Chambre 7bis

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Plusieurs fois dans la nuit, comme pour arrêter, reprendre, retenir le temps, plusieurs fois le téléphone aurait sonné si elle ne l’avait pas coupé. Il avait suffi de décider du silence. C’était une chose lisse et simple que de décider du silence. Tant qu’à être loin géographiquement, s’était-elle dit, tant qu’à être loin spatialement, pourquoi ne pas se recroqueviller, s’était-elle demandé, et pourquoi pas loin, très loin, dans une gangue de silence et de solitude lisse comme la nacre qu’elle aimait faire glisser entre ses doigts. Elle avait décidé que cette nuit glisserait sur elle et qu’il ne lui en resterait rien, que ce serait une nuit de plus jusqu’à la dernière, mais rien qu’une nuit de plus, qu’elle ne lui accorderait aucune importance particulière. Ce serait une nuit de plus, lisse et nacrée. Et indifférente à elle, comme elle aussi était indifférente et lisse.

Dehors la pluie et le vent, tout cela se mêlait, la pluie et le vent se mêlaient, et venaient frapper contre le carreau. Dehors la pluie et le vent, et tout cela presque horizontal, dehors abandonnant la verticale, glissant en oblique presque horizontale contre la vitre. Et à cela non plus, dans le calme de la chambre et de la nuit, elle ne voulait rien savoir, cela n’avait aucune importance, elle ne voulait pas le savoir. Il est possible de se replier loin de soi, dans une coquille très fine et très résistante de silence, et très lisse aussi.

La lueur de la ville entrait à peine et ne rendait luisants que les angles des meubles et presque rien de plus. Des reflets sur les carreaux, presque rien. Elle non plus ne dormait pas. À se demander qui dort parfois, dans les chambres d’hôtel. Elle regardait la pluie à présent oblique, et le bruit contre le carreau l’hypnotisait presque. Pas tout à fait. C’était dommage. Quand une rare voiture passait dans la rue rectiligne et à sens unique, quand une rare voiture passait, toujours dans le même sens, la même séquence visuelle se réitérait, toujours la même. Les phares caressaient la vitre, rendaient brillantes les gouttes d’eau et de pluie, et puis aussi vite que c’était arrivé, tout cela s’effaçait comme un souvenir, et elle s’enfonçait un peu plus, un peu plus loin, dans sa nacre indifférente.

La lueur du téléphone portable, qu’elle avait pris soin de faire recharger sur la commode recouverte de marbre, se rallumait à intervalles irréguliers et de plus en plus imprévisibles dans la nuit. Elle ne voulait pas les voir. Elle espérait à chaque nouvelle fois qu’une nouvelle voiture passerait dans la rue et effacerait de sa lueur les lueurs bleutées du portable. Mais il était rare que cette coïncidence se produise. Une telle conjonction de lueurs n’arrivait presque jamais. C’était ainsi, elle n’y pouvait presque rien. Elle ne savait pas non plus pour quelle raison elle ne se levait pas dans la nuit pour répondre, elle n’en avait pas vraiment d’idée ; elle était là, dans la pénombre, elle savait que ses yeux grand ouverts dans la pénombre demeuraient aussi vifs, elle le savait. Elle sentait sur son visage et sur son corps la tendresse de la pénombre. Elle ne bougerait pas.

C’était ainsi. Elle en avait décidé, sans vraiment le savoir, sans prendre de posture, sans se dresser de toute sa stature dans la nuit. Elle avait décidé que tout cela glisserait sur elle dans la pénombre, comme la pluie glissait sur le carreau, ruisselait, avait ruisselé. Et puis finalement l’orage était passé. Il suffisait donc, se disait-elle, il suffisait d’être lisse, de ne pas bouger, de ne pas trop faire d’effort, il suffisait de se tenir au plus près de soi dans la pénombre de la chambre, de ne pas répondre au monde extérieur, et les choses, d’elles-mêmes, se défaisaient, se délitaient ; mais au fond, c’était beaucoup plus lisse et beaucoup moins douloureux qu’elle ne l’aurait pensé.

C’était lisse et doux comme l’oubli. Elle tenait entre ses doigts une nacre lisse et douce comme l’oubli qu’elle avait ramassée autrefois, sur une plage. Elle la tenait et la faisait glisser entre ses mains, et la caressait, lisse et douce. Ça n’avait aucune importance. C’était comme l’oubli.

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