Chapitre 1

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Le 20 décembre 2023, la famille Zola s'était réunie sur le canapé, autour d'une assiette de popcorn, afin de regarder un film dramatique.

Zaïre Azer Zola, lieutenant de police de renom, sortait d'une journée si chargée qu'il n'avait ni l'envie ni la force d'en renouveler le visionnage.

À sa gauche, Thessa, sa tendre épouse, était si hypnotisée, limite engloutie par l'écran, qu'on aurait dit qu'elle vivait les scènes en temps réel. 

— Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? répétait-elle en chœur avec l'actrice, les yeux déjà trempés de larmes.

À sa droite, sa fille Zuri Elisabeth, qui ne perdait pas une miette du film, tandis que Kaiser – son fils aîné, surtout motivé par les popcorns – se disputait les dernières graines avec sa sœur. Si d'aucun passait une belle soirée, Zaïre lui en était fort incapable. Il essayait tant bien que mal de suivre ce film que Thessa et Zuri aimaient tant. Hélas, malgré tous ses efforts, il n'y comprenait rien, si bien qu'à un moment donné, il se mit à somnoler. Ce manque d'intérêt déplut fermement à son épouse :

— Tu sais chéri, c'était censé être une soirée ciné en famille, ricana-t-elle en le secouant du coude afin de le réveiller.
— N’y vois rien de personnel, ma puce, réagit-il d’une voix plaintive, mais ça doit être la troisième fois qu’on regarde ce film, et pourtant, je n’y comprends toujours rien. Sur ce, je vais me coucher, ajouta-t-il en mettant délicatement Zuri sur les cuisses de Thessa.
— Tu comprendrais quelque chose si tu prenais la peine de
le regarder sérieusement, riposta-t-elle.
— C'est bien ça, le problème avec toi, papa, lança Kaiser d'un ton sarcastique – tu n'es pas suffisamment sensible pour ressentir la dimension émotionnelle de ce chef-d'œuvre.
— C'est ça, je ne suis pas assez sensible ! répliqua-t-il en montant les escaliers. Sur ce, je vous souhaite une médiocre et ennuyeuse soirée.

Sans réagir, Thessa et Kaiser poursuivirent leur visionnage, comme si de rien n’était. Une heure plus tard, tout le monde était dans les bras de Morphée. Tout le monde sauf Thessa qui, après quelques tâches ménagères, s'apprêtait enfin à faire de même.

Mais à peine avait-elle fermé l'œil qu'elle fut tirée de son rêve par les cris et gesticulations de Zaïre. Une fois encore, il faisait cet horrible cauchemar, revivant la même scène, se ressassant le même souvenir. Roulant à la limite du raisonnable, lui et Jacques – son ami et collègue d'antan – se dirigeaient vers un rendez-vous de la plus haute importance. Après plusieurs années d'attente, ils avaient enfin réussi à trouver un témoin crédible dans la plus grosse affaire de leur carrière respective. Et cette nuit-là, alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques kilomètres du lieu de rencontre, leur voiture fut soudainement heurtée par un camion sorti de nulle part.

La tête en envers, un peu obnubilé, Zaïre récupère ses esprits, tentant de comprendre ce qui vient de se passer.
Autour de lui, pas un son, pas un souffle. Juste le silence total. La radio brisée par le choc n'émet plus. Jacques, toujours dans les vapes, n'est pas en état de converser. La seule chose qu'il entend, ce sont des stridents acouphènes crispant son visage et masquant le bruit du moteur du camion venant de les heurter, qui s'éloigne, disparaissant quelques mètres plus loin.

Lorsqu'il disparait complètement, il laisse place aux bruits rythmiques d'une goutte d'eau sur une surface dure, couplés à cette sensation bien étrange d'écoulement d'un liquide chaud sur son front – son arcade sourcilière gauche est ouverte. Une hyperextension de la tête suffit à observer son sang qui s'accumule, aggravant son angoisse.
Sans perdre une seule seconde, il tourne son regard côté conducteur vers son ami Jacques, qui est toujours inconscient et ne montre aucun signe de vie.

— Hey Jacques, Jacques ! appelle-t-il en le secouant avec sa main tachée de sang.
Mais ce dernier ne bouge toujours pas. Il dirige ensuite sa main vers son cou, recherchant son pouls carotidien qui lui paraît faible.
— Dieu merci, il est en vie ! se rassure-t-il.

Très vite, il tente de détacher sa ceinture de sécurité, mais là encore, comme si tout l'univers était contre lui, elle ne s'ouvre pas. Il lutte encore pour se dégager lorsqu'il entend soudainement un bruit qui lui donne des peurs bleues et qu’il reconnaît tout de suite : celui d'une explosion qui émane du capot. La voiture prend feu. Le nuage de fumée toxique qui s'accumule rend l'atmosphère si irrespirable qu'il essaie aussitôt d'en sortir.

