Chapitre 26

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Cela faisait maintenant plusieurs jours que Victor était à Val Éthéré. Des jours qu’il passait à se morfondre sur lui-même et son bras manquant. Il ne savait plus quoi faire. Pour ne rien arranger, Louise était la plupart du temps occupé avec le professeur Wright. Aujourd’hui ne faisait pas exception. Il était encore dehors à vagabonder dans les rues enneigées sans savoir quoi faire. Et alors qu’il était assis dans la rue, bien protégé par sa veste, il vit Pierre qui s’approcha de lui. Il leva les yeux au ciel et poussa un long soupir.

Mais non, c’est pas vrai… Pas lui.

Il ne manquait plus que lui pour compléter le tableau. Victor soupira. Ces derniers jours, il avait fini par apprécier la compagnie de Florian. Ils avaient un point commun : ils n’aimaient pas Pierre. Victor avait même espéré ne plus jamais le revoir. Raté. Il toisa Pierre d’un regard noir dans l’espoir de le dissuader de lui parler. Encore raté. Pierre s’avança tout de même, et lâcha d’une voix aussi glaciale que la température :


« Louise est là ?

— Bonjour à toi aussi Pierre. Oui. »


Pierre se contenta d’un haussement de sourcil, puis il se dirigea vers la maison Violena. Victor le suivit. Hors de question de le laisser faire la loi sans dire un seul mot. Il voulait le garder à l’œil. Lorsqu’ils entrèrent, tout le monde vaquait à ses occupations. Wright et Louise étaient dans un coin de la pièce à s’occuper de leurs affaires, tandis que Violena, Emma et Florian discutaient. Les occupations étaient assez rares dans ce village, et tout le monde attendait d’avoir des informations des autres cités. Florian n’avait reçu aucun message de Maxime, ou même de Basile. Tous ses messages étaient eux, restaient sans réponses. Évidemment, cette situation mettait à rude épreuve les nerfs de tout le monde. Surtout dans un espace aussi restreint. Victor était persuadé que Pierre serait l’allumette qui allait mettre le feu à cette tension qui ne demandait qu’à s’embraser.


« Oh, Pierre ! s’exclama Violena. Quel soulagement de te voir sain et sauf. »


Florian adressa à peine un regard à Pierre. Il se contenta d’un haussement de sourcil en direction de Victor. Visiblement, Florian était aussi content que lui de voir Pierre. Cela le fit doucement sourire.


« Moi aussi je suis content de vous voir, répondit Pierre, je me suis inquiété, alors je suis venu dès que j’ai pu. »


Louise et Wright n’avaient même pas daigné lancer un regard à Pierre. Ils étaient bien concentrés. C’était le cas depuis plusieurs jours. Louise s’était mise en tête de créer un bras de remplacement pour Victor, une prothèse, comme elle l’appelait. Victor n’avait rien compris à toutes ses explications, et il n’avait pas voulu en savoir plus. Il ne voulait pas avoir de faux espoirs. Pour lui, son bras était définitivement perdu. Il avait donc préféré laisser Louise à ses occupations et ne chercher pas à s’emmêler.


« Et comment vont les autres ? demanda Florian à l’attention de Pierre. »


Il mit un instant à répondre et bafouilla :


« Sybile va bien, mais je n’ai pas de nouvelles des autres. »


Sybile.

Victor aurait bien aimé qu’elle soit là afin d’obtenir des réponses. De la confronter. Mais selon Pierre, elle avait fait un détour, et serait bientôt là. Quant à Pierre, il commençait à s’agacer que Louise soit dans son coin à ne pas lui parler. Il commençait à faire les cent pas près d’elle.


« Hé Louise ! »


Elle s’arrêta un instant pour relever la tête de son invention. Elle releva ses épaisses lunettes de protection sur son front et regarda un court instant Pierre. Elle lui adressa un sourire, puis son regard se porta de nouveau sur son invention.


« Pierre ! On se demandait ce qui se passait en dehors. Aujourd’hui que tu vas bien.

