Chapitre 7 (première partie)

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Juillet 1755

L'après-midi était déjà bien avancé quand Kyrian et Tobias sont revenus, seuls. Tobias s'était rendu jusqu'à la cuisine où nous nous activions pour venir me chercher, ainsi qu'Eilidh. Il lui avait pris la main d'un air serein. Elle était encore craintive, marquée par ce qui était survenu la veille, mais elle lui avait rendu son regard avec confiance. Nous avions tous gagné le bureau de Kyrian. Ce dernier me fit sourire, car il avait encore quelques brins de paille dans les cheveux, que je lui ôtai discrètement avant qu'il ne s'assoie dans son fauteuil. Je lui trouvai un petit air fatigué, mais surtout soucieux et grave. Il fit un simple geste en direction de son fils pour l'inviter à parler.

Tobias se tenait bien droit, sa main n'avait pas lâché celle d'Eilidh. Il me sembla alors que mon fils avait encore grandi, à se tenir ainsi. Pourtant, il n'avait pas encore atteint sa taille d'homme, si toutefois il faisait comme son aîné. Eilidh paraissait petite à ses côtés, mais son regard était empli de courage. Ils avaient pris une décision, tous les deux, j'en étais certaine et même si je me doutais un peu de ce dont il s'agissait, je sentais cependant mon cœur se serrer et battre plus vite qu'habituellement. Je ne pouvais m'empêcher d'éprouver une émotion bien particulière.

Car même si je m'attendais aux mots que Tobias allait prononcer, je fus cependant émue de l'entendre demander à son père la possibilité d'épouser Eilidh. Ils sont encore si jeunes ! Bien plus que Roy et Kayane lorsqu'ils se marièrent, du moins pour Eilidh, car Tobias fêtera ses dix-sept ans à l'automne. Kyrian ne répondit pas de suite, il noua ses mains entre elles et me jeta un regard. Je lui ai répondu, en hochant simplement la tête. Le risque était grand de voir nos filles devenir la proie des soldats anglais et je songeais aussi à Lowenna et à Marie, même si cette dernière possédait une telle force de caractère qu'elle était bien capable de les repousser d'elle-même. Sans compter qu'elle savait très bien manier le sgian dubh...

- Soit, avait dit Kyrian. Mais Eilidh est trop jeune... J'accepte des fiançailles, mais...

- Papa ! Si Eilidh devient ma femme, ils n'oseront pas la toucher ! s'était exclamé Tobias.

- Nous verrons d'ici l'automne, avait répondu son père. En attendant, elle ne quittera pas seule le château, de même que ta sœur. Tu es d'accord, Eilidh ?

Elle avait acquiescé : je savais bien, la pauvre enfant, qu'elle n'aurait plus du tout envie de se risquer hors de nos murs sans être accompagnée d'au moins un des hommes de notre famille.

Et il fut ainsi décidé de les marier avant la fin de l'année si, du moins, Eilidh devenait pubère d'ici là. Sinon, nous attendrions dans le courant de l'hiver. Nous organisâmes cependant des fiançailles, en bonne et due forme, en présence de Sir Fleming, afin de bien faire savoir aux Anglais que nous assurerions toujours la protection de nos filles. Lorsque nous annonçâmes notre décision à toute la famille, je vis bien le soulagement apparaître dans les yeux de Jennie : le risque que nos jeunes filles couraient lui rappelait de bien trop pénibles et douloureux souvenirs...

- Que d'éléments dans cette journée ! s'exclama Mummy. J'étais bien curieuse de reprendre la traduction pour découvrir ce qu'il allait advenir. J'étais inquiète pour la petite Eilidh...

- Moi aussi, soupira Maureen. Les enfants ne sont pas arrivés au bon moment hier, ajouta-t-elle dans un sourire. Mais vous avez raison : nous avons là encore beaucoup d'éléments intéressants. Et je m'interroge sur ce que Jennie a pu vivre... Croyez-vous qu'elle ait subi des violences ou des embêtements de la part de soldats quand elle était plus jeune ?

