurlé-je en le bousculant.

— Mais non, mais... mais...

— Appelle-le !

Ses sourcils se froncent face à l'incompréhension. Je soupire, complètement hors de moi.

— Mathias, putain ! Appelle-le !

Il hoche la tête, récupère son téléphone en tremblant. Moi, je fais les cent pas, me retenant d'éclater la tronche de ce crétin face à moi. Il active le haut-parleur, les sonneries se succèdent jusqu'à ce que la messagerie résonne. Il réitère, réessaie plusieurs fois mais les appels n'aboutissent toujours pas. Je perds patience, attrape le téléphone en pestant et me mets à rugir après le serveur vocal.

— Espèce de connard, j'espère pour toi que tu ne croiseras pas ma route parce que tu risques de ne pas l'oublier ! Je vais te cogner tellement fort que tu ne pourras même plus esquisser un sourire. Je pensais avoir été clair mais visiblement t'es trop con pour comprendre. Assimile bien mes paroles, je vais te les faire avaler quand je te verrai. Je vais te faire passer l'envie de te pavaner avec ton petit air de couillon. Ça va mal finir Mathias, alors réfléchis bien si tu veux encore pouvoir prendre du plaisir !

Je raccroche, le cœur enragé. Le pauvre type peine à rattraper le téléphone que je lui jette au visage. Le corps crispé, je bouillonne. Je n'aime pas être ainsi, je n'aime pas non plus parler de cette façon ou agir comme un fou mais il a été trop loin. Mathias ne paie absolument rien pour attendre, et j'espère qu'il est suffisamment intelligent pour ne plus se pointer devant Kasper ou moi.
Je récupère mon propre portable, compose le numéro d'un collègue qui ne travaille pas aujourd'hui, afin qu'il prenne ma place et que je règle ce vulgaire problème.

— Où vas-tu ? m'interpelle Kate alors que je m'éloigne.

— Chercher ton frère, je ne peux pas le laisser croire des bêtises à cause de deux crétins comme eux, pesté-je en balayant l'air du revers de la main.

Elle acquiesce, puis viens vers moi pour poser sa paume sur mon avant-bras.

— Excuse-moi, j'ai été brusque. Je savais qu'il y avait méprise mais Kasper m'a fait énormément de peine.

— Ne t'inquiète pas, maintenant j'espère qu'il va bien sinon cet abruti n'aura plus de dents, dis-je suffisamment fort pour que le coupable m'entende.

Elle acquiesce pour ferme les yeux en soupirant, tandis que moi, je pars déjà. Il faut à tout prix que je trouve Kas pour m'expliquer. Je refuse qu'il se sente mal à cause de stupidités pareilles. Le téléphone à l'oreille, je tente de le joindre un nombre incalculable de fois, jusqu'à ce que mes appels soient rejetés.

— Putain ! pesté-je en arpentant le camping. C'est définitivement une journée de merde.

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