Chapitre 25

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Jamais un trajet n’avait été aussi pénible pour Victor que celui-là. Il avait perdu la notion du temps depuis bien longtemps. Cela faisait un moment qu’ils traversaient le désert en direction du Val Éthéré. Et son bras devait chaque seconde un peu plus douloureux. Il passa sa main valide sur son front. Il était trempé de sueur. Grâce à Louise, il ne saignait plus, et pourtant, son état ne s’améliorait pas. Il étouffa un bruit de douleur qui interpella Louise.


« Tiens le coup Victor. »


La voix de Louise lui semblait si éloignée. Comme un écho lointain qui résonne dans une caverne. Il ne voyait rien d’autre que des taches de couleurs de-ci de-là. Il ne voyait plus nettement son visage.


« Je suis si fatigué. »


Il avait lâché cette phrase dans un murmure. Il ne pouvait pas parler plus fort. Il n’en pouvait plus. La blessure, la chaleur du soleil et celle de son corps, c’était trop pour lui. Il se sentait sombrer dans un sommeil. Enfin, il espérait que ce n’était juste qu’un sommeil. Il eut une secousse. Il lui fallut de longues secondes pour se rendre compte que Louise avait stoppé la machine. Les deux mains de Louise vinrent se poser sur ses joues, et sa tête tourna lentement pour la regarder. Même ça, il en était incapable tout seul.

Elle lui parlait. Il voyait ses lèvres bougeaient, mais aucun son n’arrivait jusqu’à lui. Il ne comprenait rien. Son cerveau n’avait plus assez d’énergie pour comprendre ce qui lui arrivait. Et ce, malgré toute sa concentration.

Il baissa sa tête. Un effort surhumain pour lui. Il concentra son regard sur sa blessure au bras gauche. Elle était dans un sale état. Il n’était pas médecin, mais vraiment, elle prenait une sale tournure. Et la balle était toujours dans sa chair.

Une infection… Est-ce que je vais mourir à cause de ça ?

Il eut envie de rire. Survivre à un naufrage, à la guerre pour mourir à cause d’une sale infection. Quelle vie ! Louise continuait de s’agiter, mais elle avait remis en marche le méchanicus qui marchait de nouveau sur le sable brûlant. Florian devait suivre juste derrière eux. Victor regarda au loin la ligne d’horizon déformé par la chaleur brûlante du désert, et par la fièvre qui brûlait son corps.

Victor.

Il regarda autour de lui pour voir d’où venait cette voix. Ce n’était pas celle de Louise. C’était celle de Guillaume. Il apparaissait entre Louise et lui.

Je deviens fou.

Au moins, ç’a été une sacrée aventure.

Tu n’es pas réel Guillaume. Tu es à la baie. Peut-être que tu es mort. J’ai été un piètre ami.

Un peu. Mais c’est un point que nous partageons.

Je ne veux pas mourir maintenant. Pas avant d’avoir fait payer à l’empire. Je veux agir. Je ne veux plus être un spectateur. Je veux faire une chose de bien, au moins une fois dans ma vie.

Victor ferma les yeux dans l’espoir vain de chasser cette voix qui venait le troubler. Il secoua sa tête doucement ce qui ne fit que renforcer son mal :

Tu n’es pas là Guillaume. Et je vais probablement mourir. Ici. Et je ne veux pas mourir.

La respiration de Victor se fit plus importante. L’air chaud qu’il respirait brûlait ses poumons.

Je veux voir l’aube se lever. Je veux pouvoir encore tenir la main de Louise. Pouvoir encore boire un verre avec toi, et rire. Je veux entendre une dernière fois tes blagues, Guillaume. Je ne veux pas mourir.

Victor se répéta encore, et encore ces derniers mots dans l’espoir qu’ils suffisent éloignez la faucheuse elle-même.

Peut-être que ceux qui vénèrent la lumière peuvent survivre. Il suffit d’y croire.

Mais malheureusement, il sombra dans tes ténèbres profondes où ses mots ne résonnaient plus autour de lui.

Lorsque ses yeux s’ouvrirent de nouveau, il eut l’impression d’émerger d’un sommeil sans rêves long de plusieurs semaines. Tout son corps n’était que douleur et il ne parvenait même pas à bouger ses doigts. La lumière qui pénétrait dans le lieu où il se trouvait lui brûlait la rétine.

Je suis en vie. Mais où ?

