LA LIMITE
Un gros chiffre 5 clignote sur mon H.U.D. Il me reste 5 secondes. Lentement, une ligne d’argent se dessine à l’horizon. Pas de bleu, pas de rose tendre comme sur ma planète. Ici, la lumière n’annonce pas son arrivée : elle tranche. Lorsque le scanner arrive au niveau du menton de la plante, j’ai cru voir ce qui lui sert de bouche s’entrouvrir. On aurait celle d’une vierge goûtant son premier baiser. J’ai légèrement baissé les yeux.
L’ombre recule centimètre par centimètre, implacable. Elle ne se dissout pas, elle est chassée, rejetée. Là où passe le soleil, tout devient blanc, cru, sans cachette. L’astre lui-même franchit l’horizon. Très blanc pour une étoile bleue. C’est un disque éclatant, si brutal que le regard se voile derrière la visière du casque. Pas de ciel flamboyant, pas de nuages pour adoucir le spectacle : juste la lame aveuglante de l’étoile, découpée dans le vide noir. La visière filtre, mais mes yeux pleurent. La lumière s’infiltre partout, comme si elle voulait me dissoudre.
Le contraste est total. Le sol, froid et fantomatique, s’embrase de lumière pâle. Mon instinct me dit de reculer. J’ai l’impression qu’elle a bougé. J’aurai juré que la plante n’avait pas cet angle quand mon mécha l’illuminait. Elle avait l’air de se tourner vers moi et ses mains… Ses mains… Non, ses branches ? Elles semblaient avoir des griffes. Peut-être que ce n’était que le jeu de la lumière. Peut-être. Comment ça elles avaient des griffes ? Comment une plante peut-elle faire pousser des ongles ? Est ce que mon instinct avait vu juste ? Suis-je en danger ? Encore ?
- Isabelle, rappelles- moi, on est venu voir une plante ou un champignon ?
- Bordel, Cooper ! On vient de passer un mur d'amibe ! Tu les as LITTÉRALEMENT éperonné. T’en as pas assez fait ?!
- Ben, moi, je vois un champignon
Isabelle avança à toute allure en direction du cockpit. Elle était encore en culotte en sortant de sa combinaison.
- Qu’est ce que t’as foutu ?
- Waouh Cooper. Merci de nous avoir sauvés Cooper. Je t’en prie boss, ce fut un réel plaisir.
- Merci. Vraiment.
- T’es à moitié à poil.
- Ouais, c’est bizarre, je peux regarder ?
- Vas-y
- Le Duc ? Un gros tas de neige grise en forme de champignon, ça vous parle ?
Le Duc était en train de marmonner. J’avais l’impression de l’entendre prier avant de répondre :
- Le journal parlait d’une graine seulement, il n’a jamais fait mention d'un champignon. Sur une planète sans atmosphère, il n’y a pas de neige. J’aimerais vous faire un cours d’astrophysique. Mais malheureusement, je pense que Cooper serait plus à même de vous rappeler les bases.
- Ça a l’air organique.
- A moins que le journal ne parle d’armoïdes et je suppose que vous nous en auriez informé : Je doute que ce soit de la neige. Il n’y avait pas d’armoïdes n’est ce pas ?
- …
- N’est ce pas ?
- J’ai peut-être omis certains détails du récit qui…
- Vous vous foutez de moi ?
Je ne pouvais pas en vouloir à ce mec. Isabelle avait clairement merdé. Elle nous avait délibérément caché que les gars qui sont venus sur cette planète étaient venus armés. Avec de l’armement biologique qui-plus-est. Et nous, on était là, fleur au fusil avec de la défense civile et une tarée qui a fait fondre une nuée d’amibes avant notre arrivée. On était clairement dans la merde :
- Écoutez, il n’y a pas d’atmosphère sur la planète, les armoïdes sont déjà mortes à l’heure actuelle. On a qu’à sauter du vaisseau sans se poser.
- Oh ben oui, on a qu’à. Avec la plante et une petite dizaine d’armoïdes dans le secteur.
Cooper se craquait les doigts en ricanant :
- Je vais vous couvrir du ciel
Même moi je trouvais que c’était une idée à la con :
- Non merci Coop’ Mon mecha et moi, on a pas besoin d’avoir à surveiller l’avant et l’arrière du groupe.
Il a fallu qu’Isabelle en remette une couche. Je suis encore persuadé qu’elle y croyait vraiment à son plan. C’est sûr qu’elle avait prévu qu’on ne s’en sorte pas tous. Une fois la plante trouvée, on était dispensable, elle sait piloter non ?
- On laisse l’oxygène et le support vital hors de portée des armoïdes et on avance en combinaison. Vous vouliez faire un selfie et un feu de camp ?
La blague ne faisait pas mieux passer la pilule. Quand elle dit on, j’avais comme l’impression que le mot ne nous incluait pas tous. Qui sait ce qu’elle nous cachait encore. Et puis, après le spectacle de Cooper, on avait déjà pris des coups, autant le personnel que le vaisseau. D’ailleurs c’était quoi son plan pour remonter dans le vaisseau. Avec le treuil ? La visée de Cooper et le Duc froussard comme pas deux. Oh la vache…

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