ONBOARDING
7 secondes. La lumière vient de mourir. J’ai totalement oublié que c’est mon mécha qui veillait sur moi jusque là. Sa batterie vient de rendre l’âme. Je l’entend me prévenir dans un dernier souffle électronique. Je devrais partir.
Dans ma combi, je me sens oppressé. L’obscurité me serre contre elle comme un boa. J’ai les yeux fixés sur l’orchidée. Elle est mon phare. Je compte sur les reflets du laser pour extirper mon esprit des ténèbres qui m’entourent. La muse divine en face de moi, c’est ma seule source de lumière. Ma petite providence.
Elle a l’air de se tendre. C’est un jeu d’ombre ou… On a déjà observé des plantes se tourner vers une source de lumière, pas vrai ? Alors pourquoi j’ai peur ? Pourquoi je pris pour que le soleil se lève ? Est-ce que Le Duc avait fini par envahir mon esprit lui aussi ? Il ne me reste plus beaucoup de temps. Mais dans l’immédiat, c’est de voir ma déesse bouger qui me terrifiait le plus.
Dans ma combinaison, j’entend ma respiration et le bruit de joints qui se détendent. On aurait dit le bruit d’un plancher qui grince. Le bruit que ferait un arbre qui se tord. Le laser du scanner tremble… JE tremble ? La lumière de mon mécha m'avait-elle caché la vérité ? Elle m’avait plongé dans un sentiment de sécurité illusoire ? Est-ce que c’est lui qui m’avait trahi en premier ?
J’ai signé ce contrat dans le noir, sans rien voir. Comme aujourd’hui.
Je sursauta. Isabelle claqua une tablette sur mon tableau de bord. J’avais toujours pris le temps de vérifier mon mécha avant de partir en mission. C’est un rituel pour me porter chance. Elle ne pouvait pas comprendre ça ?
- Voilà le plan. On suit le journal, on trouve la plante, on revient riche. Simple.
- J’ai pas fini mon check-up, tu veux pas que je tombe en rade pendant que je vire les débris, si ?
- Mec, signes ! Finis les burgers aux crevettes orbitales et la graisse sur le froc.
C’est peut être moi qui avait trahi mon mecha en signant. Comme tout le monde j’avais fini par succomber à Isabelle :
- J'ai fait ajouter une clause à la mission : Licence To Kill, sans ça, je signais pas.
Cooper prenait un bain dans une bassine pleine de munitions. J’avais aucun doute sur sa naïveté. Pour attaquer les amibes de front, elle était, soit très courageuse, soit très stupide. Ou un peu des deux. Le Duc, lui, je me le demande encore. C’était pas du courage, ça c’est sûr. Et il était loin d’être un idiot.
De toute façon, on était déjà tous là. Cooper devait piloter son vaisseau jusqu’à destination en faisant un carton sur les amibes pour nous frayer un passage. Une fois sur place, Le Duc devait faire la vigie scientifique pendant qu’Isabelle devait nous diriger avec l’aide du journal. Et moi, je devais me débarrasser des débris. On devait trouver la plante, scanner, et revenir.
La vérité, c’était qu'on n'avait pas tous les mêmes raisons de signer. On n'avait pas tous les mêmes motivations et du coup : On avait pas tous le même objectif quand tout allait foirer.
Je me demande encore si on avait tous prévu de s’entuber mutuellement dès le départ ou si c’est venu spontanément. J’étais encore en train de faire rentrer mon mécha dans le vaisseau de Cooper quand j’ai entendu Le Duc se parler tout seul. Il était fasciné par un livre qu’il avait apporté :
- Il nous faudra plus qu’un simple échantillon. Si on en croit les textes, c’est une forme de vie intelligente.
- Le Duc… Sérieux, je suis content pour vous et tout, mais pouvez- vous m’expliquer ?
- Vous êtes un érudit ? Un apprenti ?
- Heu… Pourquoi ?
- Je vois que la subtilité vous échappe. Je dois savoir à quel niveau je dois adapter mon discours.
- Disons apprenti…
- Les mitochondries, ça vous parle ?
Il avait pioché un mot compliqué au hasard pour me tester ?
- Les morceaux de cellules ?
- Apprenti donc… L’orchidée est une autre forme de vie intelligente, elle… Elle est bien plus qu’une plante qui a l’air de ressentir. On ne parle pas de plantes carnivores ici… Ce n’est pas une histoire de réflexe câblé qui referme une mâchoire. TOUTES ses actions sont délibérées. Si elle était carnivore, ce serait une machine à tuer, même dans son plus profond sommeil. Et si elle devait dominer le monde par la douceur, le moindre souffle serait un délice.
J’avais avalé ma salive. C’était différent cette fois. Son approche scientifique était beaucoup plus parlante pour moi. Selon lui, la plante était vivante, on avançait un peu.
- Est-ce que… Est-ce qu’elle est dangereuse ?
- Vous savez, les écrits sont fascinants sur la question. Le silence en dit bien plus que les paroles.
- Comment ça ?
- Si quelqu’un a été attaqué, personne n’a survécu pour écrire quoi que ce soit à ce sujet.
- D’où viennent vos écrits ?
Il s’était approché de mon mécha, son regard était sombre. J’ignore encore s'il voulait me faire peur ou si sa peur s'était répandue en moi.
- N’est-ce pas la chose la plus importante que vous n’ayez jamais faite dans votre vie ? Vous êtes aussi curieux que moi… Vous n’osez juste pas l’avouer.
- Vous n’avez pas répondu à ma question
- Les textes viennent d’une pyramide Halfen
- Une pyra… De la Fédération ?
- Ta ta ta… La leçon est finie pour aujourd’hui.

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