COMPTE À REBOURS
Sur l’affichage du casque de ma combinaison, le chiffre 10 restait présent. Il me regardait de haut, fièrement. Un canon qu’on a en face du visage lors d’une impasse mexicaine. 10 secondes d’oxygène. En face de moi, la plus belle créature qu’il m’ait été donné de voir. Sa forme élancée aux rondeurs particulièrement bien dessinées me faisait vibrer. Je suis venu jusqu’ici juste pour elle. Le sol blanc reflête la lumière de l’étoile plus proche et me brûle la rétine. Ça aurait pu être la dernière chose que je voyais mais ça valait le coup.
Devant moi se tient une forme angélique, féminine. Une tige translucide s’élève comme une colonne vertébrale fragile, se ramifiant en courbes harmonieuses. Elles dessinent des hanches, une poitrine, une nuque gracieuse. Ses pétales souples, presque diaphanes s’ouvrent en corolle là où j’aurais attendu un visage, projetant une lumière pâle, douce et cruelle à la fois. Était-ce la naissance d’une chevelure végétale que je vois ?
Était-ce … une illusion née de mon cerveau en manque d’oxygène, ou bien la plante arbore-t-elle délibérément une silhouette désirable ? Ses contours vibrent, ondulent au rythme d’une brise inexistante. Par instants, j’aurais juré qu’elle respirait.
Ses fleurs diffusent un parfum ténu, presque sucré, qui se glisse dans ma gorge malgré la combinaison. Une odeur impossible, mais bien réelle. Chaque fibre à l'intérieur de moi hurlait que ce n’est qu’une plante. Mais mes yeux, eux, voient une femme qui m’attend, les bras ouverts. Elle a le visage pur et son sourire…
Isabelle. Cette femme a le chic pour me foutre dans la merde.
Je pourrais la tuer je crois… Par pitié, je veux plus la voir.
On était sur Dolina…
La plus pépère des stations spatiales. Pas un seul combat, même les rats vivent en paix avec l’équipage. Perso, j’étais là pour faire du babysitting : 2 nouvelles recrues tout fraîchement sorties des écoles. On avait rien de compliqué à faire, il fallait juste les récupérer du boot camp et les poser chez eux. Mais non. En même temps, c’était un peu de ma faute. J’ai toujours voulu voir la Medicorp au travail. Qui plus est, une capsule de sauvetage qui se viande en plein milieu d’une ville. C’était un truc à montrer à la bleusaille : L’espace, c’est dangereux.
Avec les 2 recrues, on avait regardé l’ouverture et l’évacuation de la capsule. C’était un mercenaire. Il avait l’air d’avoir vécu le match le plus difficile de sa vie. En observant son attirail de plus près, j’ai tout de suite su. Épaulettes renforcées, casque avec caméra et lampe intégrée, bottes rigides et gantelets lourds : C’était un pas un Marines, ce mec, c’était un merc ou un chasseur de prime, le genre de type qu’on envoie dans la mêlée. Et vu l’état du bonhomme, il s’est fait défoncé.
Il avait l’air toujours en vie et mes petites recrues toutes fraîches avaient vu leur premier atterrissage en catastrophe. Il était temps de casser la croûte et c’est là que notre histoire a commencé à vriller.
Isabelle était là, elle avait volé le journal du mercenaire avant même que la medicorp n’intervienne. Est-ce que ça veut dire qu’elle aurait pu lui porter secours avant la medicorp mais qu’elle a jugé plus intéressant de fouiller la zone ? Mais qui fait ça ? Peut-être qu’elle l’a laissé crever exprès. Peut-être que c’est ça, Isabelle.
De notre côté, on s’était arrêté côté Burger nébulaire amélioré, on était au bon endroit au bon moment : Des galettes d’algues séchées, tendres comme un baiser. Le steak était léger et juteux de mycoprotéines grillées. Il était marié à une bonne salade hydroponique fraîche. Et pour finir, les crevettes orbitales sautées, croquantes comme des oignons frits faisaient office de topping. La moindre bouchée était un véritable plaisir. J’avoue, j’ai eu ma petite fierté de faire découvrir les plaisirs du burger spatial à mes petits nouveaux. Je me sentais comme leur grand frère…
Et en face, Isabelle, le nez plongé dans le journal du pauvre diable qu’elle a détroussé plusieurs minutes plus tôt, sans état d’âme. J’aurais dû flairer le truc. Après tout, elle s’était précipitée là bas, malgré les dangers pour repartir avec un simple journal. Le journal d’un merc par-dessus le marché. Ca parlait de quoi de si intéressant ? La meilleure cire pour les rangers ? Mais non, il a fallu qu’elle se lève en trombe, coure dans la direction du premier idiot qu’elle allait fourrer dans sa combine. Ma direction, évidement ! Elle avait ce sourire en coin, celui qui disait qu’elle avait flairé un filon. Et moi, j’aurais dû comprendre que c’était le début des emmerdes. Elle a fini par frapper son livre devant mon blaster burger.
Elle pointait du doigt un texte sur les pages du livre. Ses doigts étaient noircis. J’ai cru un moment qu’elle avait dû creuser dans les cendres des enfers pour trouver son foutu journal et j’ai lu :
- Me suis arrêté pisser à côté d’un machin qui brillait. Plante chelou, respirait comme une bestiole, avec des yeux et tout. Pas cherché à comprendre. Jolie quand même. Y’a dû avoir une graine coincée dans le filtre à air.
J’ai repoussé sa main pour reprendre ma conversation avec mon burger. Elle a insisté avec un petit grincement de son bras mécanique. J’ai pas voulu forcer. C’était pas le moment de passer pour une brute devant tout le monde en pétant le bras d’une paumarde comme Isabelle. J’ai pris une inspiration :
- T’as trouvé un coin pipi dans un coin perdu de la galaxie ?
- Un qui vaut plusieurs milliards d’Urons, tu veux dire ?
Voilà, mon burger avait l’air fade maintenant. Isabelle avait tout gâché, comme d’habitude. Et elle était en train d’en remettre une couche :
- Si j’ai bien compris, c’est une orchi…
Je lui avais calé mon burger dans la bouche. Je refusais d’entendre une de ses combines à deux ronds. Mais en vérité, j’y croyais. Je ne voulais surtout pas que qui que ce soit n’entende ce qu’ Isabelle avait à dire. Quitte à sacrifier mon burger.

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