Chapitre 5 - Un temps de chien !

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La pluie battante fait comme une brume d'éclaboussures sur le sol des rues de Londres. Claudiquant dans les flaques, en vieux chien  noir trempé, je rase les murs des vieux immeubles décrépits. J'essaie de me tenir à l'abri de l'intempérie mais il n'y a guère de refuge dans les rues froides de la capitale.

Les passants pressés m'évitent avec dégoût ou crainte, puis ils m'oublient aussitôt, plus préoccupés qu'ils sont d'arriver plus vite où que ce soit que par les singularités du hasard qui placent sur leur route cet être pitoyable. Étranges moldus...

Enfin, sur une portion de trottoir noyé que rien ne distingue d'une autre tout aussi inondé, je m'arrête et fixe longuement un immeuble, les babines retroussées, la lèvre agitée de tics nerveux. Lorsque plus personne n'est en vue, ma forme de chien se fait floue et enfle jusqu'à prendre l'apparence d'un homme malingre, dégoulinant et frissonnant de froid, nu comme un ver. Je me mets à marmonner des mots incompréhensibles pour le commun des mortels.

Soudain, un tremblement se fait sentir et, bien que les habitants dans les appartements ne semblent s'apercevoir de rien, l'immeuble semble s'étirer pour révéler peu à peu une entrée supplémentaire, sinistre et et défraîchie, que je franchis avec empressement.

Une fois la porte refermée, au chaud, au sec, je m'appuie contre la porte et sonde la pénombre.

- Bienvenue chez vous, Maître.

La voix, persifflante et haineuse, est pleine d'un mépris évident et d'un dégoût insultant.

Kreaturr.

Les souvenirs jaillissent, violents, putrides et douloureux : les brimades, les moqueries, les insultes, les rejets, les humiliations... Toute une famille liguée contre moi. Les Black. Détestable famille où grandir. Ma famille. Que j'avais fuie dès que j'avais pu.

Et j'étais de retour dans la maison de mon enfance. Le lieu que je revoyais dans mes cauchemars était désormais mon havre de paix.

Camouflé par de puissants sortilèges que j'ai mis des semaines à élaborer, ce foyer de souffrance est devenu un abri où lécher mes plaies.

Et il y en avait, des blessures à panser : la perte de James et de Peter, ce traître qui avait resurgi de la mort pour rouvrir les cicatrices fragiles que le temps tâchait de former, le deuil insurmontable de tant d'amis moins proches mais tout aussi précieux : Frank et Alice Londubat, Lili... Et mon filleul, le petit Harry, pauvre orphelin qui aura passé sa vie chez de stupides moldus détestables et n'aura reçu en contrepartie du sacrifice de ses parents que vaine admiration du monde des sorciers et menaces incessantes de tout ce que Voldmort compte encore de partisans.

Sans compter ces treize longues années de bagne à Azkaban, ces treize années de tortures quotidiennes entre les mains de ces infâmes détraqueurs à revivre sans arrêt les plus horribles moments de mon existence pour qu'ils s'en délectent...

Un frisson me secoue à nouveau.

Je suis fatigué de vivre.

Et je me sens seul.

- Mon Maître désirerait-il dîner ?

Terriblement abandonné.

Je réalise cependant qu'il peut y avoir pire qu'être seul quand mes yeux abattus tombent sur mon elfe de maison qui se prosterne avec une obséquiosité insolente à mes pieds.

Oui, j'ai faim. Mais je sais aussi que si l'elfe est obligé d'obéir à son maître, il s'arrange toujours pour se montrer impecablement irréprochable dans sa désobéissance subtile, respectant à la lettre les prescriptions des Black en matière de décoration, d'assaisonnement, de cuisson - surtout si je déteste et si j'en souffre.

- Seulement du pain, je lâche enfin, prudent, avant de monter me trouver des habits plus chauds et présentables.

Ma chambre n'a pas changé : petit placard sans fenêtres tapissé de noir, sans autre meuble qu'une paillasse sommaire et un coffre à vêtements rudimentaires. Sinistre.

Ma chambre.

A peine mieux qu'Azkaban, mais je ne peux me permettre de faire le difficile, recherché que je suis par les mangemorts autant que par les aurors du Ministère.

Je renfile mon unique tenue, dans un état déplorable et que la magie elle-même ne peut plus guère sauver, puis je redescends, plein d'appréhension.

Kreaturr est introuvable et, sur la table de la salle à manger, je tombe sur un énorme pain au cumin et aïl-des-ours. Et rassis, qui plus est, posé dans une couche de poussière.

J'en aurais presque l'appétit coupé.

- Kreaturr ! j'appelle sèchement.

Je dois répéter trois fois ma sommation en hurlant avant de voir apparaître devant moi la physionnomie détestable de cet esclave qui me hait. Mais lui comme moi savons être coincés : l'elfe est conscient qu'il ne sera jamais libéré car il connaît trop de secrets que je ne peux me permettre de dévoiler et moi, cerné de toutes parts, je ne peux sortir d'ici sans risquer d'être découvert et tué - ou pire...

- Kreaturr, rapporte-moi six potimarrons et deux kilos de pommes de terre en bon état, mûrs et  prêts à être épluchés, cuisinés et consommés de manière que j'apprécie le repas.

L'elfe réfléchit un instant puis disparaît. Pourvu qu'il n'ait pas trouvé un moyen de détourner mon ordre, me dis-je alors, anxieux et affamé, en me laissant tomber sur une chaise qui craque.

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