Une fois ses yeux habités, il regarda la pièce aux alentours. Ses angoisses et ses peurs s’évanouirent lorsqu’il vit Louise. Elle était endormie sur une chaise à côté de lui. Paisible et silencieuse. C’était comme voir un ange pour Victor après ce qu’il avait subit dans le désert.


« Louise. »


Sa voix était cassée. Depuis combien de temps, était-il allongé sans parler ? Il fallut l’appeler plusieurs fois avant qu’elle ne commence à se réveiller. Elle ouvrit enfin les yeux, et elle mit un certain temps avant de comprendre que Victor était réveillé. Son visage s’illumina et se leva d’un bond de sa chaise :


« Victor ! Tu es réveillé ! »


Il grimaça. Sa voix forte avait amplifié son mal de tête. Il commençait doucement à émerger. Il tenta alors de se relever en utilisant ses bras, et c’est là qu’il se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Son corps était tellement endolori qu’il ne s’était pas rendu compte de l’horreur. Il lui manquait un bras. Son regard ne pouvait se détourner de l’espace qui avait pris la place de son bras gauche. Il se rendit compte qu’il avait été sectionné jusqu’à l’épaule. Il se rendit alors compte qu’il portait un épais bandage qui couvrait son torse et son épaule, et cachait ainsi son articulation.

Non… Non, c’est un cauchemar…


« Victor… »


Il se tourna vers Louise. Elle s’assied aussitôt sur le lit pour s’approcher un peu de lui. Ce n’était pas possible. Il devait rêver. Il passa sa main sur son épaule, et eut une grimace de douleur. La douleur était là bien réelle. Et son bras n’était plus. Il avait encore pourtant la sensation de le sentir…


« On n’a pas eu le choix Victor, expliqua Louise, la blessure s’était infectée. Wright a fait ce qu’il a pu.

— ce qu’il a pu ? Il m’a enlevé un bras ! »


La colère montait de plus en plus en Victor. Elle n’était pas dirigée vers Louise ou Wright. Loin de là. Elle était dirigée contre la vie. Il n’avait pas assez souffert dans toute sa vie, il fallait maintenant lui retirer un bras. Il empoigna le drap qui se trouvait sur lui, et le retira d’un geste rageur. Dans la foulée, il se hissa sur ses jambes pour se lever et sortir du lit. Ses jambes flageolèrent et il manqua de tomber à la renverse. Il fut rattrapé de justesse par Louise :


« Victor, reste au lit. Tu as dormi plusieurs jours, ton corps doit se reposer.

— Je vais bien. »


Il repoussa doucement Louise pour se dégager de son emprise, et il commença à faire quelques pas peu assurés. Il ouvrit la porte de sa chambre et sortit alors qu’il entendait :


« Victor ! »


Il se rendit compte qu’il se trouvait chez Violena. Et qu’il venait maintenant de rentrer dans la pièce à vivre, où bon nombre de personnes se trouvaient là. Évidemment, Violena se trouvait là. Victor était surpris de la voir debout, pour la première fois depuis qui l’avait rencontré. Visiblement, l’air pur de la montagne avait fait du bien. Emma était aussi là et discutait avec Violena, mais aussi avec Florian et le professeur Wright. Tous se tournèrent vers Victor lorsqu’il entra. Le professeur se leva aussitôt et s’approcha de lui :


« Victor ! s’exclama Violena, quel soulagement de te voir debout. »


Victor ne répondit pas. Son regard était bloqué sur le professeur qui avancer doucement vers lui. Il avait du mal à contenir sa colère et sa rage. Il voulait hurler de douleur dans l’espoir de se réveiller de ce cauchemar :


« Comment allez-vous mon garçon ? »


Sa voix était douce et fatiguée. Il avait sans doute passé de longues heures à essayer de sauver Victor. Il n’avait pas de colère envers lui. Loin de là. Le professeur avait fait son possible pour le sauver. Et Victor savait qu’il n’avait pas eu d’autre choix :


« Comme quelqu’un à qui on vient de retirer un bras, siffla Victor. Comment vous pensez que je me trouve là ? J’ai envie de frapper quelque chose. De hurler.

— Je comprends, répondit le professeur d’une voix compatissante. Mais je n’avais pas le choix. La blessure s’est infectée. Vous auriez dû la soigner tout de suite.

