Chapitre 3

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La gare de Thorgard était déjà bien remplie à cette heure-ci de la journée. De nombreuses personnes allaient et venaient en prenant les trains dits transcités qui selon Louise étaient des fleurons de technologies, le meilleur exemple du savoir faire des cités libres. Victor n’avait jamais rien de semblable dans ses souvenirs. La gare était un immense hall dont le plafond était constitué en alternance de large vitre et de poutre en métal pour soutenir le tout. Le plafond s’étendait sur des mètres hauts dessus de sa tête. La hauteur permettait au train de venir jusque dans ce hall et de repartir. Et bon sang, qu’ils étaient impressionnants pour Victor. L’avant des trains était toujours le même ; une imposante structure de fer noircit qui ne laissait entrevoir qu’une minuscule fenêtre : là où conduisaient les chauffeurs. À l’avant de cette locomotive, une puissante et imposante cheminée recrachait parfois la fumée teintée de vert, résultant de la combustion de l’éther. Le reste du train était composé de plusieurs voitures chacun comportant un nombre suffisant de fenêtres pour permettre aux voyageurs de profiter du voyage. Et à la toute fin, d’immenses wagons complètement hermétiques et hauts permettaient le transport de marchandises, y compris des méchanicus. Ces trains incroyables reliaient chaque grande ville de la région, et permettaient de se rendre en un temps record à l’autre bout de la région, et en toute sécurité. Louise semblait complètement admirative de cette technologie. Elle regardait avec des étoiles dans les yeux telle une enfant le ballet des trains qui venaient et repartaient. Elle tenait contre elle sa petite valise contenant le nécessaire pour son voyage. Au bout de quelques secondes, elle se tourna vers Victor en lui adressant un grand sourire :


« Je te remercie de m’avoir conduite à la gare.

— Je t’en prie, c’était le minimum que je puisse faire.

— Ne te sent pas redevable envers moi Victor. »


Il se contenta de hausser les épaules avec un petit sourire. Bien sûr qu’il se sentait redevable envers elle. Elle avait probablement sauvé sa vie, elle l’avait aidé, et recueillit, évidemment, qu’il lui était redevable.


« Hum, Victor. »


Louise parut soudain gênée. Elle triturait l’anse de sa valise nerveusement dans sa main. Son regard était devenu fuyant et Victor crut même voir quelques rougeurs apparaître sur ses joues.


« Lorsque tu auras vu le professeur, s’il te plaît, appelle-moi. »


Elle tendit un petit morceau de papier où un numéro avait été griffonné à la va-vite avec un stylo.


« C’est le numéro de l’hôtel.

— Je le ferais, sans faute.

— Super. »


Louise s’apprêta à dire quelque chose, mais le sifflement du train l’interrompit. Elle se rendit compte qu’elle n’avait plus beaucoup de temps pour monter dans le train avant que celui-ci ne quitte la gare. Elle adressa un au revoir bref à Victor et sauta dans le train. Ce dernier regarda partir le train dans un vacarme assourdissant alors que l’éther brûlait à l’intérieur de la cheminée. Il avait désormais une certaine boule au ventre. Il se sentait affreusement seul tout d’un coup dans cette grande et froide ville sans elle.

Son dernier espoir de retrouver totalement sa mémoire était le professeur Wright, que lui avait conseillé Louise. Un érudit vivant en dehors de Thorgard. Suivant les indications données par Louise, il quitta Thorgard par la porte est et suivit une route qui passa au milieu de la chaîne de montagnes qui enclavait la ville du reste de la région. La route était escarpée et son revêtement n’était que de la poussière tassée par les allées et venues incessantes des personnes qui l’empruntait. Victor était bien heureux d’avoir son mécha pour traverser même s’il commençait à crachoter un peu plus à chaque kilomètre. Au bout d’une heure, il vit au loin l’objet de son voyage : un lac à l’eau bleu turquoise. Au bord de ce petit lac, trois petites bâtisses seulement avaient élu domicile, et rien d’autre ne se trouvait à des kilomètres à la ronde. Il faut dire que plus loin, ce n’était rien qu’une forêt vierge dense et sauvage. C’était ici que le professeur Wright s’était reclus avec ses enfants selon les dires de Louise. Il lui fallut presque une demi-heure pour arriver aux abords du lac. Une fois un peu plus proche des habitations, son regard fut attiré par deux hommes qui bricolaient une machine qui intriguait vivement Victor. Sa structure faisait penser à un méchanicus avec ses deux grosses jambes, mais ses bras ne ressemblaient en rien à ce que Victor avait pu apercevoir depuis sa venue. S’il conservait des mains comme toute autre machine, ses avant-bras ne comportaient pas les mêmes pièces que d’habitude. À la place du coffrage de protection, une immense plaque en métal d’un bon mètre de longueur partait de façon perpendiculaire pour créer une sorte d’aile d’oiseau.

