Chapitre 4 (Pt.2)

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— Par les égouts, il nous fait passer par les égouts ! s’indigne-t-il.

— C’est sûrement le seul moyen et le plus sûr de sortir sans se faire repérer. Je suis sûr que s’il avait trouvé un autre moyen de nous faire franchir les frontières de la Capitale, il nous l’aurait donné, tente de le défendre Satoshi.

Le plus jeune lève les yeux au ciel, exacerbé qu’il essaye encore de donner raison au sage. Ils longent le courant d’eau jusqu’à ce que celui-ci disparaisse dans un précipice sans fond. Le chemin à pied se trouve de l’autre côté. Ils doivent traverser une salle immense parsemée de crânes et de squelettes semblant humains, où les rats viennent ronger les ossements des défunts.

— On se croirait dans des catacombes tellement c’est lugubre.

— C’est peut-être parce que CE SONT des catacombes, Satoshi…

Néo s’arrête net en pointant sa lampe sur une immense pierre tombale où sont gravés à la hâte des dizaines de noms. Des noms et prénoms composés, tels que « Kojima Shintaro » ou encore « Okada Hide. » Mais aussi, de simples pseudonymes qui sont propres à la génération maudite. C’est ainsi qu’ils formatent leur propre identité, en rapport avec ce qui les caractérise le mieux, du moins pour les enfants qui ne se souviennent pas du nom donné à leur naissance.

Les deux pseudonymes en fin de liste attirent son attention plus que les autres. Comme aimanté par ces quelques lettres, il se penche en avant, écartant la poussière de ses doigts. Il peut y lire « Salem » et « Zéphyr. » Deux noms pour le moins atypiques. Néo finit par porter son attention ailleurs, laissant son faisceau lumineux courir le long des murs de terre. Il constate que certains crânes ou squelettes y sont enfoncés, fossilisés par le temps. L’élu s’avance vers l’une des rangées de crânes, les observant tour à tour.

— Il y a un truc bizarre…

— Ah non, ne commence pas à parler comme ça ! panique Satoshi.

Lorsque son ami a le moindre doute, cela s’avère souvent véridique.

— On n’a qu’à voir ça comme des vestiges historiques.

— Vestiges de mon cul, ouais… crache Néo en s’éloignant.

— Pardon ? Tu peux répéter ça ? réclame Satoshi les doigts pincés de manière précieuse.

Mais Néo ne lui donne pas de réponse, intrigué par un squelette en parfait état de conservation, allongé sur ce qui semble être un autel de pierre. Le plus jeune s’en approche et pose une main sur la roche. Tandis qu’il caresse la surface rugueuse, une drôle de sensation l’envahit, lui faisant froncer les sourcils. Un courant électrique le traverse alors qu’il atteint les inscriptions gravées. Il recule et un sursaut de surprise le prend à la suite de cet électrochoc. Son cerveau est alors envahi de souvenirs, le laissant dans une transe inquiétante. Les images sont comme troublées par un voile de fumée, mais il y voit très distinctement des torches, une grotte remplie de personnes tenant des enfants dans les bras ou par la main. Un homme debout devant cette assemblée, une femme hurlant de toutes ses forces. Cette femme… Les visions s’accélèrent et les cris se mêlent les uns aux autres, donnant des maux de tête insupportables à celui qui les subit. Il sort de sa paralysie et n’a qu’à tourner la tête pour que son regard se plonge dans celui de son ami. Celui-ci se trouve à sa droite, une main posée sur son épaule.

— Néo, est-ce que ça va ?

— Oui… Oui je crois…

Ce qui vient de se produire est inédit. Les rêves qu’il fait d’ordinaire ne sont pas aussi immersifs. Expérimenter ce genre de chose en étant réveillé ne lui est encore jamais arrivé. Il se détourne de ses songes quand le faisceau de sa lampe fait scintiller un étrange objet recouvert de poussière. Il souffle dessus et dévoile un katana en parfait état de conservation. Balayant les quelques toiles d’araignée, il perçoit une parcelle argentée, brillant de mille feux. Il essuie la lame sur son pantalon. Néo le brandit fièrement devant lui et le fait tourner dans tous les sens. Une démonstration qui pousse Satoshi à faire plusieurs pas en arrière.