— C’est le chaos dehors, répondit Pierre. La guerre viendra bientôt ici, je pense. Vous ne pouvez pas rester ici.

— Et tu as une idée, champion ? lâcha Florian. L’empire est partout. C’est sans doute le dernier endroit sûr.

— Il y a bien une solution. On peut partir pour l’empire. Ils nous accueilleront en tant que civil. De toute façon, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils gagnent. »


Un bruit sec se fit entendre. Louise avait posé violemment son prototype.

Aie.

Elle se leva d’un bond et fit les quelques pas qui la séparaient de Pierre. Malgré la différence de taille en eux, elle n’était pas intimidée par lui, et le toisait d’un regard noir.


« Tu n’es pas sérieux là, Pierre ?

— Bien sûr que si. Vous comptez vous battre ?

— Oui, répondit Florian. On ne se rendra pas sans combattre.

— Toi peut-être, rétorqua Pierre, tu es un pilote. Mais Louise, non.

— Je sais me battre, répondit Louise. Enfin, avec un méchanicus. Pour le reste, je peux demander à Victor. »


Pierre lança un regard noir à Victor qui restait impassible. Ce que pouvait penser Pierre ne le touchait guère. Il se contenta de hausser les épaules face à la remarque de Louise.


« Les femmes ne combattent pas, lâcha Pierre. Ce n’est pas leur rôle. »


Un lourd silence s’était installé soudainement. Tout le monde regardait la dispute entre Pierre et Louise. Violena grimaça en voyant la scène. Elle savait, comme Victor, que Pierre n’aurait jamais du dire ça. Le visage de Louise commençait doucement à virer au rouge. Elle croisa les bras et demanda d’une voix sèche :


« Pardon ?

— Tu as très bien entendu ce que j’ai dit Louise. Tu n’es pas faite pour te battre. Tout ce que tu vas gagner c’est de te faire tuer. Laisse ce genre de choses aux hommes comme Victor ou Florian. »


Un claquement sourd se fit entendre lorsque la gifle de Louise toucha la joue de Pierre. Un long silence s’en suivit après. Pierre se massa sa joue endolorie, le regard hagard. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait :


« Je n’ai pas besoin de toi pour décider de ma vie, répondit Louise. Que tu le veuilles ou non, je le ferais. Et je te prouverais qu’une femme a autant sa place sur-le-champ de bataille qu’un homme. Victor. »


Victor se redressa presque machinalement en entendant le ton sec de Louise. Il n’avait pas envie de la contrarier plus. Elle se rendit compte du ton qu’elle avait employé et la suite de sa phrase se fit plus douce :


« On a besoin de toi pour des tests. »


Il leva les yeux au ciel. Il n’avait aucune envie de les faire, mais si cela suffisait à faire plaisir à Louise, il allait le faire. Il se laissa faire, Wright et Louise prenaient des mesures et discuter entre eux de choses dont Victor ne comprenait rien. Pas un seul mot ne lui était familier. Il soupira longuement. Louise l’avait remarqué. Elle arrêta ses tests et posa son prototype. Elle lança un regard plein de sous-entendu à Wright. Ce dernier se leva et fit craquer son dos en soupirant :


« Je crois que j’ai besoin de sortir un peu. Je vais faire un petit tour. »


D’un pas lent, il se dirigea vers sa veste suspendue à un crochet dans la pièce, puis, toujours avec cette vitesse, il se dirigea dehors. Louise s’assied en lâchant un profond soupir. Elle passa sa main sur son visage fatigué. Son regard ne fixait pas Victor, il se doutait qu’elle fixait Pierre qui parlait fort avec Florian et Violena. Ces derniers essayaient de le calmer après la gifle qu’il avait reçue.

Quelle journée…

D’une main hésitante, Victor prit la main de Louise. Elle le regardait enfin :


« Louise, tu dois te reposer. Tu es à bout de nerfs, ça se voit. Tu as même giflé Pierre.

— Ne me dis pas qu’il ne le méritait pas, siffla Louise. As-tu entendu ce qu’il a dit ?

