Premier épilogue

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L'automne étendait doucement, presque insidieusement, ses lumières et ses ombres sur les Highlands. Après un été bien occupé et une belle saison pour Sam et Mickaël, ces derniers n'étaient pas mécontents de pouvoir souffler un peu, même si septembre apportait encore son lot de touristes.

En ce lundi, après avoir déposé les enfants à l'école, Mickaël et Maureen prirent la route pour Inverie. Ils se l'étaient promis, depuis un bon moment déjà, mais avaient dû attendre que l'école ait repris pour envisager cette escapade. Ils ne rentreraient peut-être pas très tôt le soir, mais qu'importe. Un repas était prêt, Mummy n'aurait qu'à le faire réchauffer et Killian et Ewan étaient assez grands et costauds pour aider leur aïeule à se coucher. Néanmoins, Maureen et Mickaël pensaient revenir suffisamment tôt à la maison pour que les garçons n'aient pas à soutenir Mummy.

Ils passèrent par Glenfinnan, s'arrêtèrent un moment auprès du monument rappelant que c'était le lieu où s'était tenu le grand rassemblement des forces jacobites, à l'appel de Charles Stuart. Puis ils traversèrent les montagnes et arrivèrent en vue du loch Nevis. Les eaux étaient toujours aussi bleues que du temps d'Héloïse et Kyrian, la presqu'île le fermant comme une petite mer. Sur leur droite, au nord, s'élevait le Sgurr Coire Choinnichean, la montagne protectrice d'Inverie.

Mickaël gara la voiture sur le petit parking de l'embarcadère : un bac assurait en effet la traversée du loch, évitant ainsi un très long détour aux personnes vivant sur les deux rives, ou à celles venant de Mallaig pour se diriger vers le nord, ou inversement. Un bac était parti peu de temps auparavant et ils pouvaient le voir s'éloigner vers la rive sud, laissant un long sillage derrière lui.

Le village d'Inverie était maintenant un tout petit village, quelques maisons blotties près du port, une vieille bâtisse transformée en hôtel, deux pubs, une maison d'hôtes.

Et les ruines d'un château s'élevant un peu en hauteur, sur les flancs de la montagne.

- C'était là, dit Mickaël en désignant le château. Veux-tu qu'on aille y voir ?

- Nous sommes venus pour cela, dit Maureen en lui souriant.

Mickaël lui prit la main et ils entamèrent alors la promenade, sur un petit chemin à peine goudronné qui semblait vouloir se perdre dans la montagne. La distance n'était pas longue, mais, en se retournant avant d'arriver, Maureen put constater qu'ils étaient déjà plus haut que les rives. La vue était dégagée et ils pouvaient admirer l'ensemble du loch et voir très nettement la rive en face.

Ils marquèrent un temps d'arrêt avant de franchir l'entrée, encore définie par les deux piliers de pierre. Mais le mur entourant la cour était rongé par le lierre et les ronces, laissant apparaître par endroits quelques pierres grises et blanches, bien ajustées. Maureen et Mickaël échangèrent un regard et pénétrèrent dans la cour. Sur leur gauche s'élevait un chêne magnifique, multi-centenaire. Il semblait être comme un ancêtre bienveillant, protégeant de ses longues branches aux feuilles d'un vert très sombre, à peine teintées de roux, la cour et le château.

La bâtisse, en ruines, se dressait cependant encore majestueuse, sur leur droite, comme semblant jeter un défi au temps et aux hommes. Si une partie du toit était effondrée, que les fenêtres et portes avaient été barricadées pour que personne n'entre et ne risque un accident, on pouvait encore y imaginer la vie qu'elle avait abritée. Un instant, Mickaël ferma les yeux, crut entendre les rires des enfants, les appels de leurs mères, le martèlement des sabots d'un cheval sur les grandes dalles de la cour qui se devinaient toujours entre les touffes d'herbes.