- C'est à craindre, soupira Mummy. Je me souviens combien ma propre mère était inquiète de me voir aller jusqu'à l'hôpital de campagne, avec tous ces soldats qui traînaient dans le coin... Elle tenait toujours à ce qu'Eric vienne avec moi, même si, à y repenser, il était encore si jeune et chétif qu'il n'aurait pas pu empêcher grand-chose. Heureusement que Steven a vite fait comprendre aussi qu'il ne fallait pas m'embêter... Mais si j'avais confiance en lui et dans les soldats anglais, il n'en allait pas de même avec les Américains...

Maureen hocha la tête. Elle écoutait toujours Mummy avec beaucoup d'attention et d'intérêt quand celle-ci évoquait ses souvenirs. Elle parlait souvent de Steven, plus rarement de la guerre.

- Toujours est-il qu'Héloïse avait bien imaginé... Son deuxième fils ne va pas tarder non plus à se marier, fit remarquer Maureen.

Et elle nota les indications apportées par Héloïse concernant les dates du futur mariage, mais aussi les questions qu'elles étaient maintenant amenées à se poser sur le passé de Jennie.

Octobre 1755

Après un printemps humide et un été court, mais chaud, l'automne tarde à venir. Nous en profitons pour engranger des provisions, les récoltes s'annonçant finalement plus belles que ce que laissait présager le printemps. Ce matin, Eilidh est venue me trouver, et j'ai craint un souci tant elle m'est apparue fragile. Elle m'a annoncé qu'elle avait saigné cette nuit et je l'ai rassurée. J'avais déjà eu à faire de même pour Lowenna, mais je me réjouissais aussi de cette nouvelle : nous allions pouvoir songer à la marier avec Tobias. Quand elle m'a quittée, je l'ai vue sortir et rejoindre Tobias qui travaillait dans le potager. Et si, de la fenêtre, je n'ai pu entendre ce qu'ils se disaient, j'ai néanmoins été très émue de voir mon fils la prendre dans ses bras et l'embrasser tendrement.

Décembre 1755

C'est donc un peu plus de deux ans après le premier, que nous marions notre deuxième fils en ce froid jour d'hiver. Les deux futurs époux ne semblent pas craindre le vent glacial qui se glisse sous les portes, ni le ciel bas et gris qui se charge déjà de neige. Tout comme pour Kayane, nous avons réalisé une belle robe blanche pour Eilidh, et il n'y eut guère de discussions entre Tobias et son père au sujet du port du tartan. Tobias avait bien conscience qu'il n'était pas bon d'afficher nos propres couleurs. Mais je n'ai pu m'empêcher, tôt ce matin, avant d'aider Eilidh à s'habiller, d'ouvrir la malle contenant les tartans de Kyrian et de les regarder un moment. Je n'ai pu m'empêcher aussi de les soulever et de vérifier que son pistolet y était toujours bien caché et en bon état : je sais que Kyrian l'entretient régulièrement. Ce ne fut pas sans émotion que je caressai les lourdes étoffes, me demandant bien si, un jour, nous pourrions les porter à nouveau, si, un jour, un de nos hommes pourrait les afficher avec fierté, sans craindre pour sa vie. Ma main passa et repassa sur les carreaux sombres soulignés d'un trait rouge. La laine était encore un peu rêche sous mes doigts, car ce premier vêtement n'avait pas été porté du tout. Je finis par refermer la malle avec soin, avant de rejoindre Eilidh dans la chambre des filles.

- Oh, oh, fit Mummy. Ce pistolet est peut-être le même que celui que nous avons trouvé dans la malle !

- C'est possible, en effet, répondit Maureen. Je vais noter cette indication. Peut-être qu'Héloïse précisera des détails à ce sujet ultérieurement. Quant aux tartans... Il y a fort à penser qu'il s'agit des mêmes que ceux que nous avons retrouvés... La façon dont Héloïse en parle m'incite aussi à penser que c'est Kyrian qui a créé ce tartan. Qu'en dites-vous, Mummy ?

