Chambre 2

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La nuit allait son train, chambre 2, et l’obscurité qui avait peu à peu envahi la chambre, avait été repoussée d’un geste, puis d’un autre, et à présent la clarté des lampes continuait de pénétrer la chambre. Ses occupants, un couple âgé ayant réservé la veille pour une nuit, étaient déjà passé dans l’hôtel, avaient déjà dormi, peut-être même dans cette même chambre, déjà. Certains clients croyaient les reconnaître, pensaient les avoir déjà croisés. La réceptionniste au moment de leur arrivée leur avait donné les clefs avec une sollicitude marquée. Néanmoins, ils semblaient soucieux de se replier dans leur monde intérieur, ils avaient disparu dans leur chambre, et n’étaient ressortis qu’à l’heure du dîner.

La chambre 2, au rez-de-chaussée, ouvrait sur une minuscule terrasse, sur laquelle on aurait pu installer quelques plantes qui pousseraient vers le soleil comme elles le pourraient. Elles grimperaient, grèles et obstinées, verticalement vers le ciel, dont elles demeureraient à une distance infinie, verticalement vers les toits, dont elles pourraient espérer atteindre les rebords de leurs doigts frêles, s’accrocher, se tenir, avant qu’une main ne les saisisse, ne les fasse redescendre, n’arrache les ventouses végétales d’un geste brusque, quitte à arracher du mur des morceaux de pierre friable qu’ensuite elle époussèterait des épaules, des cheveux, du cou d’un geste distrait et pourtant insistant.

Ils avaient ouvert la fenêtre et reposaient leur fatigue parallèlement sur le lit. Leurs membres avaient inventé, au fil des années, au fil des gestes et de leur répétition, des manières différentes de les faire souffrir, de ralentir leur marche et leur activité, de ne pas fonctionner tout à fait comme autrefois, de restreindre le cercle des mouvements qu’ils pouvaient raisonnablement envisager ; mais la rythmicité selon laquelle cette décroissance se manifestait était suffisamment accordée pour qu’ils puissent continuer à se suivre et se précéder l’un l’autre. Pour qu’ils demeurent compagnons s’accompagnant, l’un et l’autre compagnonnant dans le monde habituel de leur traversée quotidienne, combien de fois répétée ? Parfois sur les routes, quand des nécessités familiales qu’ils aimaient inventer de temps en temps, quand la fantaisie leur en prenait, leur faisaient passer une nuit dans cet hôtel ; "pour couper la route" répondaient-ils à leurs enfants qui s’inquiétaient de leur fatigue et de les voir arriver tout en même temps ; ils n’étaient pas dupes.

Elle avait regardé la télévision longuement, cherchant ce qu’il était possible de regarder, ne trouvant pas, commentant, et lui tournait les pages de son journal, levait parfois les yeux, mais pas toujours, grommelait une réponse parfois, approximative et distraite ; et pendant qu’elle avait sombré dans le silence et le sommeil et l’oubli, lui était resté éveillé, laissant les heures s’égrener, pensant à ce qu’elles avaient été, autrefois, il y a bien longtemps, quand il était passé pour la première fois dans cette ville. A l’époque, il était débordé de travail ; il aimait cette impression, qu’il avait toujours gérée avec le calme le plus absolu, sans jamais s’en départir, durant toutes ces années. Il se leva, sortit fumer une cigarette sur la petite terrasse. Il évitait soigneusement, depuis des années, de fumer en sa présence à elle ; ce qui d’ailleurs, ne le dérangeait pas mais lui donnait de minuscules occasions de parenthèses de solitude dans le cours de sa vie, qu’il accueillait de bonne grâce, comme ce soir, sur cette terrasse étroite et abritée du vent, sur laquelle il alluma sans difficulté sa cigarette. Il repoussa, pour éviter que la fumée ne rentre, la porte-fenêtre derrière lui, et dans l’obscurité de la terrasse, il respira sa cigarette et laissa l’air nocturne et la fumée, tout en même temps, entrer dans son souffle et se mêler à lui. Il respirait la nuit en même temps que le tabac et la teintait de fumée dont les volutes allaient se mêler à un rayon de lumière oblique tombé d’une fenêtre.

Il leva la tête. Une fenêtre éclairée bien au-dessus de sa tête lui donnait l’impression irréelle d’être dans un tableau. Cette même impression qui se répétait parfois, se présentait parfois à son esprit, et l’enveloppait soudain tout entier, comme quand il était enfant. Il se souvenait qu’alors elle le surprenait profondément. Mais ce n’était qu’un souvenir.

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