6

5 minutes de lecture

 Je regarde l’heure sur le four de la cuisine : deux heures cinq. Je soupire, le micro-ondes cesse de tourner avec un BibiBibip. Je prends l’assiette de pâtes à la sauce bolognaise. De la musique techno me vient par vagues depuis le salon. Un chien pose sa patte sur ma cuisse, me fait sursauter.

— Mais qui es-tu ? je demande. C’est la viande dégueu de la sauce que tu veux ?

Il geint. Je prends le bocal rempli du reste de la sauce et je le verse sur le carrelage, j’essaie de pas dépasser, de bien faire tomber la sauce sur un seul carreau. le chien lèche ma main, et mange la queue frétillante. Je retourne à mon assiette, je fixe la porte, je ne sais pas où sont les filles, enfin je sais où est Laeticia, elle est déjà partie avec Sofiane mais je ne sais pas où sont Liv et Léna. Mon verre est vide, est-ce qu’il n’y a pas une bouteille —

— Salut.

Je sursaute, encore. Je m’étouffe avec mes pâtes, c’est crade, des petits bouts orange se mélangent avec ma ma salive. Je m’essuie avec mon bras, ce qui n’est pas plus classe.

— Je ne savais pas que tu étais encore là, je dis.

Killie à ouvert la porte, il me regarde. Il a l’air fatigué, ses yeux sont bouffis, cernés, sa peau grise, son t-shirt est plein de tâches.

— Tu as une sale gueule, je rajoute.

Il ferme la porte. Ses mains sont couvertes de minuscules coupures enflées.

— Je t’ai aperçue, dans le salon, dit Killie.

— Ok.

— Je suis content de te voir.

Je fronce les sourcils. Il est où le traquenard ?

— Tu as perdu la mémoire ? Ça fait dix jours que tu ne me parles plus.

—Je sais, j’avais besoin de me retrouver tout seul. Y a plein de merdes qui m’arrivent en ce moment Avril, je ne sais pas comment gérer tout ça.

— Tu n’as pas besoin d’une merde supplémentaire, c’est ça ? je dis avec un rire nerveux.

Il soupire.

— Si tu veux. Je ne veux pas avoir la même conversation qu’il y a dix jours. Alors, je suis désolé de m’être énervé, et de t’avoir coupé de ma vie tout ce temps. Tu ne sais pas toutes les conneries que je fais quand tu n’es pas là. J’ai personne pour m’engueuler, me dire que là je déconne, qu’il ne faut pas que je continue à faire ça et ça.

— Il se passe quoi, Kill ? Jules m’a raconté un truc flippant sur toi.

— Non, non, non, dit Killie en secouant la tête plusieurs fois. Pas maintenant, pas ici. C’est pas le moment de parler de trucs crades.

Je me lève, je vais vers lui.

— Alors c’est quand le bon moment, Kill ? Parce que là tu ressembles à un mort-vivant qui va droit vers une mission suicide. Tu fais peur à tes potes, tu me fais peur à moi, tu ne veux plus nous voir, alors arrête avec ton discours à deux balles où tu me racontes vaguement que tu fais des choses qui craignent. Je ne vais pas te lâcher tu sais, quoi que tu me dise. A la limite, j’irai buter ton frère.

— Ce n’est pas si facile de tuer quelqu’un, dit Kill avec un sourire triste.

Si seulement il savait.

— Ok, il continue. Ok, ok, ok. Je te jure, on va parler, je vais tout t’expliquer.

Il fait un pas vers moi, le dernier, nos habits se touchent, la toile rugueuse, ses mains vont dans mes cheveux, poussent ma tête contre sa poitrine. Ses lèvres embrassent mon front, mes joues. Pourquoi ses mains tremblent ? Non, ce sont nos deux corps qui tremblent, putain qu’est-ce qu’il m’a manqué. Mais il faut que je me concentre, encore un peu.

— Promis ? je dis. Je ne lâcherais pas tant que t’auras pas craché le morceau.

Un silence. Il n’y a que le chien qui lèche le carrelage.

— Promis.

Puis Kill ouvre sa main gauche, des reflets irisés.

— Mais là, c’est l’heure de faire la fête.

Et il m’embrasse sur la bouche, me mord la lèvre.

***

— Waouh.

— C’est quoi cette chambre ?

Kill et moi, on rentre dans la pièce.

— J’ai l’impression d’être à Disney land, chuchote Kill.

La moquette est longue, rose néon. Des fauteuils qui ressemblent à des bonbons Haribo sont posés un peu partout.

— C’est un matelas à eau.

Je regarde Killie s’enfoncer dans les vagues en plastique. Je touche les murs en velours bleu roi, la poignée dorée.

— Oh putain.

Le carrelage est composé de bateaux à voiles et de phares. Les toilettes sont en faïence outre marine, mais ce qu’il y a sur le mur, je n’ai jamais rien vu de tel.

— Avril, pourquoi est-ce qu’il y a un aquarium géant dans des chiottes ?

— J’en ai aucune idée.

Je ne peux détacher mon regard du mur en verre d’environ deux mètres de haut. Les ondulations bleutées, la lumière qui découvre des anémones vraies ou fausses, des plantes gluantes qui s’accrochent aux parois, et des poissons, minuscules argentés, en croissant rouge et ocre, tachetés, zébrés.

— Avril, regarde.

Kill pointe du doigt un poisson qui va super vite. Je plisse mes yeux, je me colle à la paroi.

— Un bébé requin, je murmure, émerveillée.

Il pourrait tenir dans ma main.

Kill sort de la pièce et revient avec une chaise. Il la place contre l’aquarium.

—Qu’est-ce tu fous ?

Il ne répond pas, il a son sourire de mec qui a eu une idée débile. Kill se déshabille, monte sur la chaise et plonge dans l’aquarium. De l’eau déborde par le haut. Killie remonte à la surface.

— Viens !

Il rigole sous l’eau, des bulles s’échappent.

— Oh et puis merde, après tout pourquoi pas.

Je me déshabille, je grimpe sur la chaise et je me glisse dans l’eau tiède. Les poissons sont perturbés, on est serrés là-dedans. Mes doigts effleurent la peau du bébé requin, je sens les anémones entre mes doigts de pieds, l’eau a un drôle de goût. Killie prend mon visage entre ses mains, il m’embrasse, ses jambes s’accrochent autour des miennes, nos cheveux flottent dans la lumière tamisée, je l’embrasse de plus en plus fort, mes ongles griffent son dos, il me plaque contre le verre, je crois que je viens d’écraser un poisson, ma langue est dans la bouche de Kill, mes doigts descendent le long de son torse, le verre vibre les poissons nagent dans tout les sens terrifiés, je veux juste que Killie soit encore plus proche de moi, j’enroule mes jambes autour de ses hanches on rigole ça fait des bulles je les chasse avec ma main. La paroi de l’aquarium cède brutalement. On est projetés sur le carrelage, je sens des bouts de verre dans mon dos dans mes cheveux, il y a de l’eau partout dans les chiottes les poissons tressautent sur le sol mais Kill m’embrasse, il me met sur lui, grimace quand le verre rentre dans son dos, le sang se mélange à l’eau et aux dernières respirations, je l’embrasse, mes doigts accrochés aux siens, mes ongles dans ses paumes de mains, nos salives étalées le long de nos corps tremblants et ensanglantés.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire emmaabadie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0