Quand il rouvrit les yeux, il vit que Maureen s'était avancée un peu et se tenait face à la porte d'entrée. Elle s'imprégnait du lieu, imaginant elle aussi Kyrian, Héloïse, les enfants, Kyle, Jennie, et tous ceux qui les avaient entourés, vivant là, allant et venant, et, parfois, s'arrêtant pour contempler la vue. Elle s'interrogeait de savoir à quelle pièce correspondaient les fenêtres, et se souvenait parfaitement que la chambre d'Héloïse et de Kyrian devait donner sur le pignon, car elle avait décrit à plusieurs reprises dans son journal la vue qui s'en dégageait, dont la presqu'île qu'elle pouvait voir. Maureen se retourna pour fixer le loch, se déplaça un peu comme pour trouver l'exact endroit d'où Eilidh aurait pu le dessiner si elle s'était installée dans la cour.

La voix de Mickaël résonna un peu étrangement :

- Je ne sais pas depuis combien de temps c'est abandonné. Il est possible que des gens aient vécu là jusqu'à la guerre, fit-il remarquer. Mais entretenir un tel lieu est difficile. Comme pour beaucoup de châteaux de notre pays, c'est une charge financière énorme.

Maureen agréa.

- C'est plus grand que je ne l'imaginais, dit-elle.

Mickaël hocha la tête.

Ils firent le tour de la cour, l'arrière de la bâtisse n'était pas accessible car envahi par les ronces. En sortant, Maureen proposa de monter un peu plus car le chemin était dégagé. Elle avait aussi promis à Mummy et aux enfants de faire quelques photos, mais elle comptait bien ramener un jour toute la famille ici-même. Au bout de quelques centaines de mètres, ils furent plus haut que le château, sa masse sombre se découpant sur le ciel et le loch. Mickaël s'arrêta pour contempler la vue et se dit : "Maintenant, je comprends pourquoi j'aimais autant cet endroit, même si je n'y suis pas venu souvent. Quelque chose m'appelait ici, quelque chose en moi vient d'ici. A jamais."

Maureen, elle, regardait autour d'eux, s'imprégnant de l'ensemble des lieux, devinant encore les contours des champs et des reliefs irréguliers sur le sol, sans doute des endroits où les résidents avaient extrait de la tourbe. En portant son regard sur sa gauche, elle vit comme un muret délimitant une parcelle. Intriguée et poussée par une intense intuition, elle s'y dirigea. Mickaël n'avait pas encore remarqué qu'elle n'était plus juste derrière lui.

Une ouverture se devinait dans le mur, comme l'entrée d'un champ qui n'aurait été fermé par aucune barrière. Seules quelques herbes folles barraient le passage, mais il n'était pas difficile de les franchir, ce que Maureen fit sans hésitation. Un sourd battement et comme un appel étrange résonnaient en son cœur.

Et elle se retrouva au milieu d'un petit cimetière à l'abandon. Plusieurs tombes se trouvaient là, couvertes de mousses et de lichens. Quelques ajoncs avaient poussé le long du mur, au sud. Des touffes d'herbes grasses envahissaient l'espace entre les sépultures. Elle resta un moment immobile, regardant les tombes tour à tour. Puis, d'un pas assuré, elle se dirigea vers l'une d'entre elles et s'agenouilla devant la pierre dressée. Une touffe de chardons poussait sur le côté. Des lettres gravées s'y lisaient encore assez bien, même si la mousse et les lichens les recouvraient en partie. Du bout du doigt, elle en gratta quelques-unes pour déchiffrer les lettres. Puis elle s'arrêta et appela :

- Mickaël !

La voix de Maureen, forte et teintée d'émotion, le fit sortir de sa contemplation rêveuse. Il se tourna, la chercha, ne la vit pas. Il fit cependant quelques pas sur le chemin, sachant pertinemment qu'elle n'était pas repassée devant lui. A son tour, il remarqua le muret et les herbes couchées par le passage de Maureen. Il les franchit et la vit, agenouillée devant une tombe, la main posée sur la pierre grise. L'entendant arriver, elle tourna son visage vers lui. Il était couvert de larmes. Il s'avança rapidement jusqu'à elle et posa sa main sur la sienne, qui reposait toujours sur la pierre.