— Je suis désolée. »


Victor se retourna pour voir Louise qui était entrée à son tour dans la pièce à vivre. Elle jouait nerveusement avec ses doigts et n’osait pas regarder les yeux de Victor :


« On aurait dû te soigner avant, reprit la jeune femme. On a mis trop de temps à rejoindre Val, et avec le désert et sa chaleur… J’aurais dû au moins essayer d’enlever la balle. »


Victor secoua doucement sa tête. Elle lui avait encore sauvé la vie et pourtant elle se confondait encore en excuses.


« C’est moi qui t’ai dit de ne pas aller à Neokorr, répondit Victor. Je ne vais pas t’en vouloir de m’avoir sauvé. »


Il passa machinalement sa main sur son épaule meurtrie. Il n’arrivait pas à réaliser malgré tout. C’était trop dur :


« Je crois que j’ai besoin de temps.

— Et nous, de réponses, intervint Florian. Louise nous a dit que tu savais ce qu’il se passait.

— Un peu, répondit-il d’un ton vague. »


Il sentait tous les regards braqués sur lui. Rien d’étonnant. Il s’avança vers les chaises autour de la table qui étaient encore disponibles. Il s’assied aussitôt, sa tête commençait de nouveau à tourner.


« Toutes les villes sont attaquées, reprit Florian, alors, dis-nous ce que tu sais.

— J’étais soldat dans l’empire. Et j’ai déserté. Avant de partir, j’ai eu vent d’un plan qui consistait à prendre les Cités Libres. Je ne me souviens pas du tout. Dans les grandes lignes : Phantom est de mèche avec l’Empire, et a usé de son influence et de son argent pour leur donner une porte d’accès ici. J’imagine qu’il s’est aussi chargé de recruter des gens ici.

— Et, tu n’as pas jugé bon de le nous dire ? demanda Florian.

— J’étais amnésique, répondit calmement Victor. Je ne me souvenais pas de tout ça.

— Il m’en a parlé, intervint Louise, mais à ce moment-là, on n’avait aucune preuve. Vous ne nous auriez pas crus. »


Florian fulminait de colère. Mais impossible pour Victor de savoir si c’était à cause de lui ou de la situation. Il faisait les cent pas en se grattant nerveusement la tête.


« Il est préférable de rester ici, conseilla Wright, en attendant d’avoir d’autres informations concernant l’attaque. Mais si l’empire a accès aux méchanicus maintenant… »


Il frotta ses yeux en soupirant de fatigue :


« L’avantage qu’on avait lors de la dernière guerre n’est plus. Cette bataille va être compliquée.

— Je n’ai pas envie de rester ici à ne rien faire, souffla Florian. On doit se battre !

— Florian a raison, reprit Louise. On ne peut pas se cacher et espérait que les choses se tassent. Je refuse d’être dans l’empire.

— Louise, intervint Violena. On parle d’une guerre. Pas d’un combat de méchanicus.

— Je sais bien ! Je sais ce que ça implique. Mais il doit y avoir une solution !

— L’empire n’a pas que des méchanicus, intervint Victor. Tu te souviens du zeppelin. Ils savent voler. Je pense que c’est perdu d’avance.

— Rien n’a joué d’avance. Ils ont beau avoir ça, on est meilleur qu’eux pour la technologie. On peut les surpasser. »


Louise semblait déterminée et ce n’était pas les supplications de sa mère, ou bien les anecdotes de Wright qui allaient changer quelque chose. Elle restait hermétique à tous conseils. Même ceux de Victor. Au bout de plusieurs minutes de discussion stérile, il avait laissé tomber. Elle ne changerait pas d’avis. Elle l’avait aidé à habiller sans dire un mot de plus. Il voyait dans son regard qu’elle était contrariée par la situation. Elle boutonnait de façon rageuse les boutons de sa chemise. Victor n’aimait pas être dépendant d’elle, mais il n’avait plus vraiment le choix. Sans son bras, c’était bien difficile de s’habiller. La manche gauche de sa chemise pendait désespérément dans le vide, accentuant un peu plus la colère et la peine de Victor. Il était donc condamné à rester comme ça ?