— Oh ! Mec, repose ça, tu vas finir par crever un œil à quelqu’un… Et c’est bien parti pour être le mien.

L’homme au chapeau met ses mains devant lui alors que son ami obtempère et baisse l’arme. Ses yeux sont toujours accrochés à la lame, comme attirés par cette relique.

— Cet endroit ne te rappelle pas quelque chose ? demande Néo en enfonçant le katana dans le fourreau qu’il vient de trouver.

— Pourquoi ? Ça devrait ?

Avant que Satoshi ne se lance dans une réflexion interminable qui ne mène à rien, son attention se voit accaparée par les actions du plus jeune qui fixe le katana à sa ceinture.

— Attends une seconde, ne me dis pas que tu vas le garder avec toi ?

— Bien sûr que si, ça ne fera qu’une défense de plus.

— Si tu dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas, alors pourquoi est-ce que tu tiens tant que ça à garder un objet maudit ? Tu vas nous porter le mauvais œil !

Le plus jeune ignore les mises en garde de son acolyte et récupère sa lampe torche posée en équilibre sur l’autel.

— Continuons, il y a un truc qui ne tourne pas rond ici…

Satoshi se contient de toutes ses forces pour ne pas insister sur ses craintes et emboîte le pas du cadet pour s’enfoncer dans les souterrains. Tout à coup, Néo s’arrête dans sa démarche, se faisant percuter par Satoshi, trop plongé dans ses spéculations pour regarder devant lui.

— Préviens avant de faire une halte comme ça, peste-t-il sous le souffle de Néo entre ses dents qui lui intime le silence.

— Tu as entendu ?

— Entendu quoi ?

Néo tourne le regard en tous sens, faisant maintenant face à son ami et éclairant le couloir de pierre derrière lui.

— Ça venait de derrière.

Un frisson court le long de l’échine de Satoshi qui ne bouge plus que les yeux dans ses orbites, sentant le malaise l’envahir. Néo se concentre pour voir à travers la noirceur qui domine les lieux. Un squelette jaillit soudain de nulle part, leur arrachant un cri de surprise à tous les deux. Néo ne se donne pas la peine d’en voir plus ni de comprendre ce qu’il se passe qu’il attrape la manche de son ami pour le traîner à sa suite. Les bruits des ossements qui s’entrechoquent les avertissent qu’ils sont pris en filature par plusieurs entités différentes. Néo qui s’est détourné en hâte de la menace, n’a pas pu étudier avec précision si ce qu’il a vu est le simple fruit de son imagination, ou si quelqu’un leur fait une blague de mauvais goût. Dans tous les cas, il ne compte pas prendre le risque de s’arrêter pour vérifier.

Ils parviennent dans une autre partie de la caverne éclairée par des flambeaux, leur permettant d’avoir une vision plus étendue sur leur environnement. Ils aperçoivent avec horreur que plusieurs squelettes avancent dans leur direction, massues ou autres armes à la main, les encerclant de part en part. Et Néo a le grand regret de constater qu’aucune de ses théories ne tient la route, l’amenant à penser que les vapeurs des égouts lui ont déclenché des hallucinations. Satoshi se munit d’une des torches accrochées aux cavités et la brandit devant lui pour éloigner les créatures. Néo se met dos à lui, prenant à deux mains son nouveau katana, voyant le cercle de squelette se resserrer sur eux.

— On ne survivra pas ! lance Satoshi.

Néo ne lui donne aucune réponse. Seuls les battements de son cœur parviennent jusqu’à ses oreilles, toujours plus fort à mesure que l’étau se resserre. L’un des squelettes approche de trop près l’homme au chapeau, qui agite sa torche et fait reculer la créature.

— N’approche pas, ou je te carbonise ! avertis Satoshi, pensant sûrement être crédible.

Les monstres ne sont désormais qu’à quelques mètres d’eux, réduisant toujours plus la distance qui les sépare. Satoshi frappe l’un des crânes qui vole plus loin et va s’écraser contre le mur de pierre. Mais le corps continue sa progression malgré l’absence de sa tête.

— On a un problème, pourquoi il marche toujours ? On ne peut pas les tuer Néo !

L’élu, dans un geste inespéré, plante son katana dans le crâne d’un de ses ennemis qui tombent en cendres de façon instantanée. Satoshi regarde ce spectacle avec une certaine admiration.

