Chapitre 59 :

11 minutes de lecture

20 août 2021.

Kasper :

Les volets de ma chambre baissés, je fixe le plafond. Seuls quelques rais de lumière transpercent les rainures et viennent dessiner des traînées jaunes sur les murs. Entre mes cils humides, le visage de Silas ne s'efface pas, ses yeux émeraudes baignés de tristesse me fixent avec insistance, demandant silencieusement que je réagisse. La douleur est visible sur son visage, tout comme la mienne qui fait battre mon cœur par saccades. J'aimerais lui dire d'approcher, le prier de me prendre dans ses bras afin que la chaleur de sa peau réchauffe la mienne glacée. Pourtant, la larme qui roule le long de ma tempe me rappelle que sa présence est illusoire, que je suis seul dans cette pièce que je n'ai pas quitté depuis deux jours.
Il me manque. Sa voix me manque. Ses baisers me manquent, tout comme ses sourires tendres et ses caresses brûlantes. Pourtant, je reste muet, ignorant ses textos ainsi que les appels qui font vibrer mon téléphone sur la table de chevet. Je lui ai demandé du temps, sans vraiment penser que ces heures loin de lui seraient davantage douloureuses que sa présence triste et meurtrie.

Le silence. C'est ce qui me berce et m'étouffe depuis que les lèvres de cet inconnu ont rencontrées celles qui ne devraient être qu'à moi. Il a profané mon sanctuaire, souillé mon territoire en embrassant mon Silas et me privant de la confiance que j'avais réussi à gagner. J'ai perdu mon assurance, naviguant au milieu d'une eau turbulente remplie de doutes et de questions.
Comment pourrais-je effacer l'image gravée dans ma mémoire, celle qui me maltraite dès que je ferme les yeux pour essayer de me reposer ?
Je sais qu'il ne m'a pas menti. Mon Croissant de Lune m'a dit la vérité, j'ai senti sa sincérité bien avant que Kate m'affirme ses dires. Je le sais, il n'a jamais voulu me faire de mal, mais malgré cela, mon cœur saigne encore.

Du bout des doigts, je caresse le morceau de Silas qui enjolive le bracelet qui orne mon poignet. Ce petit pendentif brillant qui représente cet être que j'aime de façon démesurée.
Ma Lune.
J'imagine ses doigts qui enlacent les miens, ses bras qui m'étreignent pour m'enfermer dans une bulle de réconfort et je ne peux retenir mes sanglots. Je me sens mal, à tel point que je ne parviens pas à bouger. Ses sentiments sont réels, mais la peur m'enserre dans un étau glacial. Comment les choses se passeront-elles lorsque je rentrerai chez moi et que lui restera ici ? Comment vivrai-je la distance, et réussirai-je à ne pas imaginer un autre homme contre le corps aimant de mon Silas ? Comment puis-je ne serait-ce que ne pas douter de cela lorsque mon reflet apparaît dans un miroir ?
Je ne suis que moi, cette personne insignifiante qui se cache derrière des romans fantastiques pour ne pas affronter le monde et la réalité. Alors que lui, il est la force, l'assurance, la beauté et la gentillesse. Il pourrait sans mal trouver un homme à sa hauteur, quelqu'un qui n'est pas terrifié de tout et qui sait profiter de la vie. Ce serait plus simple, il faut l'admettre. Il ne se priverait pas de vivre pour m'attendre, tandis que moi, je retournerai dans mon univers sans couleurs. Je pensais être à ma place, dans ma chambre et perdu entre les lignes d'un livre mais j'ai compris que ce n'était qu'une illusion lorsque Silas est entré dans mon cœur. Il m'a prouvé que je pouvais être différent, que cela n'était pas utile de faire taire sa personnalité pour ne pas attirer l'attention. Il m'a appris à être moi-même et à savoir agir par instinct même si c'est encore compliqué lorsqu'il s'agit de choses un peu trop intimes. Il est celui qui mérite le bonheur et moi, je ne suis pas certain de parvenir à le combler. Qu'en sera-t-il de nous quand les kilomètres nous sépareront ? Qu'en sera-t-il de notre amour quand il ne parviendra plus à attendre après un spectre cloîtré entre quatre murs ? Aurais-je mal au cœur quand il trouvera la personne qui pourra répondre à toutes ses demandes, qui assouvira ses envies sans la moindre hésitation et sans parcourir quatre longues heures pour retrouver le visage de son aimé ?

