Chapitre 6 (deuxième partie)

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Juillet 1753

Voilà trois jours que les réjouissances sont achevées. Nous venons de marier Roy et Kayane et cela a donné lieu à une grande et belle fête, telle que nous n'avions pas pu en vivre depuis de longues années. Même le mariage d'Hugues et de Bethany n'avait pas offert autant de joie. La seule ombre au tableau est venue de Roy qui tenait à porter nos couleurs. Il a fallu à Kyrian une longue discussion pour lui faire admettre les risques que nous encourions tous s'il affichait ne serait-ce qu'un petit carré de tartan. Kayane lui parla également et il finit par se résoudre à ne pas revêtir le kilt, ni notre emblème. L'anneau qu'allait porter Kayane n'était pas gravé comme le mien. Iona et sa fille nous avaient rejoints au tout début de l'été et nous avions préparé la noce tous ensemble. C'était presque aussi joyeux que la noce elle-même et le bonheur de nos enfants était si beau à voir ! Qu'elle était émouvante, Kayane, du haut de ses seize printemps, dans sa robe blanche, avec son voile léger que nous avions orné avec des broderies évoquant la fleur du chardon. Mais nous avions pris soin que ces petits boutons de fil apparaissent bien neutres... Sir Walter Fleming, qui assista à la noce, n'y vit que du feu. En la voyant s'avancer vers l'autel, je n'avais pu m'empêcher de me souvenir de mon propre mariage et la main de Kyrian serrant fort la mienne m'avait prouvé que ses pensées étaient semblables aux miennes.

Nous avons laissé nos enfants partager leurs premières heures, et ce n'est que ce matin que Roy est revenu vers nous et que Kayane n'a pas tardé ensuite, les joues un peu roses, mais le regard brillant. Nous tenions à ce que la tradition soit respectée, de permettre aux jeunes époux de vivre en paix les premiers moments de leur union. Oh, bien entendu, Roy a fait quelques voyages à la cuisine au cours de ces jours durant lesquels nous ne les avons pas vus, me rappelant un peu l'escapade de Kyrian au petit matin de nos retrouvailles. Mais tout cela réjouit mon coeur de mère et Iona en est toute aussi heureuse. Je l'ai vue pleurer d'émotion quand Roy et Kayane ont échangé leurs vœux d'une voix claire et assurée : nul doute qu'elle pensait aussi à Caleb, mais le sourire n'a pas quitté son visage de la journée et j'en étais bien heureuse également.

Et les regards entre Tobias et Eilidh, tout au long de cette journée, ne m'ont pas échappé non plus et, déjà, je me dis qu'une nouvelle noce pourrait bien survenir prochainement, bien qu'Eilidh soit encore vraiment trop jeune, mais Tobias s'est mis à grandir depuis quelques mois et, comme Roy avant lui, il prend le chemin de devenir un homme.

Septembre 1753

Le grand chêne, dans la cour du château, s'est teinté ce matin de ses premiers ors, la brume recouvre presque à chaque aube le loch, et les pluies deviennent plus intenses depuis quelques jours, nous offrant cependant des accalmies magnifiques propres à l'automne qui s'avance. Les hommes s'activent à faire les dernières récoltes, à faucher les dernières céréales. En défrichant, au printemps, un nouveau carré de terre, Kyrian et Kyle ont trouvé de la tourbe et ont soigneusement entrepris de la faire sécher : elle pourra remplacer le bois si nous venions à en manquer, à la fin de l'hiver. S'il y a peu d'arbres autour du village d'Inverie, la rive sud du loch est mieux pourvue. Un temps, Kyrian a hésité à faire abattre certains petits bois, pour les transformer en champs et accroître ainsi les terres cultivables, mais il y a renoncé : il est tout aussi nécessaire d'assurer nos réserves de bois pour l'hiver que celles de céréales, de légumes, de viandes et de poissons. Depuis trois ans maintenant, nous voyons se développer aussi les va-et-vient sur le loch, entre nos deux rives, et notamment à l'embouchure qui offre une zone assez poissonneuse. De jeunes paysans se transforment ainsi en pêcheurs quand le travail de la terre nécessite moins de bras.

Malgré tous nos efforts, malgré toutes les réflexions et décisions de Kyrian, la disette demeure notre principale préoccupation. S'il n'y avait les taxes que la Couronne fait peser sur nous tous, sans doute que nous parviendrions à assurer la subsistance de nos villageois, mais, jour après jour, nous voyons la pauvreté se glisser dans les maisons, les visages s'émacier, les bras devenir moins vaillants. Plusieurs familles de la rive sud nous ont déjà quittés, au printemps dernier, pour rejoindre Glasgow ou même des ports anglais et partir vers l'eldorado des colonies. Kyrian a été impuissant à empêcher cela, mais si, en partant, ces familles ont pu conserver l'espoir d'une vie meilleure, elles ont aussi permis le maintien sur nos terres des autres.

En ce matin lumineux, Kayane est venue me trouver, après avoir parlé à sa mère. Elle est venue m'annoncer qu'elle attendait un enfant.

Maureen et Mummy échangèrent un sourire : malgré les difficultés du quotidien qu'Héloïse évoquait, les bonheurs de la vie étaient toujours présents. La noce de Roy et de Kayane avait donc donné lieu à de belles réjouissances et la venue de ce petit enfant en était une autre.

- Elle sera une bien jeune grand-mère, soupira Mummy. A cette époque, ce n'était guère étonnant.

- Oui, en effet, répondit Maureen. Nous allons donc guetter aussi cette naissance et le prénom de l'enfant de Roy, pour voir si cela nous aide pour l'arbre généalogique.

