Chapitre 13

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Le speaker hurlait dans les haut-parleurs pour faire chauffer l’arène à moitié remplie. C’était un combat important pour Victor. Il devait le gagner pour changer de palier, et devenir un vrai combattant confirmé. Il était à une victoire des gains plus importants et des combats plus haletants. Une seule victoire. Mais il était tétanisé. Ce n’était pas vraiment de la peur, mais plutôt du stress. Il était affreusement anxieux à l’idée de combattre aujourd’hui. Il avait réussi à gagner pas mal ces derniers temps avec son méchanicus, mais était-ce suffisant ? Victor savait qu’il n’était pas le meilleur des mécaniciens, loin de là. Mais il espérait que sa machine tiendrait le coup pour ce combat. Ensuite, s’il gagnait assez d’argent, il pourrait payer un bon mécanicien, changer les pièces. De toute façon, maintenant que Louise était au courant de son activité, il n’avait plus rien à cacher.

Louise…

Il repensait durant un court instant à la dispute qu’il avait eue avec elle. Quelle dispute idiote ! Mais il n’arrivait cependant pas à lui en vouloir. Il arrivait à comprendre les raisons de sa peur. Mais il voulait lui prouver qu’elle avait tort et que tout allait bien se passer.

Si je gagne là, elle comprendra peut-être.

Il resserra sa poigne sur ses commandes. Il pouvait sentir à l’intérieur de ses gants de pilotage, la sueur qui commençait à rendre ses mains moites. C’était maintenant ou jamais. Les spots de l’arène se braquèrent sur lui et son adversaire. Un méchanicus de combat de couleur rouge. Rien qu’en le regardant, Victor comprit qu’il était mieux équipé que le sien. Son coffrage semblait plus robuste. Et ses armes n’étaient pas en reste, une longue épée fine était dans sa main droite, tandis que son bras gauche était une mitraillette. Heureusement que l’arène était entourée de vitres hautes et robustes comportant plusieurs couches d’épaisseurs… Victor ne pouvait pas en dire autant de la vitre qui protégeait son habitacle. Il déglutit de peur. Il sentait qu’il était déjà mal parti alors que le combat n’avait pas commencé.

Allez, tu peux le faire.

Le coup d’envoi du combat était enfin donné. Victor lança son méchanicus dans le combat. Mais déjà, il pouvait se rendre compte de la différence entre lui et son adversaire. Le méchanicus de son adversaire était léger comme une plume en comparaison du sien. Il avalait les quelques mètres avec une vitesse impressionnante. En à peine quelques secondes, le méchanicus adverse abattit sa puissante lame sur Victor. Il braqua toutes ses manettes pour forcer sa machine à esquiver d’un côté. La lame passa à quelques centimètres de sa droite arrachant au passage de la peinture et quelques bouts de tôle. C’était passé tout juste. Mais Victor avait le temps de répliquer. Il arma le poing gauche de sa machine dans l’espoir de toucher son adversaire. Un violent bruit d’impact se produisit, et le choc fit trembler la machine de Victor de tout son être. Le méchanicus adverse avait pourtant encaissé le coup sans broncher. Il s’était seulement reculé d’un pas, mais cela ne l’avait pas plus endommagé. Son coffrage avait été à peine enfoncé par l’attaque de Victor.

Mais bordel…

Il comprit à cet instant que le combat était déséquilibré. Mais il n’allait pas abandonner maintenant. Son adversaire n’était pas encore totalement remis du coup, et Victor tenta d’enchaîner les coups de poing avec sa machine. Gauche. Droite. Gauche. Aucun ne faisait réellement de dégâts, et Victor voyait sa jauge d’éther descendre dangereusement à chaque mouvement. Il n’allait pas tenir sur la durée. L’adversaire commençait à parer les coups, et il usa de sa lame pour faire reculer le méchanicus de Victor. Il était obligé de battre en retraite face à l’épée. Mais désormais, il n’était plus à porter de son adversaire. Ce dernier lui envoya alors une salve de tirs. Les balles tapèrent contre le coffrage du méchanicus ricochant de toutes parts et abîmant un peu plus l’aspect de la machine. Victor n’avait plus vraiment de choix, il devait tout miser sur une seule attaque. Il poussa à fond ses manettes et propulsa à toute vitesse son méchanicus. Pendant sa course, il arma son poing et lorsqu’il fut à bonne distance, il frappa avec les forces qu’il restait à son méchanicus. Il déploya la lame qui était cachée dans sa main.