Mon cerveau est en ébullition, rempli de pensées assassines qui me rongent l'estomac. J'ai froid et suis caché sous une épaisse couverture alors que trente degrés réchauffent le sol du camping. Comment est-ce possible d'être glacé lorsque le soleil brûle et cogne contre les volets de ma chambre ? En réalité je crois que mon sang est figé, gelé dans mes veines et qu'il refroidit mon cœur qui pleure de désespoir.
Quelques coups se font entendre contre la porte qui s'ouvre l'instant suivant. Je plisse les paupières lorsque le plafonnier s'allume et illumine la pièce. Un grognement m'échappe alors que je rabats la couverture sur mon visage. Le matelas s'affaisse, m'indiquant que quelqu'un vient de s'y installer. Pas besoin de voir pour savoir que c'est ma sœur qui gratte doucement le sommet de ma tête.

— Kas, soupire Kate, il serait peut-être temps de sortir de ce lit.

Je ne réponds pas, croquant ma langue pour retenir mes sanglots.

— J'ai un peu de mal à comprendre, continue-t-elle en dévoilant mon visage. Tu ne nous crois pas, Silas et moi ?

Les yeux fermés, je soupire en me recroquevillant sur moi-même.

— Bien sûr que si...

— Alors pourquoi restes-tu enfermé ici au lieu d'aller le voir ? Il m'a appelé il y a une heure, il va aussi mal que toi. J'ai de la peine pour vous, ce n'est qu'un fâcheux malentendu.

Entendre que Silas va mal me comprime le cœur, bien qu'au fond de moi je le savais déjà. Je me rappelle parfaitement de son expression anéantie lorsque je lui ai demandé de me laisser seul il y a deux jours.

— Je le sais... mais... je ne crois pas être... à la hauteur, reniflé-je.

— À propos de quoi ?

— De lui...

— Pardon ? Kasper, regarde-moi, s'il te plaît.

Ses doigts caressent encore ma tête, avec plus de vigueur cette fois. J'ouvre un œil, que je referme aussi vite lorsque la lumière me brûle la rétine. Je me frotte les yeux pendant de longues secondes puis lâche un long soupir avant de me redresser contre la tête de lit. Le regard de Kate trouve immédiatement le mien quand je me décide enfin à l'affronter. Ses yeux d'un bleu foncé me scrutent jusqu'à presque sonder mon âme.

— De quoi parles-tu ? réitère-t-elle en attrapant mes mains dans les siennes.

— Je ne suis pas fait pour Silas, murmuré-je. Nous ne faisons pas partis du même monde. Il nous reste dix jours, et après ?

— Après vous continuerez de vous aimer, rien ne changera, dit-elle avec certitude.

— Peut-être, pendant un temps. Jusqu'à ce qu'il se lasse et qu'il rencontre quelqu'un d'autre, de moins coincé, de plus ouvert et accessible.

Kate fronce les sourcils en faisant passer ses cheveux par-dessus son épaule d'un mouvement fluide.

— Je ne veux pas t'entendre dire de telles choses. Comment peux-tu le savoir ? Personne ne peut deviner ce qui se passera demain. Tu semblais pourtant déterminé à vivre cette histoire, qu'est-ce qui a changé ? demande-t-elle en inclinant la tête.

— Ce type qui a embrassé Silas, soufflé-je la gorge serrée. Il a tout changé.

— Mais il n'a pas d'importance, Silas n'a jamais voulu que cela se produise.

— Oui, mais tu ne comprends pas. Cette image, elle ne quitte pas mon esprit, et même s'il ne le souhaitait pas cette fois, peut-être qu'il finira par le vouloir après avoir passé des mois sans que nous nous voyions.

