VISION
Une Orchidée Valentine… L’alarme de ma combinaison sonne comme une bombe. Je n’ai que 9 secondes. Elle m’a sorti de ma rêverie, pour m’en plonger dans une autre. La plante est devant moi, des branches enlacent ses épaules pour cacher sa poitrine comme la statue d’une ingénue. Et la buée de mon casque m’empêche de la toucher du regard.
Il fait froid sur cette planète ? Il fait chaud ? Je n’ose pas regarder les informations du h.u.d, de peur de rater une seconde de ce spectacle. J’en ai le souffle coupé. N’importe qui m'aurait pris pour un fou mais j’ai envie de lui parler. Je veux attirer son attention. Sait elle que je suis là ? Il n’y a qu’elle et moi ici. Suis-je digne de son intérêt ?
Mes mains tremblent à l’idée de pouvoir la scanner. Enfin, celle que tout le monde convoite. J’ai dû éjecter la cartouche actuelle du scanner sans même regarder. Je ne veux pas détourner le regard. J’entends la sonde faire les premiers relevés. Un laser parcourt sa silhouette et je le suis des yeux. C’est fascinant. J’ai l’impression de braver un interdit.
Le temps se fige quand je l’observe, le laser monte doucement. Le scan prend du temps. Mais vu d’ici, la lumière fait briller l’humidité qui perle sur son épiderme. Je plisse les yeux pour voir la moindre réaction. Après tout, c’est une plante, la lumière devrait avoir un effet non ? Je souris légèrement, je suis vraiment en train d’espérer la voir bouger, me regarder, me réconforter ? Je paierais cher juste pour la voir tressaillir. Moi, j’ai la chair de poule, j’aimerais qu’on partage cet instant, elle et moi. Enlacée dans ses propres feuilles, elle attend probablement que le soleil vienne lui faire une délicate caresse. On dirait une femme qui dort.
Isabelle… Cette fille n’avait aucun tact :
- Ça te fait chier ce que je raconte ?
Elle venait d’enguirlander la pilote qui dormait pendant le briefing. Cooper… La pilote la moins chère qu’on avait trouvé pour aller dans un coin de l’espace plein d’amibes. C’était une casse-cou, une personne qui ne vit que pour appuyer sur la gâchette. Elle recherchait de l’adrénaline. Isabelle s’attendait à quoi ? Que Cooper reste là sans broncher pendant que tu lui fais un exposé ? Les femmes comme Cooper ont besoin de stimulation, pas d’un discours. J’ai tendu ma tasse de café à Cooper. J’avais pas l’humeur de boire ça. D’ailleurs, personne n’avait bu son café. Le jus de chaussette des distributeurs, non merci.
Bizarrement, Cooper l’avait bu, alors qu’elle n’avait pas touché au sien. C’était quoi ? De la politesse de chasseur ? J’avais bien vu sur son visage qu’elle avait regretté d’y avoir goûté. Au moins, ça la tiendrait éveillé.
- En résumé, il nous faut un spécialiste du décryptage. On a besoin d’une carte pour trouver ce vaisseau et on a le trésor.
- Quel trésor ?
J’en revenais pas, Cooper, c’était pas une flêche. Elle était incapable de comprendre une métaphore. C’est vrai, maintenant que j’y pense. J’avais beau savoir que c’était un as derrière un cockpit, elle avait l’air un peu ahurie.
- Non, mais il n'y a pas de trésor, c’est une image…
- Ah d’accord. On va prendre une photo.
Isabelle allait craquer. Si son cerveau pouvait parler, il aurait supplié qu’on l’achève. Elle a levé les yeux au ciel avec une grimace qui frôlait l’AVC.
- Tu sais ce que c’est une… Ah, puis merde ! Oui Cooper, on va prendre une photo, si tu veux.
Il fallait que j’intervienne. Déjà, parce que les échanges entre les deux m’embrouillaient l’esprit, et aussi parce que j’avais pas que ça à faire.
- Ton spécialiste c’est qui ? Qu’on en finisse.
- Le duc
- Le granix ?
- Tu le connais, Cooper ?
Wow. Cooper venait de dire quelque chose d’intelligent pour une fois. Son cerveau fonctionnait encore pendant sa sieste ? J’avais entendu dire que son espèce avait une partie de leur cerveau actif pendant le sommeil. C’était la première fois que j’en faisais l’expérience.
- Tout le monde le connaît, il est sur les boîtes de céréales.
Oui, ben non. Il y avait peu de chance que ce soit un éclair de génie. J’avais surestimé sa réflexion. C’est ce que je pensais en ce moment… Parce que lorsqu’il avait fallu la payer, Cooper s’était avérée être très loin du bord de la piscine, comme on dit chez les dockers. Elle avait exigé la première moitié avant la mission et l’autre moitié après. C’était une mission dangereuse et son employeur partait avec elle. Ca aurait été con que ce soit la seule qui survive pour ne pas gagner un rond.
On pouvait bien lui payer une avance. On parlait de plusieurs milliards d’Uron. On aurait pu s’acheter un porte-vaisseau. Que dis-je ? Deux parce qu’un seul, c’est pas assez cher. De vrais bourgeois. A condition de réussir, mais qu’est ce qui pouvait mal se passer ? On avait tout, une tueuse d’amibes professionnelle, le lieu de recherche, un décrypto, un journal détaillé, une fouineuse invétérée et un docker qui a vraiment envie de s’en sortir. Mais merde ! C’était quoi le problème ? Pourquoi il a fallu…
En vrai, je pense qu’on s’en foutait tous. On voulait juste réussir quitte à ce que ça parte en cacahuète. Dans un coup comme ça, c’est la cohésion qu’on aurait dû travailler. Mais est ce que je peux dire que je regrette ? Bah, je n’en savais rien quand on a tous signé la mission d’Isabelle. J’aurais juste compris plus tôt le point de vue que Le Duc avait sur notre trouvaille. On aurait compris plus tôt ce qu’on devait faire, pas le comment, mais aussi le pourquoi.

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