Malheureusement pour lui, son méchanicus n’avait pas pris assez de vitesse et l’impact n’avait pas été aussi violent qu’il l’espérait. Sa lame avait traversé un peu le coffrage de son adversaire, mais n’avait pas réussi à toucher de point sensible. Pour couronner le tout, il n’avait plus assez de jus pour son méchanicus. Son adversaire riposta aussitôt envoyant paître sur plusieurs mètres Victor. Son méchanicus tomba à la renverse dans un immense nuage de poussière. C’était fini pour lui dans ce combat. Son méchanicus n’avait plus assez d’énergie pour se battre. Il ouvrit l’habitacle de son méchanicus et sortit en levant les bras. Il avait abandonné. Et alors que le speaker vantait les mérites du vainqueur, les spots de lumières s’éloignèrent de Victor pour le laisser dans l’ombre. Il était enragé à l’idée d’avoir perdu. Mais la différence avait été trop grande entre eux. Sans même un regard vers les gradins, il sortit de l’arène pour aller d’un pas rageur vers les vestiaires. Là-bas, il s’assied sur les bancs, et il prit sa tête entre ses mains. Il s’en voulait. Il aurait aimé avoir fait meilleure figure :


« Victor ? »


Victor releva sa tête pour voir Louise dans l’embrasement de la porte du vestiaire. Elle tenait dans sa main sa veste qu’elle avait retirée à cause de la chaleur présente dans l’arène. Il ne cacha pas sa surprise de la voir ici. Est-ce qu’il y avait un problème pour qu’elle vienne le voir ici ? Non, elle ne semblait pas paniquée. Au contraire, elle était calme quoiqu’un peu gênée d’être ici. Elle bougeait de façon nerveuse ses épaules comme si elle était mal à l’aise. Sa gêne se propagea jusqu’à Victor qui détourna aussitôt le regard pour ne pas la regarder :


« Qu’est ce que tu fais ici ? »


Sa voix était froide. Il n’avait pas vraiment fait exprès d’utiliser ce ton de voix, mais il avait encore en mémoire leur dispute d’il y a quelques jours. Et il ne voulait pas recommencer à se disputer avec elle. Il préférait paraître volontairement froid pour la décourager de reprendre la discussion précédente. Mais visiblement, cela n’avait pas eu l’effet escompté. Louise s’avança doucement vers lui et se posa à côté de lui. Elle n’osait pas le regarder et fixer la veste qu’elle tenait dans ses mains :


« Je voulais m’excuser, Victor. »


Il ne put s’empêcher de hausser les sourcils de surprise. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle ravale son ego. Sybile avait eu raison finalement : 


« Je n’aurais pas dû m’emporter la dernière fois. Tu as le droit de faire des combats. Tu fais bien ce que tu veux de ta vie. J’espère que tu ne m’en veux pas trop. »


Elle se tourna soudainement vers lui pour le regarder. Victor comprit à son regard que ses regrets étaient sincères. Elle le pensait : 


« Je ne pensais pas te voir ici, souffla Victor. Venir dans cette arène n’a pas dû être facile pour toi.

— Je voulais voir ton combat. »


Elle n’en finissait pas de surprendre Victor. Elle avait en quelque sorte bravé ses démons pour venir voir son combat. Un effort que Victor ne pouvait que saluer et qui l’impressionnait. Il commença doucement à se détendre face à elle, et sa voix s’adoucit quelque peu :


« Tu n’as pas vu le meilleur combat, soupira Victor, j’ai été nul.

