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Je ne sais plus comment je m’endors mais je me réveille brusquement. Mon pantalon est baissé sur mes chevilles, mon dos est poisseux de transpiration je n’ai pas enlevé mon t-shirt, ma petite sœur n’est pas là, il est quelle heure ? Les acouphènes se calment quand je réalise qu’on tambourine à la fenêtre. J’enlève mon jean, mets un bas de survêtement et sort de mon lit. C’est Kill.

— Putain Avril ça fait au moins dix minutes que je fais un bordel pas possible.

Il agite son poing rouge et écorché. Je m’accoude contre le rebord de la fenêtre, je cligne plusieurs fois des yeux, mon sommeil était trop collant pour que je sois bien réveillée.

— Désolée, je dormais. Tu ne pouvais pas m’appeler plutôt ?

— Je l’ai fait.

Ah.

— Je dormais désolée, je répète.

— C’est bon.

Un geste de main. Il regarde derrière lui. Il enlève sa capuche. Je cligne des yeux, je n’arrive pas à me concentrer. Kill me fixe pendant que je regarde ses mains, son pull, son visage, ses sourcils froncés.

— Merde merde merde, je fais finalement.

Ses yeux ne quittent pas les miens.

— Kill ton nez. Putain.

Son nez est enflé, du sang séché tout autour. Maintenant je vois les taches sombres sur son pull. Sa pommette est violacée.

— C’est la merde Avril, il dit.

Ma bouche est ouverte mais je ne dis rien, je suis perdue, je ne comprends qu’à moitié. Il m’aide à passer par-dessus la fenêtre, Killie me sert dans ces bras.

— C’est qui qui t’as fait ça ?

Je veux toucher le sang séché mais il écarte ma main.

— C’est pas important, j’ai pas le temps. Il est déjà super tard.

Il est quelle heure ?

— Kill, pourquoi t’as pris ça ?

Un mouvement nerveux du pied sur le sac informe. Kill a l’air coupable, embarrassé et impatient.

— Viens avec moi, il finit par dire.

Le sol puis mes yeux à nouveau.

— Venir avec toi où ? J’comprends rien à ce que tu racontes, il se passe quoi en fait ?

Silence.

— Oh, Kill ! Y a quoi, qu’est-ce tu fous ? Tu vas où ? Ça sort d’où tout ça ?

— Avril, on m’attend je dois y aller. S’il te plaît, viens avec moi. Je suis sérieux.

— Moi aussi je suis sérieuse ! Putain qu’est-ce que tu me fais, c’est une blague ?

— Je viens de dire que j’étais sérieux. Les choses ont merdé.

— On s’est quittés il y a cinq heures c’est pas possible !

— Il est seize heures. Je dois y aller, viens avec moi merde, je ne veux pas te perdre.

Déjà ?

— Me perdre ? Putain, je comprends rien. Je comprends rien, rien, rien. Kill, explique-moi.

— Bryan avait raison. C’est la merde.

— Quoi ? ma voix s’étrangle.

— Quoi ? je répète.

— Y a des mecs qui cherchent ce que je devais trouver.

Sa voix est avalée par sa respiration de plus en plus saccadée.

— Et je ne l’ai pas. Je ne l’ai pas Avril. Ils sont venus chez moi, putain heureusement ma mère n’était pas encore rentrée du boulot mais j’ai jamais vu ça Avril.

— Vu quoi ? Bryan se fout de ta gueule encore une fois. C’est avec lui que tu te casses ? Bien sûr c’est avec lui que tu te casses.

—Non non non. Justement. C’est pas avec lui je lui fais plus confiance, rien, je veux m’éloigner de lui le plus possible. C’est pour ça que je veux que tu viennes avec moi Avril, on peut aller dans un endroit plus grand qu’ici, trouver des petits boulots, je te jure on peut se démerder toi et moi.

Il n’y a plus d’air dans mes poumons, je sens que mon corps se remplit de fluides. J’essuie ma morve avec la manche de mon t-shirt.

— Je ne peux pas.

C’est presque inaudible tellement ma mâchoire tremble, mes dents s’entrechoquent. Je veux m’effondrer mais je n’y arrive pas.

— Avril. Putain, faut que j’y aille.

Killie regarde derrière lui.

— C’est pas vrai, je dis, tu ne vas pas partir. Tu ne peux pas. Tu vas faire quoi ? ma voix s’est remplie de haine. T’as seize ans Kill, si tu pars tu vas être un minable toute ta vie. Un putain de loser qui se cache, qui n’affronte rien.

— Avril, je suis venue parce que je t’aime pas pour m’engueuler avec toi. Je veux que tu viennes avec moi.

— Pourquoi ? T’es pas obligé de partir.

Il secoue la tête, regarde son portable. Un soupir qui ressemble à un sanglot. Met son sac sur son épaule.

— Kill, tu fais quoi ?

Il n’essuie pas les larmes. Un coup de klaxon.

— C’est pas pour toujours, il dit.

— C’est pas possible, mes yeux accrochent les siens. Kill, je ne veux pas laisser les filles, ça va être bien, vraiment bien ce qu’on fait. Je ne peux pas.

— Je sais. Mais. Je sais. Putain.

Les larmes décrochent des bouts de sang séché. Son portable vibre. Un coup de klaxon.

— Je suis perdue, je renifle. Tout va trop vite.

Son portable vibre. Kill me pousse doucement contre sa poitrine, mon esprit tourne comment le retenir non il ne va pas partir c’est pas possible non non je ne comprends rien il me chuchote des trucs mais je ne l’écoute pas ses battements de cœur irréguliers qui m’empêchent de me concentrer. Mes mains dans son dos agrippent son sweat. Mes mains sont sur son visage sa main dans mes cheveux sa main sur mon visage sur mon menton. Il m’embrasse mais ses larmes son sang séché ma morve. Il m’embrasse. Son portable vibre. Je l’embrasse.

— Quoi ? je dis. J’ai pas compris.

— Tu vas me manquer, Killie répète.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? je couine.

Une pression de sa main sur la mienne. Il veut sourire mais n’y arrive pas et fait une grimace méchamment moche. Un coup de klaxon. Kill se retourne le visage inondé de larmes, je vois son dos qui s’éloigne vers le portail, vers la route. J’halète, j’essuie ma morve, mes yeux sont secs l’air froid m’agresse, putain il va vraiment partir. C’est pas possible, c’est pas possible. Écarquillés, je vois mon corps bouger, mouvements zombies, j’attrape la capuche ça l’étrangle, par derrière je me jette sur lui ma tête contre son dos mes mains croisées sur sa poitrine. Kill s’effondre. Tête contre le portail, des sanglots longs qui ne savent pas quoi faire une fois qu’ils sont sortis. Il s’essuie sur ma manche.

— Je t’aime.

— Je t’aime.

Il n’est plus là. Je suis dans l’herbe. Contre le crépi, ma chambre n’est qu’à une fenêtre, mon lit, mais je n’ai pas le courage de me relever, je cherche tout sauf le confort ma tête s’effrite sur la peinture blanche je ne pleure que quand il est trop tard je donne un coup dans le mur un deuxième pourquoi j’ai pas mal là où je veux avoir mal un troisième qu’est-ce qui coule sur mon front quatrième cinquième putain arrête stop stop stop

mais ça ne s’arrête que quand c’est le trou noir.

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