— Oui. Je sais. Mais, ça ne te ressemble pas de perdre ton calme à ce point.

— Je sais… »


Son regard se reporta sur la prothèse sur la table.


« Je veux juste finir ça.

— Tu sais, je ne me fais pas trop d’illusion. Je commence à me faire à l’idée que j’ai perdu mon bras pour de bon.

— Justement, répondit Louise, je sais que je peux faire quelque chose.

— ce que tu peux être têtue, soupira Victor.

— Je veux juste un test Victor, demanda la jeune femme, et après, tu pourras me dire si je continue ou pas. Juste un. »


Elle le regardait intensément. Presque par réflexe, il leva les yeux au ciel. Il n’avait vraiment aucune volonté avec elle. C’était flagrant. Elle pouvait tout lui demander, il n’arrivait jamais à dire non.


« Un seul. »


Elle lui fit un large sourire en entendant ces mots que Victor regrettait déjà. Et pour cause, quelques dizaines de minutes plus tard, il était de nouveau avec Wright et Louise, mais cette fois dans la chambre. Victor était allongé sur le lit, entouré de plusieurs objets dont il n’avait aucune idée de leur utilité. Il était loin d’être rassuré. Wright et Louise continuaient de parler entre eux sans se soucier de lui.


« Il suffit de connecter les nerfs, normalement, commença Wright, même si la prothèse a ensuite des ratés, si ce bout-là fonctionne, on aura grandement avancé. »


Louise hocha doucement la tête.

Mais pourquoi j’ai dit oui.


« Je suis plus très sûr, reprit Victor. C’est peut-être pas une bonne idée de faire ça. »


Louise posa sa main doucement sur son épaule :


« Ne t’en fais pas, Victor. On ne fera rien de dangereux. Wright sait ce qu’il fait.

— Vraiment ?

— J’avais déjà commencé à réfléchir à une prothèse dans ce genre. Justement pour ceux qui étaient blessés à cause des méchanicus, raconta le professeur. Mais je tâtonnais. Louise m’a donné quelques idées, j’espère que ça va fonctionner.

— J’en suis sûre. »


La voix pleine d’assurance de Louise rassura un peu Victor. Wright et Louise commencèrent à se préparer. Elle rattacha ses cheveux et se mit un bandeau pour ne pas avoir quelques mèches dans les yeux. Puis, comme Wright, elle enfila de longs gants sur ses mains. Wright sortit une aiguille qui fit pâlir aussitôt Victor.


« C’est pour endormir la zone, expliqua Wright. Ça va atténuer la douleur.

— Atténuer ? Seulement ?

— Oui, ça risque de faire mal. »


Wright tendit un bout d’étoffe que Victor prit sans trop comprendre.


« C’est pour crier. Serrez ça avec vos dents.

— Je ne suis vraiment pas rassuré, là. »


Malgré tout, il s’exécuta et mit l’étoffe dans sa bouche. L’aiguille de Wright s’enfonça dans son épaule meurtrie et lâcha un liquide. Et l’enfer commença. Il ne savait pas combien de temps il était resté là, à serrer, mâchonner, et hurler contre le bout d’étoffe. Le temps se distordait avec la douleur. Il perdait même le sens de sa réalité. La douleur était au-delà de ce qu’il avait imaginé. Elle se propageait jusque dans tous les recoins de son corps. Elle fut si intense qu’il finit par perdre connaissance avant de voir la suite des opérations.

Il ignora combien de temps il resta inconscient. À son réveil, Louise était encore là. Toujours à l’attendre patiemment. Mais ce coup-ci elle était éveillée. Elle fit un large sourire en voyant Victor s’éveiller.


« Hey, lâcha-t-il d’une petite voix. Je ne suis pas encore mort ?

— C’est pas drôle…

— Pardon. »


Il grimaça de douleur. C’était la dernière fois qu’il cédait à Louise. Plus de test. La douleur avait été trop forte pour lui. Ses muscles se réveillaient doucement et il commença enfin à bouger. Naturellement, son regard se porta sur son épaule gauche. À sa grande surprise, il vit un bras, le bras qu’avaient conçu Louise et Wright. Un ensemble de rouages et des pièces mécaniques renfermées dans un coffrage en acier en forme de bras. Au moins, c’était un bel ouvrage. Louise inspira un grand coup puis elle passa sa main sur la prothèse. Un petit clic se fit entendre.


