Chapitre 1 - Comme des rats.

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- QUEUDVER !

Une décharge violente d'angoisse me réveille en sursaut au point que tout mon corps se crispe de douleur : mon maître m'appelle.

Je m'accroche à la poignée glissante et branlante de la porte d'entrée pour me redresser, haletant, et je me précipite dans les marches craquantes jusqu'à l'étage.

- QUEUDVER !

La voix terrible du Maître résonne plus fort encore dans ma tête et je redouble d'efforts pour sauter deux à deux les derniers degrés de guingois. Et je m'étale lamentablement sur le palier, une douleur fulgurante irradiant de mon tibia.

- J'arrive, Maître ! je gémis, au bord des larmes tant la pression qu'il exerce sur moi devient insupportable.

Je rampe avec empressement vers sa porte, tentant de me redresser sans y parvenir. Presque à quatre pattes, je touche enfin le battant du bout des doigts et je frappe doucement. Il déteste qu'on entre sans y avoir été invité. Je frissonne au souvenir de ma dernière intrusion. La souffrance avait été terrible et interminable.

- Entre, crétin !

La voix geignarde et crissante me fouette le sang et je pénètre dans l'antre de mon Seigneur et Maître.

Je m'approche précautionneusement du berceau antique, ne sachant à quoi m'attendre.

Il est là où je l'avais posé, frippé et grimaçant, agitant vainement les bras dans une grimace horrible. Je me souviens de sa grandeur passée et la comparaison est éprouvante. Mais son regard noir et glacé, sa rage et la puissance qui irradient de son petit corps m'interdisent tout mépris. Et tout espoir de libération.

Si j'en avais eu un.

- Change-moi ! crache le Seigneur des Ténèbres.

- Oui, Maître !

J'acquiesce vigoureusement et m'approche pour le prendre dans mes bras, non sans un frémissement de répulsion et de déférence. Le regard du Maître s'est fait lointain. J'ignore où il est parti mais, comme toujours et sûrement par pudeur, il me laisse seul pour veiller sur sa chétive enveloppe.

Je suis évidemment honoré de sa confiance en moi. Même si je ne suis pas idiot au point de croire qu'il me respecte ; je sais bien que c'est parce qu'il pense ne rien avoir à redouter de moi qu'il me confie ainsi le soin de veiller sur lui.

Je l'allonge sur le plan à langer de fortune et entrouvre les pans de sa couverture. La vue de son corps supplicié et rachitique est toujours une épreuve, mais j'avale ma salive et passe outre mon dégoût pour écarter davantage le tissu.

Quand mes yeux tombent sur la baguette, je connais un moment de flottement. Longtemps que je ne l'ai pas touchée, tenue, utilisée. Elle me manque et, à voir la force d'attraction qu'elle exerce sur moi, je lui manque aussi.

Tandis que ma fascination me fige, je sens ma main qui s'approche irrésistiblement de l'objet de ma convoitise.

Une crampe insupportable me transperce le ventre brutalement et je me retrouve plié en deux, le souffle coupé. Les larmes aux yeux, je croise le regard implacable de Lord Voldemort.

- A quoi penses-tu donc, mon fidèle serviteur ?

- À rien, Maître ! Je vous jure ! je l'implore, désespéré. Je m'occupais seulement de vous suivant vos désirs, Maître.

Je reste en révérence, au supplice, murailles dressées dans mon esprit. J'ai besoin de lui autant qu'il a besoin de moi et je ne peux me permettre de le perdre. Il me tient sous son regard de braise où tournoient des ombres effrayantes. Je n'ose plus bouger malgré la souffrance qui me fouaille les entrailles. Au bout de longues secondes pendant lesquelles je sens la sueur dégouliner le long de ma colonne vertébrale, la douleur s'estompe en ne laissant qu'un vif aiguillon qui me laisse reprendre mon souffle, mais pas mon sentiment d'impunité.

- Eh bien, mon ami, qu'attends-tu pour faire ton office, alors ?

Prudent, je m'approche à nouveau, prenant garde à ne pas fixer la baguette ni la toucher. Sous le regard vigilant et moqueur de mon maître, je dénoue fébrilement les langes et la puanteur me saute au visage comme un épouvantard jailli d'un trou d'ombre. Frappé au visage, je vacille et, Naginni choisissant ce moment pour serpenter entre mes jambes, je trébuche sur lui en emportant avec moi le linge souillé qui dessine une arabesque dans l'air avant de retomber sur ma tête tandis que mes fesses percutent rudement le sol.

Le serpent géant me jette un regard narquois et s'en va siffler aux pieds du meuble où son maître gît les fesses découvertes.

