Trop court
Son hurlement s’achève au moment où les projectiles pulvérisent sa tête. J'arrête de tirer quand il ne reste plus rien au-dessus de ces épaules.
En un instant, mon corps est transi de froid. D’autres Arg’Va vont rappliquer et je ne suis pas de taille contre eux. Et fuir ne servirait à rien, ils me pisteraient et me rattraperaient en quelques minutes. La chance me sourit avec celui-là, il me tournait le dos quand je l'ai vu, sinon je serais déjà morte.
Mon cerveau est à l’arrêt, ainsi que le reste de mon corps. Plus rien ne répond. Je ferme les yeux pour reprendre le contrôle, mais rien n’y fait. Mes jambes flanchent et je me retrouve allongé sur la route. Je vois le reste des mots écrits au sol : BUS ONLY. Un concept qui m'est étranger, tout cela date d'avant La Grande Invasion, et je suis née vingt ans après.
Doucement, une rage monte du creux de mon ventre et se répand dans chaque fibre de mon corps en se transformant en rage.
— Je ne vais pas mourir dans cette avenue pourrie de New York, dis-je lentement à haute voix, la mâchoire serrée.
Remplie d’une détermination froide, je range mon fusil et pose mon sac à dos. J’en sors deux pains de CL-30, un détonateur et le déclencheur à distance.
- Ça devrait faire l'affaire, enfin, je pense.
Je regarde autour de moi, rien en vue. Je m’approche du cadavre et essaie de soulever son torse pour y cacher mon piège. Mes bras ne sont pas taillés pour soulever cette carcasse.
Comment faire ? Je ne peux pas lui fourrer dans la bouche, il n’en a plus. Il n'y a plus rien au-dessus de son cou. Je grimace à l’idée qui vient de me traverser l’esprit.
Pas le choix, il faut le faire.
Je plonge sans ménagement la main jusqu’à l’épaule dans sa gorge et y dépose l’explosif. Lorsque je retire mon bras, il est recouvert de sang visqueux bleu et de morceaux gluants indéfinis.
— Beurk, dis-je en secouant le bras.
Le sergent avait raison, le revêtement du treillis et des gants résistent bien à l'acidité de leur sang. Mais c'est quand même dégueulasse !
À l’extrémité droite de mon champ de vision, j’aperçois une masse bleue fonçant droit sur moi à une centaine de mètres. Il fracasse une carcasse de voiture lui bloquant le chemin. Comme une idiote, j'ai posé mon fusil à côté de mon sac à dos, de l'autre côté de l'avenue. Je me redresse aussi vite que possible et me précipite pour mon arme, mon seul espoir de survie. Mes rangers dérapent sur la flaque de sang de l'Arg'Va et je m'étale de tout mon long. L'Arg'Va est d'une vitesse prodigieuse, il n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres. Je rampe le plus vite possible et bondis pour attraper mon arme.
Trop court. Trop court, d'à peine vingt centimètres. Ma main se referme dans le vide alors que l'ombre du monstre m'englobe entièrement. Je roule sur le côté, mais trop lentement. Un bras recouvert d’écailles bleues, gros comme un tronc d’arbre et terminé par ces horribles griffes, s’abat sur moi. Une douleur effroyable déchire mon flanc droit. Je tends le bras vers mon M-23, en vain. Ma main ne se referme que sur le vide. Il m'assène un coup de pied qui me fait voler comme une poupée de chiffon et me projette à plusieurs mètres. J’atterris lourdement et me fracasse la tête sur l’asphalte de la cinquième avenue. Le monde tourne dans tous les sens, un voile gris danse devant mes yeux. Le colosse de plus de deux mètres cinquante me surplombe.
Il ouvre doucement la gueule et me montre ses crocs acérés dans un rictus cruel. Un éclat de cruauté brille dans ces yeux reptiliens. Son bras se lève, griffes sorties.
La dernière image que je perçois avant de sombrer dans le noir complet :
Son bras s’abattant vers moi et sa tête explosant au même instant.

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