« OK, maintenant, bouge ta main.

— Euh, comment ? Je ne sais pas faire.

— Essaye de bouger tes doigts, comme d’habitude. »


Il grimaça puis regarda la main en métal au bout de la prothèse. Il mit sa main valide à côté et essaya de plier les doigts des deux mains. Sa main droite se ferma aisément. Ceux de la main en métal bougèrent avec difficulté. Il ne put les fermer, mais ils tremblèrent sur l’effort de Victor qui se concentra de toutes ses forces. Quelques phalanges se replièrent un peu, pas assez pour fermer un poing. Mais rien que ça, c’était déjà plus qu’espérer Victor. Louise hurla de joie et sauta au cou de Victor. Il fut surpris, mais lâcha un petit rire :


« C’est dingue, ça marche ! Tu t’en rends compte ?

— Un peu.

— On doit l’améliorer, mais c’est un bon début. Bon, tu n’auras jamais le même bras qu’avant, mais c’est déjà ça. »


Victor regarda à nouveau le bras mécanique. Il se concentra de nouveau et parvint à plier légèrement le bras. C’était vraiment étrange. Il n’avait pas le retour de force qu’il avait avec son bras. Il ne sentait rien. Ses sens n’étaient plus. De plus, il n’avait aucun muscle ni tendon. Tout passer par une information, rien de plus.


« Il faut qu’on réfléchisse avec Wright. On utilise des batteries d’éther pour faire marcher. Mais elle n’est sans doute pas assez puissante pour forcer l’effort.

— Tu es incroyable Louise… Je n’arrive pas à comprendre comment tu as pu créer quelque chose comme ça. »


Elle rougit et se mit à jouer avec une de ses longues mèches :


« Ce n’est rien, répondit-elle. Wright a quasiment tout fait. Enfin, c’était son idée depuis longtemps. Il a eu le temps d’étudier le corps humain. Je ne me suis intéressée qu’à la partie mécanique. Et on a encore du boulot.

— J’allais te dire que je ne voulais plus faire de test, mais je vais me raviser. Il y a moyen que ça marche vraiment.

— Je ne peux pas t’en vouloir d’avoir douté. Mais je ne pouvais pas rester à ne rien faire. »


Elle serra les poings et baissa la tête.


« C’est comme cette guerre, continua-t-elle. Je ne veux pas rester les bras croisés. Je veux me battre.

— Je sais. »


Victor posa sa main valide sur la joue de Louise et lui fit un doux sourire. Elle n’avait aucun besoin de se justifier devant elle.


« Tu n’as pas besoin de me le dire, Louise. Peu importe ce que tu décides de faire, je serais là. Que tu veuilles te battre ou que tu souhaites fuir. Je ne t’imposerai rien.

— Je sais. Heureusement. J’aurai justement un service à te demander.

— Tout ce que tu veux.

— Tu es un ancien soldat, tu sais te battre. Je veux que tu m’apprennes tout ce que tu sais.

— Tout ce que je sais ?

— Oui, le combat, les armes. Je veux savoir me défendre. Je ne veux pas être une demoiselle en détresse. »


Victor réfléchit un instant à la proposition. Il n’aimait pas vraiment l’idée de l’apprendre à combattre ou à utiliser une arme. C’était dangereux, mais il savait aussi que Louise n’était pas irresponsable. Elle avait dû poser le pour et le contre dans sa tête un millier de fois avant d’être aussi déterminée. Et Victor savait de quoi l’empire était capable. Peut-être que lui apprendre à se battre pourrait lui garantir la survie.

Les combats ne finiront pas arriver jusqu’ici, autant qu’elle sache se défendre toute seule. Au cas où...

Il hocha doucement la tête.


« Très bien. Je t’entraînerais. »

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