— Peut-être, soupire-t-elle, mais ce sont les risques à prendre. Tu sais, ces choses peuvent arriver même lorsqu'il n'y a aucune distance au sein du couple mais malheureusement, on ne peut pas le prévoir. Si tu commences à imaginer que ça arrivera, tu ne supporteras jamais le fait que vous soyez séparés. Et puis, Silas doit se poser les mêmes questions que toi. Tu es persuadé que c'est lui qui se lassera, mais il est aussi possible que ça t'arrive, à toi. Personne n'est à l'abri de ressentir des sentiments et même si on aime déjà quelqu'un.

— C'est impossible, nié-je en secouant vivement la tête. Jamais je ne voudrais lui faire du mal, je ne me vois avec personne d'autre que lui.

— Et lui non plus, m'assure-t-elle. Si tu pars si défaitiste, vous n'avancerez jamais, et stagner dans une relation est très douloureux. Tu ne peux pas mettre un terme à ce que vous avez par peur de souffrir alors que tu n'as pas la certitude que les choses évolueront de façon négative.

— Je ne veux pas mettre un terme à ce que l'on a, jamais. Je l'aime, murmuré-je en fermant les yeux, mais ce type, il a fait remonter des doutes que j'avais réussi à faire taire, tu comprends ?

— Évidemment, et c'est normal, mais il n'y a qu'en discutant avec Silas que tu vas pouvoir passer à autre chose. L'ignorer ne fait que repousser l'inévitable. Et comme tu l'as dit, il reste dix jours avant de rentrer à la maison alors profite. Tu ignores quand vous allez vous revoir après la fin des vacances.

— Je ne sais pas si j'arriverai à faire taire cette petite voix qui me dit que Silas finira probablement avec quelqu'un d'autre dans ses bras, soufflé-je en rouvrant les vannes de mon désespoir.

Kate englobe mon visage, passe ses pouces sur mes joues pour effacer les traînées humides qui glissent sur ma peau.

— Arrête de te dénigrer, mon Kas. Tu peux me croire, je n'ai jamais vu tant d'adoration dans le regard de quelqu'un. Silas t'observe avec tellement d'amour que ça déborderait presque, ne le vois-tu pas ?

— Si, je crois...

— Alors cesse de trop réfléchir et laisse les choses se faire. Tu n'as que dix-sept ans, Kasper, tu es jeune et c'est ta première relation. Elle peut être courte mais si intense que tu ne l'oublieras jamais, ou alors, elle peut durer et cela plus longtemps que ce que tu peux imaginer sans que vos sentiments ne se ternissent. Nous n'avons pas de boule de cristal pour lire l'avenir alors laisse-le venir à toi.

Mes doigts glissent une nouvelle fois sur mon croissant de lune. Le bijou est froid sur ma peau, comme pour me rappeler que seul Silas peut me réchauffer.

— Je n'ai jamais été si terrifié, Katherine..., soufflé-je en fermant les yeux.

— Je sais, mais tu l'es depuis que tu l'as rencontré. Si tu as réussi à surpasser ta peur pour profiter pleinement de ce qu'il a à t'offrir, tu peux le faire à nouveau.

— Tu crois ?

— J'en suis persuadée, me certifie-t-elle en caressant ma joue. Tu aimes Silas, et Silas t'aime aussi. Tu as tes craintes, et il a les siennes alors surmontez-les ensemble avant de vous dire au revoir.

— Au revoir..., soupiré-je, je ne veux pas lui dire.

— Ce ne sera pas un adieu, Kasper, garde bien cela en tête mais plutôt un " je t'aime, alors à bientôt ", s'amuse-t-elle en penchant la tête.

J'acquiesce, le cœur battant. Elle a probablement raison, comme souvent finalement. Ma grande sœur m'a toujours été d'un soutien sans faille, sachant toujours quoi dire ou faire pour me remonter le moral. Mais quand je rentrerai à la maison, en plus d'être loin de Silas, je serai aussi loin d'elle. Kate va retourner à la fac, ne sera là que très rarement et je serai seul dans ma chambre sans personne pour m'aider à surmonter mes peines. Mes amis seront là, je sais que je pourrais éternellement compter sur eux mais leurs câlins ne seront jamais aussi chauds que ceux d'une grande sœur.