— Comment t’as fait ça ?

— J’en sais rien !

Il esquive un coup de massue arrivant droit dans sa figure puis attaque les autres qui tombent en poussière chaque fois que sa lame les touche. L’homme au chapeau, quant à lui, continue de faire voler les os en tous sens à l’aide de sa torche. Une fois la menace éliminée, les deux amis se regardent, essoufflés.

— J’ai bien cru qu’on allait y passer, affirme Néo dont les poumons n’amassent plus assez d’oxygène.

— C’était moins une !

— Kaminari aurait au moins pu nous prévenir…

Satoshi paraît plus serein, à tel point qu’il baisse sa garde et ne remarque pas la main squelettique rampant au sol. Elle lui attrape la cheville pour le tirer en arrière, le laissant échapper un cri de surprise.

— Néo ! Je me fais attaquer !

Le plus jeune accourt aussitôt et plante sa lame sur l’assaillant de son meilleur ami.

— Tu m’as sauvé la vie !

— D’une main ? T’as raison c’est un exploit ! ironise-t-il tout en rangeant sa lame dans son fourreau. Bon… Par où on passe maintenant ?

Les yeux de Néo parcourent les différents chemins qui s’offrent à eux.

— On n’a pas le choix, il va falloir tous les essayer.

Les deux amis empruntent l’une des voies et marchent un long moment. Les galeries souterraines semblent interminables. Lorsqu’ils essayent une entrée, ils reviennent par une autre qu’ils ont déjà explorée. Pour couronner le tout, les décors sont tous les mêmes, sombres, humides, et la pierre scintillante que le faisceau de leur lampe éclaire ne comporte aucun repère.

Les heures passent avant qu’ils reviennent sur leur pas une fois de plus, contemplant les ossements des squelettes vaincus un peu plus tôt. Néo fulmine intérieurement contre Kaminari qui n’a même pas jugé bon de leur donner un plan ou une boussole.

— On n’avance pas, putain ! s’énerve l’élu en donnant un coup de pied dans un caillou.

— Et en plus on n’a toujours pas mangé !

— Tu pourrais penser à autre chose qu’à ton estomac pour une fois ?

Néo prend une grande inspiration.

Essayons de relativiser les choses. Quel chemin nous n’avons pas pris ?

— Il nous en reste trois, donc par déduction il y en a forcément un qui marche.

Le héros reste silencieux, attendant que son ami trouve une idée brillante pour les sortir de là. L’homme au chapeau s’approche des trois entrées. Il s’arrête subitement devant l’une d’elles.

— Je dirais que c’est par ici.

— Et pourquoi forcément ce passage ?

Un sourire étire ses lèvres, ravi que son cadet lui pose la question.

— C’est le seul qui laisse passer un courant d’air, les autres se relient juste entre eux. Je suis persuadé que la sortie est par là.

Néo oublie tout de sa colère et retrouve le sourire.

— T’es un génie !

Satoshi fait une révérence pour céder le passage à son compagnon qui prend la tête de la marche.

Peu à peu, le décor change tandis qu’ils progressent dans ce nouvel environnement, leur indiquant qu’ils sont sur la bonne piste. La roche scintillante se pare de légers reflets bleutés, presque fantomatiques. L’humidité y est toujours plus dense, mais le passage beaucoup moins étroit. Ils doivent tout de même enjamber quelques rochers au milieu du passage. Néo retrouve espoir à chaque foulée tandis qu’il contemple les étincelles bleutées ondulant sur la roche lorsqu’il y passe sa lumière.

Leurs prières sont enfin exaucées quand une aura céruléenne attire leur attention. En s’approchant, ils s’aperçoivent que des mots s’assemblent en phrases dans une langue inconnue, gravée dans la roche. La lueur bleutée, presque phosphorescente qui en émane, fait penser aux vestiges d’une civilisation ancienne. Néo s’attarde sur les seuls mots qu’il est capable de comprendre, ancrés au cœur de la pierre. Il plisse les yeux pour lire les caractères qui y sont dessinés, se traduisant par : « caverne aux murmures. »

— Je ne suis pas devin, mais je crois qu’on a trouvé la sortie de la ville.

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