Chambre 20

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Chambre 20 il y a quelqu’un qui pleure. C’est ainsi. C’est le détour de la fiction. Il rejoint la réalité. C’est un hasard, on n’y peut rien, on ne peut rien contre l’hypothèse, elle n’a rien d’absurde, selon laquelle le numéro de la fiction rejoindrait le numéro de la chambre où quelqu’un pleure. Chambre 20, c’est un hasard, il y a quelqu’un qui pleure.

La chambre est absurde et absurdement zébrée. Les zébrures sont évidemment fausses. Il n’y a rien d’animal dans la chambre, rien d’un zèbre, rien de la savane ni des espaces sauvages, assurément : il n’y en a rien. Il y a quelqu’un qui pleure. C’est pitoyable, et rien que cela. Il y a quelqu’un qui pleure, on n’en sait pas plus. Il suffit de passer dans le couloir, on n’a pas besoin d’entrer dans la chambre pour le savoir, pour l’entendre. Quelqu’un sanglote. Quelqu’un pleure. On n’en sait pas plus, on n’en saura pas plus. On ne le distingue pas bien. Et même si on ouvrait la porte, on ne le distinguerait pas, on n’en saisirait pas les contours, on ne pourrait rien dire de plus. Quelqu’un pleure, quelqu’un sanglote, n’arrête pas, parfois s’arrête, reprend souffle, quelqu’un pleure, s’arrête, reprend souffle, recommence à pleurer.

Si on ouvrait …

On pourrait, si on ouvrait, faisons semblant donc. On peut toujours faire semblant, essayer de, si on pousse la porte, si on regarde, si on jette un coup d’œil, on peut saisir seulement des contours, on ne peut rien d’autre, rien de plus, on peut saisir au moins les contours de sa silhouette, sa silhouette recroquevillée, dans la position fœtale, cette position à laquelle on reconnaît les vrais chagrins. Ceux dont on ne se console pas. Les chagrins des adultes ont cette différence avec les chagrins des enfants, qu’on ne s’en console pas. On s’en distrait, on fait tout pour s’en distraire, mais on ne s’en console pas. Les chagrins des enfants sont vrais mais parfois on parvient, avec un peu de chance on parvient parfois à les consoler. De leurs vrais chagrins, les adultes ne se consolent pas, ils se distraient, voilà tout.

La silhouette de la chambre 20 - chambre absurde et zébrée et, qui plus est, c’est absurde décidément, chambre aux évocations sauvages rendant son chagrin encore plus absurde - la silhouette de la chambre 20, elle aussi zébrée et striée et froissée et stridente, est roulée en boule sur le lit ; elle est zigzaguante sur des zébrures absurdes de zèbre acrylique vraisemblablement, évoquant la savane et donc des gestes d’une force inouïe. Et elle sanglote, on ne sait pas, sur l’évocation inouïe de la savane, elle sanglote, elle n’arrête pas, on n’en saura rien, on ne sait pas qui c’est, qui ce peut être, ni pourquoi, pour quelle raison, ni quel chagrin, on ne saura pas ; on n’en saura rien, jamais pas un mot, mais elle sanglote, roulée en boule sur elle-même ; c’est pitoyable, on n’y peut rien. Elle sanglote, elle n’arrête pas, elle se roule en boule, comme un fœtus, elle sanglote, c’est une silhouette, rien d’autre, une forme humaine, assurément c’est humain ; elle sanglote, en position fœtale, une forme humaine qui sanglote, qui pleure, rien ne peut l’en détourner, rien ne l’en détournera, de ses larmes, de son chagrin, rien ne peut lui faire trahir son obstination dans le chagrin ; elle sanglote, elle n’a forme humaine que dans le chagrin, et son visage, dissimulé dans l’oreiller, refuse obstinément de toutes façons, de toutes façons il refuse de montrer son regard, d’ajuster son regard au monde.

On ne saura pas pourquoi. On ne peut pas l’interroger. On ne va pas maintenant entrer dans la chambre, lui poser la question, lui demander, lui faire avouer, ce qu’elle a qui n’est pas à elle, d’où lui vient ce chagrin qui n’est pas le sien, dont elle a pris une part, autour duquel elle s’est enroulée ; on ne lui demandera pas, on ne peut pas. Certainement elle se reproche, elle sanglote, et elle se reproche, sanglotante elle se reproche de sangloter et de ne savoir rien faire d’autre.

Alors le mieux est peut-être encore de la laisser tranquille. De la laisser pleurer. Parce qu’elle pleure sur l’absurde du monde. Elle est inconsolable. On ne la consolera pas. Le monde est absurde, elle a raison, alors autant qu’on la laisse pleurer tranquille. Jusqu’à ce que le sommeil l’emporte un peu plus loin, dans une zone plus calme de son chagrin. Il n’y a pas à l’en détourner. Laissons-là.

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