Mais qu’est ce que c’est que ce truc ?

Victor était plus que perplexe sur le but de cette création. Curieux, il s’avança vers ce qui semblait être les deux créateurs de cet engin. Il fit seulement quelques pas, et les deux hommes se tournèrent ensemble vers lui, alertés par le boucan que produisait le mécha de Victor. Sentant les deux regards intrigués sur lui, Victor coupa le moteur, et sa voix balbutia à cause de la gêne :


« Hum, bonjour… »


L’un des hommes, le plus grand lui adressa un grand sourire. Il releva sa paire de lunettes de protection qui fit rebiquer certaines de ses longues mèches noires :


« Bonjour ! s’exclama-t-il. On peut vous aider ?

— Je suis juste curieux, concéda Victor, qu’est ce que vous faites ?

— Ça mon gars, c’est le futur ! Nous serons les premiers à créer le méchanicus volant !

— Volant ?

— Ouai, mon gars. Rien ne sera impossible une fois qu’on aura réussi à apprivoiser les cieux ! »


Voler. Atteindre le ciel en poussant juste une commande. Victor en avait des étoiles dans les yeux rien que de penser à cette idée. Il trouvait déjà les méchanicus incroyables dans leur conception, mais si en plus ils pouvaient voler…


« Et ça marche ? demanda Victor avec beaucoup d’intérêt. »


Les deux hommes parurent aussitôt gênés. Le plus grand passa sa main dans sa barbe noire fournie et lâcha d’une voix à peine audible :


« Non pas trop…

— Pas encore, rectifia l’autre créateur, on va trouver une solution ! Et ce jour-là, le monde retiendra la découverte des frères Wright !

— Wright ? Comme le professeur Wright ?

— Oui, nous sommes ses fils, reprit le plus grand, je suis Oscar, et lui, c’est mon petit frère, William.

— Je dois voir votre père. »


Oscar fronça ses épais sourcils noirs. :


« C’est pour quoi ? »


Le visage d’Oscar était soudainement devenu plus sombre. Et d’un coup, sa grande carrure et ses muscles lui donnaient un air menaçant. Sentant que la situation pouvait lui échapper, Victor leva les deux mains puis il prit une voix douce dans l’espoir d’apaiser quelque peu les esprits :


« Je viens lui demander conseil, c’est Louise VanDyke qui m’a dit devenir ici.

— Oh ! »


Il sourit de nouveau comme si le nom de Louise avait suffi à calmer son ardeur et désigna une immense bâtisse toute en hauteur à quelques mètres. Il éteignit pour de bon son méchanicus le rangeant ainsi dans sa position agenouillé puis il fit les quelques mètres qui le séparaient à pied de la maison. Une fois devant la porte, il arrangea comme il pouvait ses vêtements bien que ces derniers n’avaient pas vraiment aimé leur dernier séjour dans l’eau. Il réajusta aussi ses courts cheveux blonds dans l’espoir vain d’avoir l’air plus présentable :

Si seulement j’avais de quoi acheter de nouveaux vêtements, je fais vraiment souillon…

Il prit une grande inspiration, puis il frappa à la porte. Son estomac se noua de plus belle alors qu’il entendait du bruit de l’autre côté. Et s’il ne pouvait rien pour lui ? Et si Louise lui avait donné de faux espoirs ? Qu’allait-il faire après ? Il n’avait rien. Il n’était rien dans cette contrée.

La porte s’ouvrit dans un grincement mettant fin à ses interrogations internes. C’est un vieil homme qui lui ouvrit. Il était plus petit que Victor, sa taille n’était pas aidée par son dos qui s’était courbé avec le temps. Cela l’obligea à lever la tête pour voir son visiteur. Il plissa ses deux petits yeux verts dans l’espoir de voir un peu plus nettement le visage de Victor. Il réajusta ses lunettes sur son nez et lâcha dans un grognement :


« Qu’est-ce c’est ?