- On peut le supposer, en effet, même si ce n'est pas très clair. Surtout quand elle dit "nos propres couleurs". Roy aurait déjà voulu les porter pour son propre mariage, Héloïse en reparle ici...

Mais si nous marions Tobias et Eilidh en plein hiver, cette noce apporte chaleur et joie dans les cœurs de tous. Néanmoins, notre fils et notre bru nous ont réservé une surprise, car avant que le prêtre ne les unisse, Roy et Gowan se sont avancés à leurs côtés pour nous faire part de certaine nouvelle. Tobias et Eilidh s'étaient déjà unis en secret, selon la loi écossaise permettant le mariage sans passer devant un prêtre, pourvu que des témoins soient présents. Et Roy et Gowan avaient été ces deux témoins. Je ne doute pas cependant que Tobias se soit montré respectueux et patient vis-à-vis de sa jeune compagne. Je sais qu'il a juste voulu la protéger.

Contrairement à ce que nous avions fait pour Roy et Kayane, la fête n'a pu se dérouler dans la cour du château, mais dans la grande salle. Nous avons dû réduire le nombre d'invités, et même si nous avions pu prévenir Manfred et Ana de cette union, aucun de nos cousins et amis de Dunvegan n'a pu être présent, de même qu'Hugues et Bethany qui demeurent à Dalcross plus longuement que prévu. Des lettres nous sont cependant parvenues, apportant des vœux sincères et chaleureux de nos proches. Fillan nous a également fait savoir qu'il se réjouissait pour sa sœur et espère pouvoir nous rendre une petite visite au printemps.

Oui, la joie était de retour dans nos cœurs, à voir le bonheur de nos enfants. Je n'ai jamais douté, du jour où il fit sa connaissance, que Tobias épouserait un jour Eilidh. De ce jour où j'arrivais avec elle et son frère à Dunvegan, il n'a cessé d'être proche d'elle, et elle de lui. Ce qui s'apparentait à un amour fraternel n'était que les prémices d'un amour sincère et profond, et je peux voir, à l'éclat bleuté qui ne quitte pas en ce jour le regard vert de mon fils, qu'il est profondément heureux. Quant à Eilidh, le regard gris d'amour et d'adoration dont elle enveloppe Tobias à chaque instant est la preuve irréfutable des sentiments qu'elle éprouve pour lui. Les voir si heureux réjouit mon cœur de mère, une fois de plus.

- Et bien ! s'exclama Maureen. Quelle nouvelle ! Eilidh serait donc la sœur de Fillan... Nous qui nous demandions d'où elle venait... Mais comment sont-ils arrivés jusqu'à Inverie ? Alors qu'ils sont issus du clan MacDonald de Glencoe et que Fillan s'est trouvé à Glendessary... Il y a là un grand mystère qu'Héloïse ne nous aide pas à élucider.

- C'est exact, dit Mummy. Je crains cependant que nous ne puissions avoir de réponses à toutes les questions que son journal suscite, même si nous parvenons à en résoudre une grande partie.

- Oui, déjà d'avoir pu identifier à peu près toutes les personnes qu'Héloïse cite, les liens qu'elle avait avec elles, et placer aussi les liens familiaux n'était pas une mince affaire, mais je pense que nous avons réussi, sauf erreur...

- Tout à fait, ajouta Mummy avec assurance.

**

- Tu sais que j'ai découvert un petit détail qui va te plaire, dit Maureen à Mickaël alors qu'il la tenait étroitement enlacée.

- Hum, lequel ? murmura-t-il en réponse à son oreille tout en en profitant pour l'embrasser dans le cou.

- Eilidh, la femme de Tobias, avait les yeux gris.

Maureen sentit Mickaël sourire avant que son souffle ne lui caresse l'épaule.

- Il avait vraiment très bon goût, Tobias...

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