— Tu es trop dur avec toi. Tu as été bon, ça ne s’est joué à pas grand-chose. »


Victor retira ses gants de pilotage et les jeta avec énervement au sol. Non, il n’avait pas été bon. En pilotage, il se défendait même s’il n’était pas le meilleur. Mais il était complètement nul pour s’occuper de son méchanicus, et c’est pour cette raison qu’il avait lâché, et qu’il avait perdu. Son méchanicus consommait beaucoup trop, et il était lourd. Même avec un excellent pilote, on ne pouvait rien faire de cette machine. Victor était en colère contre lui-même. Il ne supportait pas la défaite, encore plus quand elle découlait de ses propres erreurs. Il se leva d’un bond et commença à faire les cent pas devant Louise :


« Tu mens, lâcha Victor. Tu dis ça juste pour me faire plaisir. Tu as bien vu comment son méchanicus était supérieur au mien !

— Non, je t’assure. Tu es un bon pilote, mais tu n’as pas un bon méchanicus. C’est tout. Il n’a pas tenu la distance.

— Connor était vraiment bon en pilotage ? Ou était-il comme moi ? »


Elle prit un instant pour réfléchir. Victor avait peur de la braquer en parlant de lui, mais cela n’avait pas l’air de la gêner :


« Connor était comme toi. Au niveau pilotage bien sûr. Mais c’est moi qui m’occupais de son méchanicus. Il le pilotait juste.

— Louise, tu as vraiment arrêté à cause de lui ?

— Non, pas vraiment. »


Louise soupira longuement et posa sa veste à côté d’elle pour libérer ses mains. Elle commença nerveusement à jouer avec ses doigts en évoquant de vieux souvenirs :


« J’adorais ça. Quand j’étais petite, je passais des heures avec mon père à réparer son méchanicus. J’ai même été chez le professeur Wright pour me perfectionner. Et puis, mon père est mort à la guerre. Une partie de mon monde s’est effondré ce jour-là, mais il me restait ma mère, Pierre et Connor. Il avait un rêve. Il voulait être le meilleur pilote. Mais il n’y a pas de bon pilote sans un excellent mécanicien. Et là, c’était le début des emmerdes. »


Victor sentait bien que cela lui coutait de raconter ses souvenirs. Et pourtant, elle continuait même si sa voix se faisait plus petite et chevrotante :


« Plus Connor était connu, plus c’était dur pour moi. Personne ne pensait que c’était moi qui entretenais son méchanicus. Je suis une femme, et les femmes ne sont pas douées pour ce genre de chose. Il y a eu tant de rumeurs : je suis juste là pour essayer de profiter de sa notoriété. Connor fait tout, mais ment sur mon rôle pour me satisfaire. Parmi eux, il y avait un garçon Guillaume. Il n’arrêta pas. Pour lui, j’étais forcément une menteuse. Et cela énervait Connor. Ils ne sont jamais entendus. »


Guillaume… Guillaume. Ce nom résonnait comme un souvenir éloigné dans la tête de Victor. Il connaissait quelqu’un qui portait son nom, ou du moins il le supposait. Il avait une impression de déjà vu à ce moment précis. Est-ce que c’était le nom qui le faisait cet effet ou bien cette histoire ? L’avait-il déjà entendu auparavant ? Mais comment ? Louise n’avait jamais rien dit sur Connor. Elle laissait à chaque fois un silence au lieu de répondre à ces questions :


« Un jour, Guillaume a eu encore une fois un mot de trop, continua Louise. Lui et Connor en sont venus aux mains. Et Guillaume a repoussé Connor, qui est tombé sur la route. Mais il y avait beaucoup de trafic ce jour-là, et le pilote du mécha qui arrivait ne faisait pas attention. Connor a fini écrasé.

