Chapitre 5 (Pt.1)

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Néo glisse ses doigts sur la roche tout en relisant plusieurs fois les lettres qui y sont gravées. Il reste en suspens le cœur battant, comme s’il s’attendait à ce que quelque chose se produise. Mais après de longues secondes, rien ne se passe. Il est coupé dans ses pensées par l’appel lointain de son ami dans la caverne, sa voix résonnant en écho.

— Néo, viens ! Il faut que tu voies ça !

Le regard bleu électrique de l’élu se pose une dernière fois sur la roche incandescente avant de soupirer et aller à la rencontre de son ami.

— On ne devrait pas plutôt examiner les lieux avant de foncer tête baissée ? On ne sait jamais sur quoi on pourrait encore tomber.

Alors que Néo s’apprête à lancer une nouvelle réplique, il reste bouche bée en découvrant le décor qui leur fait face. Un immense espace est creusé dans la grotte, où toutes les veines bleutées phosphorescentes se rejoignent au centre de la voûte, faisant penser à un ciel étoilé. Dans le fond de la cavité coule une petite cascade, dont le bruit apaisant fait presque penser à un coin de paradis. Les reflets de l’eau font danser la lumière sur la roche luisante et renvoient le chatoiement des iris qui se balancent sur leur visage.

— Je ne pensais pas qu’un si bel endroit existait dans cet enfer…

— Et c’est bien pour ça qu’on va faire attention, répond Néo pour toute mise en garde. Une rose a toujours des épines. La plus belle des merveilles peut cacher un danger insoupçonnable.

À la suite de sa phrase, le jeune homme pose sa main sur la poignée de son katana tout en détaillant le décor qui les entoure.

— Et pourtant, il va falloir faire confiance à cet endroit, parce qu’on va se reposer un peu ! décide Satoshi sans prendre la peine de consulter son coéquipier.

Il s’assoit près du point d’eau luminescent que forme la cascade se déversant à l’infini.

— Hein ? On est parti il n’y a que quelques heures et tu veux déjà faire une pause ?

Il ne comprend pas comment un estomac peut dicter à ce point la loi d’un humain ! Ils ont encore tant à parcourir, le temps n’est pas au repos.

— Est-ce que tu as encore la notion du temps, Néo ?

Ce dernier n’ose rien répondre face à la mine inhabituellement sérieuse de Satoshi.

— Nous sommes partis il y a bien plus que des heures. Tu ne te rends pas compte du temps qu’on a marché sans s’arrêter, il faut qu’on reprenne des forces. Sinon on sera mort bien avant de sortir d’ici. Tu crois que c’est en y restant qu’on va les aider ?

Néo soupire de colère, mais contre lui-même cette fois-ci. Satoshi marque un point.

— Tu as raison, on devrait dormir avant de reprendre la route.

Satoshi retrouve son sourire amusant et se met à farfouiller le sac à la recherche de quelque chose à grignoter.

— Mais pas indéfiniment. Je ne le sens pas cet endroit… Aussi paradisiaque semble-t-il, insiste Néo à demi-voix.

— Alors, qu’est-ce qu’Arashi nous a préparés à manger ?

Satoshi pousse presque une expression de joie en mettant la main sur ce qui semble être de la nourriture et la ressort à la hâte du sac. Son sourire s’efface en voyant qu’il tient dans sa main, une pomme rouge.

— Un fruit… On part dans une aventure périlleuse et lui, il nous donne des fruits ?

Néo se met à rire puis s’assoit à côté de son aîné, admirant l’écoulement paresseux de la cascade.

— Tu devrais le remercier au lieu de te plaindre. Sans lui, on crèverait de faim.

Fixant les mouvements calmes de l’eau de son regard azur, il laisse ses pensées vagabonder alors que son ami entame la pomme. Ce petit lac souterrain dégage quelque chose d’envoûtant, de fascinant. La douceur avec laquelle se balance l’eau et fait danser les iris turquoise sur les parois de la grotte, le plonge dans une paix intérieure. Il finit par se perdre dans ses pensées et rapidement des questions envahissent son esprit. Puis, ce sont des images du passé qui refont surface. Un long frisson le parcourt alors qu’il revoit cette même scène ; sa première rencontre avec la milice infernale.

Les premiers ordres qu’il a reçus, contradictoire avec son instinct de survie et un seul nom à qui il doit une obéissance éternelle. Même sans l’avoir vu de ses propres yeux, il perçoit sans cesse ce visage derrière ses paupières closes. Celui de la mort, du démon en personne qui les tourmente. Adès. Le simple fait de penser à un duel contre la créature lui donne la chair de poule. Sous les caricatures immondes projetées par son imagination, il décide de rompre le silence, comme pour chasser ces illusions macabres.