— Hum, bonjour, je me présente : Victor Speckman et —

— Je ne suis pas intéressé, lâcha-t-il d’une voix ferme. »


Il commença alors à refermer la porte sur Victor. Le jeune homme posa son pied dans l’entrebâillement de la porte afin de la bloquer. Le professeur Wright lui lança un regard noir et s’apprêta à lui répondre quand Victor prit les devants :


« S’il vous plaît, implora le jeune homme, Louise m’a dit que vous pouviez m’aider.

— Louise ?

— Louise VanDyke. »


Le professeur le regarda longuement puis dans un nouveau grommellement incompréhensible, il ouvrit la porte avant de repartir vers sa pièce à vivre :


« Fermez derrière vous, ordonna-t-il à Victor. »


Victor poussa un soupir de soulagement puis s’exécuta en silence. Il suivit le professeur jusqu’à l’immense salon de ce dernier. La pièce était immense et haute de plafond. Elle était tellement encombrée de diverses choses que Victor ne savait plus où regarder : des maquettes en bois qui pendait du plafond, des pièces de mécaniques, des instruments. Tout était éparpillé dans cette pièce et il était difficile de se déplacer tant le sol était encombré.


« Alors c’est pour quoi ?

— Je souffre d’amnésie, Louise m’a dit que vous pouviez m’aider. »


Le visage du professeur s’adoucit quelque peu. Il prit place dans un immense fauteuil en cuir qui se trouvait dans la pièce, le seul qui était encore accessible. Il enleva sa paire de lunettes et frotta doucement ses yeux fatigués avec ses mains :


« Je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider, jeune homme, répondit le professeur, j’ignore pourquoi Louise vous a envoyé à moi.

— Elle semblait dire que rien ne vous était inconnu.

— J’ai quelques connaissances, mais certaines choses sont encore obscures pour moi. Vous semblez au moins vous souvenir de votre nom.

— Quand Louise me l’a dit, c’est revenu dans ma mémoire, comme une évidence. Mais au-delà de ça je ne me souviens que du naufrage de mon bateau.

— Oh, vous étiez dans le Condor ?

— Vous le connaissez ? s’exclama-t-il, vous avez des nouvelles sur lui ? »


Le professeur Wright se releva difficilement de son fauteuil. Il fit quelques pas en direction de sa table, puis au milieu du bric-à-brac, il récupéra un journal qu’il tendit quelques secondes plus tard à Victor. Ce dernier prit le journal daté de la veille, la Voix Libre. Un gros titre en gras était visible sur la une du journal :

NAUFRAGE D’UN NAVIRE TRANSPORTANT DES MÉCHANICUS

Une photo en noir et blanc montrait l’épave du bateau éventré et échoué près d’un port. En lisant en diagonale les informations, Victor put voir qu’il s’agissait du port de la Baie de Lotan. Sans doute une cité libre aussi. Il continua rapidement à lire les informations lorsqu’une en particulier lui glaça le sang :


« Aucun survivant, murmura-t-il.

— Plus maintenant, corrigea Wright.

— Où se trouve la Baie de Lotan ?

— C’est plus loin au nord, près de la côte. Il faut traverser le désert de Sham’ra pour se rendre là bas. C’est l’immense port commercial des Cités Libres. »


Victor resta un instant à contempler la photo en noir et blanc de l’épave. Il était donc le seul survivant du naufrage. Personne d’autre n’avait survécu. Est-ce qu’il connaissait des gens sur ce bateau ? Devait-il pleurer la mort de certains ou non ? Il était encore plus perdu qu’avant. Il était pourtant persuadé qu’il connaissait des personnes sur ce bateau. Il se souvenait vaguement d’une silhouette lors du naufrage, de quelqu’un qui l’avait aidé. Il savait que cette personne était importante pour lui.


« Je suis désolé, lâcha Wright, j’imagine que ça doit être dur pour vous.

— Vous ne pouvez vraiment pas m’aider ? »


La voix de Victor était suppliante. Il ne cachait pas son besoin d’aide. Il devait retrouver ses souvenirs. Retrouver la raison qui l’avait amené à venir dans les Cités Libres. Malheureusement en voyant la mine déconfite du professeur, il comprit qu’il ne lui serait d’aucune aide.


« Je suis vraiment désolé, mon garçon. Mais Louise s’est fourvoyée, je ne peux pas vous aider. Vous avez des migraines ou des vertiges ?

— Un peu oui.