Elle prit une profonde inspiration et dit :

- C'est la tombe... d'Héloïse et de Kyrian.

Il la fixait avec intensité. Sous ses doigts, la main de Maureen tremblait, cachant encore quelque chose. Il reporta son regard vers la pierre et lut aisément les noms de Kyrian et Héloïse. Puis, doucement, il souleva la main de Maureen et découvrit alors la date de leur décès.

**

Le vent venant du large s'était levé et les cheveux longs de Maureen se soulevaient en vagues légères. Assis sur des rochers, côte à côte, se tenant par la main, les doigts enlacés, Mickaël et sa femme regardaient la vue qui s'offrait à leurs yeux. Ils étaient redescendus de la montagne et avaient marché tranquillement le long du loch, traversant le village pour aller jusqu'à la grève. Vers le couchant, la presqu'île formait une masse un peu sombre, à contre-jour. Les eaux du loch étaient en train de changer de couleur, leur bleu devenant plus sombre et se teintant de nuances propres au courant.

Sans le savoir, ils s'étaient rendus à l'endroit-même où Kyrian avait offert la bague de Soa à Héloïse, pour son vingtième anniversaire et où, le matin du mariage de Roy, il s'était tenu, seul, à contempler les lieux.

Maureen était encore bouleversée par ce qu'ils avaient découvert. Son cœur battait un peu vite quand elle sortit de sa poche un petit étui de feutre d'où elle dégagea l'alliance d'Héloïse. Dans la douce lumière de la fin d'après-midi, les chardons semblèrent s'animer comme s'ils avaient voulu sortir de leur anneau d'argent. Elle la fixa un moment, la bougeant légèrement pour faire encore plus ressortir à la lumière les petites fleurs gravées. Mickaël passa un bras protecteur autour de ses épaules et dit :

- Ils ne pouvaient survivre l'un sans l'autre.

- Tu crois qu'ils sont morts de mort violente ? demanda Maureen alors que sa voix s'étranglait.

- Non. Je pense plutôt qu'ils sont partis ensemble. La région était calme, il n'y avait pas de raison qu'ils soient attaqués ou pris à parti. De plus, la tombe que nous avons vue a été réalisée avec beaucoup de soins, gravée aussi soigneusement. Cela signifie que leurs proches ont pu les enterrer sans précipitation, en apportant toute l'attention requise.

- Oui, tu as raison, soupira Maureen, puisqu'on y voit même une fleur de chardon gravée...

- Nous veillerons sur eux... lui dit Mickaël en caressant son épaule comme pour la réconforter. Et nous étudierons aussi les autres pierres tombales, pour référencer celles que nous pourrons identifier. Les parents de Kyrian reposent peut-être là. De même que Jennie et Kyle, voire leurs enfants.

- Oui, tu as raison. C'est important de le faire, aussi. Mais, pour le moment, je ne me sens pas le courage de retourner là-haut...

- Je le comprends. Moi non plus...

Et il se tut, regardant le loch tout en savourant la présence de Maureen à ses côtés.

Puis son regard se porta au loin, dans la direction de Fort William. Le vol lent de grands oiseaux passa au-dessus d'eux, se dirigeant vers l'est. Comme Kyrian avant lui, il devinait, dans la brume vespérale, le sommet du Ben Nevis. Puis il frissonna. Il sentait comme une présence, dans son dos, mais son intuition lui disait de ne pas se retourner, qu'il ne verrait personne. Seul un esprit, peut-être plusieurs, pouvait être là, avec eux. Et c'était à eux de les imaginer, de leur redonner vie, pour un instant.

Il saisit alors la main de Maureen, lui prit la bague et la tendit vers le ciel. Maureen le regarda faire, un peu interdite. Et Mickaël dit simplement :

- Vous êtes notre passé, émergeant d'au-delà des brumes. Nous sommes votre avenir : nous porterons vos couleurs et la fleur de chardon, toujours, sera en nos cœurs.

Et il passa simplement l'anneau au doigt de Maureen, comme une nouvelle alliance.

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