Chambre 5

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C’était à la même heure, approximativement, que l’homme de la chambre 24 se réveilla et que la femme de la chambre 5 trouva enfin le sommeil. Les chambres de l’hôtel étaient numérotées selon une logique qui échappait à tous les clients, et personne ne pouvait jamais savoir exactement à quel étage se trouvait la chambre qu’il occupait simplement au regard du numéro qu’on lui indiquait à la réception, lorsqu’il retirait la clé pourvue d’un lourd porte-clés métallique qui rendait presque impossible de l’oublier au fond de sa poche.

Elle sombra enfin dans le sommeil, qui l’avait fuie avec une résolution presque aussi obstinée que la sienne à le trouver, non qu’elle eût quelque raison de se tourmenter, de se tourner et de se retourner dans son lit. Les pensées lui traversaient l’esprit, comme des filaments d’étoiles effilées. Elle ne trouvait pas le sommeil parce qu’il se refusait à elle. Parce qu’elle n’était pas dans son lit. Parce que les nuits d’hôtel étaient pour elle, toujours, des nuits d’attente pâle, sans raison aucune, simplement parce qu’elle avait gardé de l’enfance, même en devenant mère, la même difficulté à s’endormir dans un lit étranger. Comme autrefois, lors de la première nuit de vacances, dans la maison d’été que pourtant elle connaissait bien et dans laquelle elle retrouvait sa chambre. Son lit n’acceptait de la retrouver que la deuxième nuit, quand il était bien entendu qu’elle resterait, que les affaires étaient installées dans le désordre de la liberté ; qu’elle aurait remonté de la cave, où elle n’osait pas descendre le soir, une bouteille d’eau qui lui permettrait de traverser la nuit sans encombre.

C’était ainsi, comme une fatalité légère et sans grande importance, elle ne dormait pas la première nuit. Et quand elle ne se déplaçait que pour deux jours, le plus souvent pour des raisons professionnelles, elle ne dormait pas. Elle attendait le sommeil, éteignait le téléviseur, terminait un chapitre, reposait son livre, rallumait la télévision, se levait pour boire, regardait les ombres furtives dans la rue, consultait ses mails à une heure trente du matin, baissait le son de la télévision. On ne savait pas pourquoi, la course lente des minutes se distendait, ses occupations tenaient ses yeux ouverts de plus en plus difficilement, ne les tenaient presque plus ouverts. Elle avait l’impression étrange de lutter contre le sommeil tout en le cherchant. C’était un peu absurde, un peu insignifiant. Elle se retenait à la ponctuation lumineuse des phares des voitures, des affichages numériques du poste, à l’écran de son iPhone, elle se retenait en même temps qu’elle glissait dans le sommeil, au point qu’il lui semblait parfois qu’elle trouvait plus facilement le sommeil en essayant de ne pas s’endormir, en tentant de se retenir contre la pente qui, peu à peu, l’entraînait.

C’était une nuit un peu absurde loin de l’appartement familial. Elle imaginait sans difficulté les chambres plongées dans l’obscurité et le désordre. Elle savait que son absence ne changeait presque rien. Elle avait préparé les piles de vêtements pour les enfants, étagées sur le petit escabeau où chacun irait les récupérer le matin ; elle n’était presque pas partie, elle n’était presque pas… Elle ne serait pas là du tout, si elle ne devait, le lendemain matin, physiquement, affronter ce monde-là, cette ville-là, ce lieu-là. Elle n’était presque pas matérialisée ici, dans cette chambre qui ne lui était rien ; pas même une chambre à coucher, après tout, elle était de passage, ici comme ailleurs, ici comme n’importe où. Elle évitait de se demander ce qui se passerait exactement si elle disparaissait, et quand elle se posait vraiment la question, quand elle examinait toutes les conséquences qui en découleraient, elle en trouvait finalement assez peu, sauf une, incontestable, indéniable, incontournable : il n’y aurait plus personne pour déposer les vêtements en piles sur les marches du petit escabeau de bois, dans la chambre des enfants.

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