— Je t'aime, Kate, murmuré-je en me frayant une place entre ses bras.

Elle m'enlace, me serre fort contre elle tout en nous secouant un peu. Je pouffe de rire, amusé par ce geste qu'elle faisant souvent lorsque j'étais tout petit.

— Moi aussi je t'aime, mon petit frère préféré.

— Je suis le seul, ricané-je le visage dans son cou.

— Et c'est tant mieux, comme ça j'ai plus d'amour à te donner.

Elle se décale pour que mon regard croise le sien. Son sourire fait naître le mien, puis elle passe une main sur mon front pour rabattre mes cheveux vers l'arrière.

— Milla et toi êtes toute ma vie, je serais toujours là pour vous.

— Je sais, oui.

Elle embrasse ma joue, puis quitte le lit, le regard déterminé et les poings sur les hanches.

— Très bien, alors maintenant tu files sous la douche et tu vas retrouver le beau garçon qui fait battre ton cœur ! dit-elle avec une pointe de sévérité.


♡ ♡ ♡


Je suis essoufflé lorsque je m'immobilise face à la porte de Silas, pas parce que je me suis dépêché mais plutôt parce que mon cœur bat tellement vite que je peine à respirer. Une part de moi souhaite faire demi-tour, partir en courant pour retrouver mon lit. Mais la partie la plus envahissante me hurle de retrouver ses bras et son regard vert qui me coupe le souffle.
J'inspire profondément, frotte mes paumes moites contre mon pantalon et patiente encore quelques secondes afin de me gorger de tout le courage que je possède. Je ferme les yeux lorsque je frappe doucement contre la porte, les rouvre à l'instant où la poignée s'enclenche.
Immédiatement, mon cœur cesse de battre. Silas est debout devant moi, le visage fatigué et les yeux tristes. Son reflet est la parfaite copie du mien, un désespoir troublant sur les traits et un amour infini au bout des lèvres.

— Kasper..., souffle-t-il en expirant un petit nuage gris de son nez.

Un pâle sourire se dessine sur ma bouche, je meurs d'envie de me précipiter contre son torse pour qu'il m'étreigne puissamment.
Ses doigts s'enroulent autour de mon poignet et un hoquet de surprise s'élève lorsqu'il m'attire à l'intérieur du bungalow. Sans prononcer un seul mot, il m'enlace, refermant ses bras autour de mon corps gelé, tout en refermant la porte d'un coup de pied. Je me laisse aller, agrippe fortement son tee-shirt et respire son odeur qui s'imprègne aussitôt en moi.

— Pardon, soufflé-je caché contre lui, excuse-moi, Silas.

— Mais mon Cœur, tu n'as pas à me demander pardon, répond-il sur le même ton en refermant ses doigts dans mes cheveux.

Mon cœur.
Mon cœur.
Mon cœur.

Ces mots tournent en boucle dans ma tête depuis deux jours. L'entendre les prononcer me fait frissonner. J'aime ça plus que lorsqu'il m'appelle mon amour. Son accent anglais ajoute une touche spéciale qui me rend fébrile. Chaque lettre roule sur sa langue avec lenteur et tendresse. C'est doux, tellement que mon sang se réchauffe instantanément.
J'ignore combien de temps nous restons ainsi mais aucun de nous deux ne semble décidé à s'éloigner. Je sais que nous devons parler, que la communication est importante et indispensable pour apaiser la situation mais dans l'instant, je ne veux que profiter de son corps brûlant contre le mien.
Après un long moment, je me dresse sur la pointe des pieds tandis qu'il relève la tête pour m'admirer avec ses beaux yeux verts. Mes lèvres trouvent les siennes, se déposent doucement puis restent immobiles, juste à leur place, là où elles veulent se perdre en toute sécurité.
Le souffle chaud de Silas s'étale sur ma peau, alors que mon cœur bat si vite qu'il doit probablement le sentir pulser contre son torse. Son étreinte se serre davantage, puis sa bouche exerce une certaine pression jusqu'à ce que notre échange devienne un véritable baiser, rempli de sentiments, d'amour et de manque.

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