Lord Voldemort n'a pas manqué une seconde de ma chute ridicule et part d'un rire grinçant qui me blesse les oreilles autant que le cœur.

- Toujours aussi empoté, mon ami !

Puis son rire s'éteint brusquement et il ajoute d'une voix glaçante :

- Que cela te serve de leçon. Nettoie-moi et sors.

Je me relève et, sachant ce qui m'attendrait si je prenais soin de moi avant de m'occuper de lui, je laisse la couche nauséabonde sur mon crâne et je m'active servilement sous son regard triomphant et moqueur.

Je m'accroche à mes murailles mentales. Il ne doit pas sentir l'intensité de ma rage. A aucun prix. Je lui remets un lange propre et je quitte rapidement la pièce pour aller me laver moi-même.

Ce qui m'enrage le plus, ce n'est pas de servir si bassement mon Maître, c'est de devoir le faire de manière si humiliante, si longue, si moldue, alors que ma baguette est à portée de main et qu'un simple sortilège règlerait le problème en deux temps, trois mouvements. Ma baguette. La sienne, désormais.

Dans la vieille cuisine de la cahute miteuse, je pompe laborieusement de l'eau trouble et glacée dans de grands grincements et des glougloutements profonds ; on dirait qu'une armée de strangulos a décidé de coloniser les antiques canalisations.

Je me frotte vigoureusement pour tromper le froid et me débarrasser de l'odeur immonde des déjections de ce Voldemort débilité qui m'a entraîné dans sa chute et que j'espère suivre dans son triomphe.

Si ce triomphe arrive un jour.

En effet, ce petit pot-de-colle de Potter ne cesse de contrecarrer nos plans et, malgré moi, c'est un peu de dignité qui me revient à chacun de ses succès. Incarnant la résistance de ses pauvres parents et, par là-même, leur résurrection, il lave un peu de ma culpabilité chaque fois qu'il diminue la gloire de mon Maître.

Si Lord Voldemort devait apprendre que je nourris un sentiment aussi inadéquat, il trouverait immédiatement mon remplaçant, quitte à embaucher un gobelin ou un détraqueur, et me jetterait dans un trou sans fond où je pourrirais dans la souffrance jusqu'au bout de l'éternité.

Pourtant, James me manque. Notre bande nous manque.

Je n'étais pas le membre le plus brillant de notre quatuor, loin s'en faut, mais j'en faisais partie.

Pas un jour où je ne regrette ma trahison. Pas un jour non plus où je ne me conforte malgré cela dans mon choix : je n'aurais jamais eu la force, jamais possédé le courage de résister aux tortures et aux sorts de Voldemort. Je n'étais pas le lumineux James, ni même ce sombre Remus, pas même ce fanfaron de Sirius. Je n'étais que la puce sur le pelage du chien qui trottait derrière le loup qui révérait le soleil. Rien qu'un parasite. Heureux de baigner dans leur prestige et satisfait de me délecter de leurs miettes, mais un parasite, une ombre.

Et j'avais basculé dans les ténèbres.

Et je n'avais pas manqué de le regretter depuis, mais qu'aurais-je pu faire d'autre ?

Une vague de feu semble soudain me percuter de plein fouet et je me retrouve à genoux sur les planches vermoulues et crasseuses à vomir de la bile et du sang.

- J'ai faim !

Il est l'heure d'apporter son repas au Seigneur des Ténèbres. Je me redresse péniblement et sors du Glacetout une outre de soupe de licorne, seule nourriture qu'il accepte et qui le maintient en vie, et je me retourne. Le récipient flasque dans la main, je m'immobilise devant les deux portes. L'une conduit vers l'extérieur, ses collines à perte de vue, ses forêts sombres, son ciel radieux - et la liberté ; l'autre mène à l'escalier vers les étages sordides de la cabane hurlante.

J'hésite à nouveau. Si je m'en vais, Lord Voldemort restera impuissant dans cette ruine et s'affaiblira peu à peu jusqu'à la mort - mais j'agoniserai dans les pires souffrances à peine franchi le perron ; si je reste, je serai humilié, torturé, Voldemort regagnera peu à peu sa puissance et son pouvoir - si ce petit empoté de Potter ne parvient pas à contrecarrer les plans du Maître des Ténèbres. Si je pars, je regagne un peu d'honneur mais je meurs ; si je reste, je garde la vie sauve mais abandonne tout respect.

Une lance brûlante se fiche soudain dans ma poitrine et, comme harponné, je suis violemment tiré vers les marches obscures et vers sa chambre.

J'ai encore manqué une occasion de faire le bon choix.

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