- J'espère qu'Ingrid et Henry pourront retourner bientôt à Edimbourg, car cela signifierait aussi que le papa d'Henry va mieux.

Maureen hocha la tête, compréhensive : le père d'Henry voyait sa santé décliner et il avait été hospitalisé dans la semaine qui avait suivi leur visite à Fort William. Les recherches concernant les ancêtres étaient donc bien entendu suspendues.

**

Avril 1754

Si Hugues et Bethany sont demeurés avec nous jusqu'à cet hiver, ils s'apprêtent maintenant à repartir vers Dalcross. La paix anglaise règne, les routes sont sûres. Toute manifestation de rébellion est sévèrement réprimée et ce, même au cours des dernières années. La défaite de Culloden demeure dans tous les esprits, dans ceux des Anglais comme dans les nôtres, mais il est impossible d'y changer quoi que ce soit. Nous devons tenir, survivre.

Ils vont donc nous quitter, au moins pour la belle saison. Même si Bethany a entretenu une correspondance régulière avec l'homme de loi chargé d'administrer les terres de son oncle, il est bon qu'elle y retourne. Elle va me manquer, et Hugues aussi, ainsi que les deux petites. Mais j'espère bien les revoir avant l'hiver.

Dès que le printemps s'est installé, les hommes sont retournés aux champs. Kyrian et Kyle ne sont jamais les derniers et Jennie et moi-même avons vu nos époux passer d'anciens soldats à paysans. Bien entendu, nous les avions déjà vus auparavant aider pour certains travaux, mais ce n'était pas leur lot quotidien. La seule différence entre nous et nos fermiers réside dans notre demeure : le château d'Inverie offre des commodités que l'on ne trouve guère dans les petites maisons des villages. Nous sommes ainsi bien mieux protégés des intempéries, mais il est impossible d'apporter la moindre amélioration au quotidien des autres familles, hormis aider quand cela s'avère nécessaire à réparer un toit, une porte. Et quand cela survient, c'est toujours vers Kyrian que nos gens se tournent. Dans leurs esprits, je le sais, il est toujours leur laird. Je peux le mesurer aussi à leur façon de s'adresser à lui, parfois de le regarder. Face à cette attitude, Sir Walter Fleming et ses Anglais ne peuvent rien : il n'y a là rien à reprocher, car à leurs yeux, il s'agit juste du comportement normal d'un propriétaire terrien avec ses gens et réciproquement.

- Ils ont eu beau jeu de réprimer, d'interdire le port du tartan, la cornemuse, etc..., fit remarquer Mummy. Dans les esprits, l'esprit clanique demeurait. Surtout quand l'ancien laird était toujours vivant et présent. J'imagine que sur Skye, ce fut un peu la même chose.

- Il aura fallu plusieurs générations pour effacer ce fonctionnement, et encore, soupira Maureen. Les traditions perdurent...

- Oui, dit Mummy, et si nos recherches nous permettent d'établir un lien véritable entre Kyrian MacLeod et nous-mêmes, alors les garçons pourront porter son tartan.

- Je suis certaine qu'ils en seront très heureux et très émus aussi ! sourit Maureen.

- Oui, je le crois, sourit Mummy en retour. Allons, continuons ! Il me tarde de voir Héloïse et Kyrian devenir grands-parents !

Et elle tourna une nouvelle page du journal.

Mai 1754

Malgré la fatigue et l'épuisement, je ne peux me coucher sans écrire quelques mots. Leathan est né ce soir, après plus d'une journée de travail pour sa mère. Kayane nous a donné un petit-fils et mon cœur s'en réjouit. Roy était très fier lui aussi et Iona très émue, surtout quand Roy lui a dit que le deuxième prénom de Leathan serait Caleb, si elle l'acceptait, ce qui fut bien entendu le cas. Mon fils m'a fait savoir qu'il aurait aimé donner à son garçon le prénom de Caleb, mais que Kayane avait refusé, car elle craignait que cela ne ravive de trop douloureux souvenirs pour sa mère et pour elle-même. Mais Caleb ne sera pas oublié et ce choix du deuxième prénom est très judicieux.

Leathan est un beau petit bébé, déjà bien costaud comme l'était son père à sa naissance. Il porte un fin duvet blond, comme les cheveux de sa mère. Peut-être se teindront-ils de roux en grandissant... Clarisse, Iona, Jennie et moi-même avons assisté la future mère depuis la fin de nuit dernière, alors que les hommes s'occupaient de Roy, que Tobias et Marie veillaient sur les plus jeunes, assistant ainsi Madame Lawry. Quand elle a vu Leathan, elle en a été très émue et mon cœur se serre en me demandant s'il sera le dernier petit bébé qu'elle verra naître.

Quand Kyrian a pris son petit-fils dans ses bras, un moment ce soir, j'ai pu percevoir aussi son émotion et sa fierté. Ainsi, nos terres ne seront pas sans avenir.

- Alors voilà, dit Mummy. Un petit-fils...

- Le fait qu'ils aient ajouté le prénom de Caleb renforce les liens avec la famille de Skye, fit remarquer Maureen. Caleb était le frère de Manfred, celui qui est mort à Culloden.

- Oui, tout à fait, dit Mummy en hochant légèrement la tête.

Maureen était en train de noter le prénom de l'enfant, dans la liste qu'elle avait établie, ainsi que sa date de naissance. Leur lointain ancêtre était-il cet enfant ? Pour l'heure, elles n'avaient aucune certitude.

En rentrant de l'école, le soir-même, les enfants furent enchantés d'apprendre que la descendance de Kyrian et d'Héloïse avait été assurée. Et eux aussi s'interrogeaient sur le nom de leur aïeul...

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