— Bon, je peux au moins traiter ça. Attendez ici. »


Le professeur laissa un instant Victor seul dans son salon. Ce dernier se rapprocha alors d’une des fenêtres pour avoir plus de lumière et lire un peu mieux les nouvelles concernant le Condor. Le journal insistait sur la cargaison soi-disant illicite du navire qui transportait des méchanicus entre les Cités Libres et l’Empire d’Eos.

L’Empire d’Eos, c’est peut-être de là dont je viens.

Il regarda par la fenêtre d’un air mélancolique, et fut amusé de revoir les frères Wright qui tentaient en vain de faire décoller leur immense méchanicus volant. Quelques minutes plus tard, le professeur avait fait son retour dans le salon, portant avec lui différents sacs.


« Vos fils ont l’air très pris par leurs expériences, constata Victor.

— Ces andouilles gaspillent leur temps, les méchanicus ne pourront jamais voler. »


Le ton sec et glacial du professeur était pareil à un couteau qu’il aurait lancé en plein dans le cœur de ses fils.


« Comment pouvez-vous en être si sûr ?

— J’ai créé ces maudits engins, je sais de quoi ils sont capables.

— Vous en êtes le créateur ? demanda surpris Victor.

— Malheureusement oui, je pensais que Louise vous en avez parlé.

— Elle aurait dû ?

— Hum. Il fut un temps où Louise était ici, à apprendre comment les réparer, les améliorer. »


Il se posta à son tour à la fenêtre et regarda d’un œil sévère ses deux fils.


« Elle n’aurait jamais tenté une expérience aussi farfelue. Louise c’était une génie de la mécanique. Ses mains pouvaient tout créer.

— Pourquoi a-t-elle arrêté ?

— C’est compliqué, soupira Wright. Je refuse d’en parler à sa place. »


Il tendit les deux sacs à Victor qui les prit doucement en jetant un coup d’œil. L’un contenait diverses plantes, l’autre des petites fioles et bocaux de diverses préparations.


« Les plantes, c’est pour Violena. Si vous pouviez les lui transmettre. Le reste c’est pour vous. J’ai marqué sur les flacons les doses et la fréquence à laquelle vous pouvez les prendre.

— Je vous remercie beaucoup.

— Ce n’est vraiment pas grand-chose. Pour votre mémoire, il faudra attendre. Peut-être que certains souvenirs reviendront avec des stimuli externes.

— Peut-être ?

— Peut-être qu’ils reviendront ou pas, concéda le professeur, on ne peut être sûr de rien. »


Victor regarda en silence les sacs de médicaments. L’idée de ne jamais se souvenir de qui il était le terrifiait au plus haut point. Oublier à jamais sa famille, ses amis, sa vie jusque là… C’était une perspective qui le terrifiait. Il avait l’impression d’être un nouveau-né dans ce Nouveau Monde. Le professeur toussa un petit peu pour faire sortir poliment Victor de sa rêverie.


« Si vous voulez, reprit le professeur, je peux vous donner un contact. Une ancienne amie qui travaille au musée de la ville de Thorgard, elle aurait bien besoin de quelqu’un en ce moment. Ce n’est pas un boulot très gratifiant, ni bien payé, mais ça devrait vous permettre de vous retourner. Vous avez un mécha ?

— Oui, celui-ci, répondit Victor en pointant du doigt son méchanicus devant la maison.

— Cette épave ?

— Euh… Oui ?

— Bon, mes fils vont vous l’arranger un peu. Ensuite, vous pourrez rentrer avec, et voir pour un travail.

— Je vous remercie énormément !

— N’oubliez pas les plantes pour Violena, hein ? Elle en a besoin. »


Victor ne manqua pas de remercier le professeur pour son offre. Il lui donna un papier avec les coordonnées de son amie, le professeur Lara Jones. Après quelques réparations effectuées par les fils de Wright, Victor pouvait repartir en direction de Thorgard. Lorsqu’il arriva à la cité, la journée avait déjà été bien entamée et le soleil commençait à se coucher. Il décida alors de se rendre d’abord chez Violena pour lui apporter ses plantes, à la suite de quoi, il irait se reposer avant d’appeler Louise pour lui donner des nouvelles. Au vu de l’heure, il ne pouvait pas se permettre de contacter le professeur Jones, elle serait sans doute indisponible. En revanche, à la première heure demain, il serait au musée pour gagner quelques sous, et avoir une chambre à l’hôtel. Ce n’était pas le moment de se laisser abattre. Qui sait, avec un peu de sous il pourrait sans doute se rendre à la fameuse Baie de Lotan, et peut être qu’il trouverait là-bas les informations qui lui manquent.

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