Face à cette maudite ceinture qui ne s'ouvre pas, à Jacques qui ne se réveille pas, et à l'incendie dont les flammes brûlantes assèchent la sueur qui perle sur sa peau, l'anxiété atteint son paroxysme.

La fumée toxique brûle ses poumons, provoquant des quintes de toux. Il ressent la chaleur des flammes qui se répandent sur le tableau de bord. Il dirige sa main droite vers Jacques mais ses doigts se referment sur une matière molle, douce et familière.

— Kof, kof, Jacques, Jacques ! Tu… tu m'entends ? Dis quelque chose… Tu vas te réveiller, oui ! beugle-t-il.
Thessa, réveillée, ne put qu'assister à la récidive de cette scène qui ne lui plaisait guère.

Malgré l'odeur âcre et les crépitements du feu, une voix féminine et inquiète perce le chaos, couplée par la sensation d'une main sur son torse.
— Réveille-toi, chéri ! meugle Thessa, inquiète.

Finalement, la voix de Thessa prend le dessus sur les cris de Zaïre et sur ses acouphènes angoissants.

— Allez chéri, réveille-toi, bon Dieu ! insiste-t-elle, lui donnant de petites tapes.

En criant, toussant tel un tuberculeux, essoufflé tel un alpiniste à 1800m au-dessus du sol, et le cœur battant la chamade, Zaïre ouvre enfin les yeux.

— Désolé chérie, dit-il d'une voix enrouée. J'ai fait un horrible cauchemar.
— Tu as encore fait ce cauchemar, susurra-t-elle d'un air inquiet. Ça fait trop longtemps que ça dure, bon sang ! Je crois que tu… tu devrais aller voir un psy.
— Mais chérie, ce n'est pas du tout ce…
Sachant déjà ce qu'il était sur le point de dire, elle l'interrompit sèchement :
— Ne le nie pas, je t'en prie ! Tu n'arrêtais pas de gesticuler en braillant « Jacques, Jacques ! ». Alors regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que ce n’était pas le même cauchemar que d'habitude.

Bouche bée, Zaïre ne sut quoi dire d'autre, hormis la vérité.
Voyant clairement la panique dans ses yeux, il la prit dans ses bras afin de la rassurer :

— Tu as raison, ma puce, c'était bien le même cauchemar.
— Oh, je sais que j'ai raison ! Je sais aussi que vous, les flics, vous détestez être suivis par un psy, sans doute parce que vous considérez cela comme un acte de faiblesse. Mais regardons la vérité en face : tu ne vas pas bien, tu ne vas pas bien du tout. Alors je t'en supplie, parles-en à quelqu'un. À moi, à un collègue ou mieux encore, au Dr M. Pila, il pourrait sans doute t'aider.
— Tu… tu as peut-être raison, je ne suis pas au mieux de ma forme depuis que… enfin bref, tu sais de quoi je parle.
Mais n’aie crainte, ma douce, je te promets de…

Soudain, son téléphone portable sonna, l’empêchant ainsi de faire une promesse qu’il n’avait aucunement l’intention d’honorer. À l'autre bout du fil, son coéquipier depuis maintenant cinq ans, le lieutenant John Lokwa, lui annonçait qu’un meurtre venait d’être commis au quartier Mutoto 207.

Épuisé qu'il était, il tenta de décliner l’affaire.

— Dis-moi, John, il n'y a vraiment personne d'autre ?

Jetant un discret coup d'œil sur sa montre, pendant que Zaïre Zola discutait avec son coéquipier, Thessa se rendit compte qu’il était déjà minuit et quart. Elle qui y était déjà habituée devina rapidement le but de cet appel nocturne.

— Désolé, mon vieux, rétorqua le lieutenant Lokwa, mais c'est à nous qu'on a confié l'affaire. Alors, arrête de râler et ramène tes fesses au plus vite.
Sauvé par le gong, il était, malgré tout, trop épuisé pour songer à descendre de son lit bien chaud – mais que pouvait-il
faire d'autre ?
— Pf, j'arrive tout de suite ! chuchota-t-il.

Attristé de devoir quitter son lit, malgré la fatigue, il jeta un regard lugubre à Thessa, qui semblait déjà avoir deviné la suite :

— Tu dois y aller, n'est-ce pas ?
— Malheureusement, oui. Je suis désolé, ma puce, mais le devoir m'appelle.
Dans un mélange de colère et de tristesse, elle rétorqua :
— N'y a-t-il pas d'autres flics dans une ville aussi grande, pour que ce soit toujours toi qu'on appelle ?

Le demi-sourire aux lèvres, il s’approcha d'elle et lui fit un beau gros câlin – le genre à réconforter la plus anxieuse des épouses :

— Si ma puce, il y en a des tas, mais… je suis le meilleur, conclut-il en l'embrassant sur le front.

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