Une fois que Louise l’avait aidé à mettre sa veste, il sortit d’un pas énervé dehors. Il avait besoin d’être seul. Lui qui d’habitude se plaignait du froid qui régnait à Val, il ne sentait plus rien. C’est comme si l’accident avait tout anesthésié pour ne laisser place qu’à une immense colère. Il donna un coup de pied rageux dans un tas de neige qui partit en un millier de petits flocons portés par le vent. Voilà tout ce dont il était capable, un coup de pied. Il s’assied en soupirant sur une bûche. Il n’avait même pas pris la peine de retirer la neige. Il resta là, assis de longues minutes dans le froid à atteindre que sa colère se calme. Et elle se calma. Elle laissa place à un immense sentiment de tristesse. Il laissa les larmes couler le long de ses joues. Il fallait que tout ça sorte. Il avait besoin de relâcher toute cette pression. Il ignorait combien de temps il était resté là à pleurer au milieu de la neige, mais finalement, il entendit une voix familière :


« Hey. »


Florian. Il n’avait pas oublié que ce dernier était intervenu face à Phantom. À sa grande surprise. Victor n’était pas en colère face à lui, loin de là. Il lui était reconnaissant. Qui sait ce qui se serait passé si Louise avait affronté Phantom toute seule ? Il sécha rapidement ses larmes avec son avant-bras droit et renifla avant de répondre :


« Salut.

— Je voulais faire un tour moi aussi. Wright ne lâche pas Louise d’une semelle, soupira Florian. Il veut la faire changer d’idée.

— Personne n’avait compris qu’elle était têtue ? Louise ne va pas changer d’avis. Elle se battra.

— Oh, je sais. Je la connais. Et je ferais pareil. Je m’attendais juste à ce que tu réagisses plus ?

— Je devrais ? Elle fait ce qu’elle veut de sa vie. Quoi qu’elle décide, je serais là. »


Florian sourit et s’assied à côté de Victor :


« Je me doutais, répondit-il. Tu n’es pas comme Pierre. Lui quand il va l’apprendre… je soupire déjà d’avance.

— Ce n’est pas le grand amour entre vous ?

— Haha non. Loin de là ! Honnêtement, j’ai toujours été plus proche de Max et de Louise. Les autres… Disons que j’adore Louise et Max, ce sont des crèmes. C’est eux qui voulaient que je chante avec Louise lors de la soirée. Mais Pierre, Sybile et Basile. Purée. Eux trois, c’est le festival des faux-culs. »


Victor ne put s’empêcher de lever les sourcils de surprises. Il ne s’attendait pas du tout à ça.


« Non, mais pardon. Mais tu ne les connais pas comme moi, soupira Florian.

— Je ne leur parle pas beaucoup.

— Et comme tu as raison. Sérieusement Pierre, je lui mettrais des baffes avec son air hautain et son avis de dicter ses ordres à tout le monde. Surtout à Louise. Sybile, elle, elle dit tout le temps oui à Pierre. Et Basile, avec sa religion… Sérieusement… Sans Maxime déjà ce groupe n’aurait jamais marché. C’est le pilier.

— Louise ne parle pas trop de ça.

— Normal, ça reste ses amis. Mais moi je peux plus. J’ai passé des années à les côtoyer et là. Avec le temps, tu te rends compte que tu n’es pas fait pour rester avec certaines personnes. C’est mon cas. »


Victor lâcha un petit rire. Florian lui avait remonté le moral en un instant. Ce qui le surprenait. Et en même temps, il était soulagé de voir qu’il n’était pas le seul à penser ça. Mais il restait une question qui le tourmentait.


« Florian, j’aimerais te poser une question.

— Je t’écoute.

— Tu te souviens de ce que tu faisais le jour où Louise m’a trouvé. »


Florian leva les yeux au ciel pour réfléchir. Au bout de quelques instants, il répondit enfin :


« J’étais chez Pierre, j’avais un souci avec ma guitare.

— Tu étais là bas avec ton méchanicus ?

— Oui. J’étais venu avec Sybile, mais elle a emprunté mon méchanicus durant mon séjour chez Pierre.

— quoi ? Tu es sur ?

— Oui. Totalement. J’étais bloqué là bas du coup. Pourquoi ? »


C’était elle ? Vraiment ? Celle qui les a attaqués sur la page ? Victor était tenté de croire Florian, surtout après avoir un peu discuté avec lui, et surtout après avoir croisé Phantom, qui avait une voix de femme.

C’était Sybile sous le masque ?

L’idée ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Il devait trouver une preuve. Il devait trouver quelque chose qui la reliait à Phantom. Il remercia brièvement Florian pour avoir répondu et se leva.

Sybile… Si c’est vraiment toi…

Victor le sentait. Il était à deux doigts de la vérité désormais.

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