— Je peux comprendre pourquoi tu as arrêté.

— J’ai hésité, longtemps. Mais sans Connor, je savais que je ne pouvais pas continuer à être mécanicienne. Et je devais trouver une source de revenus, alors j’ai décidé de chanter.

— Tu n’aimes pas ça ? Tu t’en sors bien pourtant.

— Je hais ça. Pas le groupe, ils sont adorables. Mais vraiment… Tous les jours, il faut répéter, et ensuite donner des représentations. Et les gens t’acclament oui, mais ils t’interpellent tout le temps. Ils veulent te parler, te poser des questions. Tout le temps… Je hais tout ça. J’ai envie de faire comme Florian.

— Sérieusement ? Tu songes vraiment à arrêter ? »


Victor avait du mal à croire ce qu’il venait d’entendre. Cela ne lui était jamais venu à l’idée que c’était à ce point une torture pour elle. Peut-être que le départ de Florian avait été un déclic chez elle :


« Peut-être pas tout de suite. J’ai besoin d’argent pour ma mère. Je ne peux pas prendre le risque de ne plus avoir de revenus. Mais je le ferais, je sais. Et je ferais enfin ce que je veux dans ma vie.

— Que veux-tu faire à la place ?

— Je veux t’aider. Je veux être ta mécanicienne. »


Victor écarquilla les yeux. Si on lui avait dit il y a quelques jours que Louise allait venir le voir pour participer avec lui à des combats, il aurait ri. Louise était décidément une fille pleine de surprises. Il ne put s’empêcher d’afficher un grand sourire devant sa proposition. Bien sûr qu’il acceptait et pas seulement pour avoir de meilleurs résultats, mais aussi, car il était plus qu’impatient de passer plus de temps avec elle, et de la découvrir sous son vrai jour : 


« Si c’est vraiment ce que tu veux, bien sûr. Je serais ravi de t’avoir à mes côtés. »


Le visage de Louise s’illumina. La nouvelle l’avait empli de joie. Elle s’était manifestement libérée d’un poids :


« Juste, une seule chose, reprit Louise.

— Je t’écoute.

— N’en parle à personne.

— Tu ne veux pas ton heure de gloire ?

— Mon heure de gloire ?

— Oui, avec toi, je suis sûr que je peux battre l’actuel champion. Et ce jour-là, la gloire nous attendra.

— Le monde n’est pas prêt à voir une femme championne. Et je n’ai pas vraiment envie que le groupe ou ma mère l’apprenne.

— Tu es assez grande pour faire ce que tu veux Louise.

— Je sais, mais Pierre le prendrait mal. Après la mort de Connor, il ne voulait plus toucher aux méchanicus, de près ou de loin. Et il m’avait plus ou moins convaincu de faire la même chose. »


Victor fut interpellé par les mots de Louise :


« Attends, c’est Pierre qui t’a convaincu de tout arrêter.

— Euh, plus ou moins.

— Sans lui, tu aurais continué ?

— Je n’en sais rien. Sans doute. Pourquoi cette question ?

— Je trouve ça étrange qu’il t’est imposé ses choix comme ça.

— Tu vas un peu fort. On a beaucoup discuté après la mort de Connor, et j’ai trouvé ses mots justes, mais avec le recul… Disons que tu as raison. Ce qui a tué Connor n’était pas une machine mais un humain qui l’a volontairement poussé. C’est là toute la différence. »


Elle prit une grande inspiration et se leva doucement :


« Je veux avancer dans ma vie. Rien ne pourra changer ce qui s’est passé. Et rien ne changera ce que je ressens pour Connor. Mais je me dois d’avancer. Je ne veux plus que ça m’emprisonne. Et quand je serai prête, je leur parlerai. D’ici là, concentrons-nous sur les futurs combats, d’accord ? »


Victor lui adressa un grand sourire :


« D’accord. »

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