— Tu crois vraiment que je suis capable de tuer le comte ?

À cette question, son ami arrête de mâcher pour fixer son visage devenu soudainement pâle.

— Même avec l’aide des supposés dieux, on parle quand même d’un barbare surpuissant.

Un soupir franchit les lèvres de Satoshi. Lui aussi est conscient que ça relève de l’impossible. L’élu tressaille en sentant la main de son meilleur ami se poser sur son épaule et tourne de surcroît ses orbes clairs dans sa direction.

— Je ne te cache pas qu’il se peut qu’on échoue… Mais on va se battre. Tous les deux. Et avec les autres, il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas, tente de le rassurer l’homme au chapeau. Contrairement à ce que tu crois, nous sommes tous ensemble, dans le même bateau.

Il lui adresse son habituel sourire que le héros lui rend avec moins d’entrain.

— Puis tu n’es pas totalement dans le vrai… avoue Satoshi. Il se peut qu’on meure bien avant d’avoir trouvé les sept artefacts !

— Merci pour ces paroles d’encouragement et pleines d’espoirs Satoshi ! On va aller loin, c’est sûr ! réplique-t-il en tirant sur le chapeau de son ami pour le lui mettre devant le visage.

Quand bien même ils essayent à leur manière de détendre l’atmosphère, les faits sont là. La mort les attend quelque part.

— Je crois que j’ai eu ma dose en ce qui concerne tes bêtises, je vais aller me baigner un peu. On essayera de reprendre la route dès qu’on se sentira d’attaque.

— Oui chef ! acquiesce Satoshi avant de croquer de nouveau dans sa pomme.

Cette vision arrache un sourire tendre au plus jeune. Il se redresse pour se diriger dans un coin isolé de la grotte, faisant face à l’eau cristalline qui se meut au rythme des écoulements de la cascade. Il retire sa veste et en fait tomber l’ourson en peluche de Ruddy. Ses prunelles l’observent longuement, une pensée pour son ami croupissant sans doute toujours dans cette prison, lui traverse l’esprit. Il balaie le regret qui l’envahit d’un mouvement de tête et pose ses vêtements sur son sac aux côtés de son katana, tout en poursuivant son effeuillage. Son débardeur le quitte, puis son pantalon, le laissant en simple sous-vêtement. Le froid environnant lui arrache un frisson.

Un pied après l’autre, il immerge son corps dans l’eau, se laissant envahir par cette sensation de relaxation. Il baisse alors les yeux en direction de cette marque au creux de sa hanche, analysant une fois encore les gonflements de sa peau. Comme du bétail, on lui a gravé au fer rouge, ce code-barres indélébile. Tous les enfants maudits sont passés par là. Il y passe ses doigts pour sentir les boursouflures, se remémorant la souffrance qu’il a ressentie. Un froncement de sourcil chasse ces sombres pensées. C’est un nouveau Néo qu’il doit être et non plus cet enfant apeuré qu’il a été, autrefois.

S’éloignant du bord pour rejoindre le centre du lac, Néo finit par perdre pied. En battant des jambes, il se rend compte de la profondeur. Il rejoint la cascade à la nage, plongeant sous cette dernière pour se retrouver de l’autre côté. Un rebord de pierre émerge de la surface de l’eau sur lequel il se hisse. Il contemple en silence l’écoulement paisible de la cascade face à lui. Les reflets de l’eau forment des mailles transparentes, semblables à celles des diamants. Une véritable merveille de la nature. Néo se laisse transporter par la mélodie des clapotis et la vue de ce rideau liquide qui le sépare du reste de la grotte. Le ronflement assourdissant des moteurs des vaisseaux lui semble loin à présent. De nouveaux souvenirs l’assaillent quand il revoit les résistants le défendre contre le bras droit d’Adès.

Thanatos : général des armées et pisteur à la Capitale. C’est celui auquel les enfants maudits ont le plus à faire. Du moins pour ceux qui ont la chance d’être en liberté dans la cité. Si Arashi n’avait pas été là avec son équipe ce jour-là, le démon lui aurait broyé les côtes sous son pied. Maintenant qu’il y repense, il s’en veut d’être resté figé par la peur. Cette rancœur ne le quitte pas, regrettant d’avoir été cet enfant chétif et docile. Néo s’est transformé depuis. Comme si plus rien ne pouvait l’atteindre. Du moins, c’est l’image qu’il essaie de se donner. Un masque qui dissimule la crainte. Il lève son bras devant lui jusqu’à ce que ses doigts atteignent la surface de la cascade. De sa paume, il lisse la paroi fluide, essaie d’attraper cette matière inconsistante qui s’échappe entre ses doigts. Tout comme les rêves ici-bas.

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