Chap 9
Le lendemain, dès l'aube, le lieutenant Zaïre Zola s’apprêtait à partir au tribunal où devait se tenir le procès. Il se tenait là, devant le miroir de la chambre, essayant de faire le nœud de sa cravate, mais sans y parvenir. Tel un drogué en manque, ses mains tremblaient tellement qu'il ne pouvait le cacher. Intriguée, Thessa ne comprenait pas l'objet de son anxiété.
« Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il témoigne au tribunal », médita-t-elle.
En effet, le lieutenant Zola n'était pas aussi serein que d'habitude. Dans ses yeux, il n'y avait pas cette étincelle, cette fierté – limite arrogante – qu'il avait coutume d'avoir devant son miroir, s’imaginant à la barre en train d'exposer avec une précision clinique la reconstitution du meurtre. C'est ainsi qu'elle s'approcha de lui, histoire d'en savoir plus :
— Qu'est-ce qui te tracasse, mon cœur ? enquêta-t-elle en faisant le nœud de sa cravate.
Mais Zola n'était pas vraiment disposé à en parler.
— Rien, ma puce, rien du tout.
— Je te connais suffisamment pour savoir que quelque chose te préoccupe en ce moment. Alors crache le morceau, s’obstina-t-elle en le fixant avec des yeux séducteurs.
Zola resta silencieux quelques secondes, avant de finalement passer à table :
— Je… je suis censé témoigner dans une affaire de meurtre.
— Et c'est pour ça que tu es si anxieux ! plaisanta-t-elle. Tu es pourtant un habitué de la barre, non ?
— C'est exact, ma puce. Le seul problème est que cette fois-ci, je ne suis pas sûr de la culpabilité de l'accusé. Et le fait que toute la police et le ministère public soient convaincus du contraire n'arrange pas la situation.
— Dans ce cas, fais ce qui te semble juste.
— Ce n'est pas aussi simple. Je suis face à un dilemme, ma puce. Soit, je vais à la barre et je donne mon point de vue —mettant en péril le procès. Soit je dis ce que les parents de la victime, sa meilleure amie, le procureur et même mes propres collègues veulent m'entendre dire.
Thessa, qui venait de finir de faire le nœud de sa cravate, resta vaguement silencieuse, puis s'en alla faire le lit comme si de rien était. Zola, lui, resta planté là, attendant une réponse de sa part :
— Te voilà bien silencieuse d'un coup, ma puce !
— C'est étrange ! susurra-t-elle, le visage épris d'étonnement.
— Qu'est-ce qui est bizarre, ma puce ?
La voix calme et pleine d'ironie, elle déclara :
— Dis-moi, mon cœur, depuis quand le grand lieutenant Zaïre Azer Zola s'inquiète de ce que les autres pensent de lui ? À partir de quel moment la vérité a cessé d'être l'essence même de ton travail, hein ! Excuse-moi mon cœur, mais je croyais avoir épousé un homme fidèle à ses convictions. Es-tu sûr d'être ce gars-là ?
— Oui !
— T'en es bien sûr !
— Bien sûr que oui, grogna-t-il.
— Dans ce cas, fais ce que tu sais faire de mieux – enquête – conclut-elle.
Au bout du compte, le lieutenant Zaïre Zola se rendit au tribunal plus rassuré et plus déterminé que jamais à faire ce qui était juste.
À son arrivée, comme d'habitude, la presse était déjà sur le lieu. Dès que les journalistes le virent, ils s'approchèrent de lui avec la meme vivacité que la dernière fois et lui posèrent une litanie de question dont il put malgré tout capté l'essentiel :
« Quels sont les chefs d'accusation portés contre l'accusé ? » « Quels sont les témoins clés impliqués dans cette affaire ? »
Et comme à la coutumée, il fit la sourde oreille et se dirigervers le lieutenant Lokwa, meditant sur ce qu'il allait bien pouvoir dire, une fois à la barre.
— Salut Az, tu as l'air crevé mon vieux, ricana-t-il.
— Je pourrais en dire autant pour toi, tu as l'air d'un zombie junkie, répliqua-t-il en buvant un cachet.
— M'en parle pas mon vieux ! M'en parle pas ! Au fait, je peux savoir ce que c'est ?
— Ne t'emballe pas, c'est juste du paracétamol. J'ai, pour ainsi dire, très mal à la tête.
— Encore !
— Tu ne t'exclamerais pas autant si tu avais une femme, deux enfants et quatre heures de sommeil par nuit.
— Mais j'ai une fille, je te signale !
— Certes... mais t'en as pas la garde ! ricana-t-il.
Puis, un silence inhabituel s'installa soudainement. Les deux hommes étaient trop occupés à regarder l'avocat de la défense éluder les questions des journalistes. Que pouvait-il bien leur dire ?
Mais au bout de quelques minutes, Lokwa en eut marre de ce silence angoissant et réengagea la conversation :
— Allan, Allan, Allan ! C'est toi qui as laissé fuiter son nom, je suppose. Tu penses vraiment que ça suffira à le faire sortir de sa cachette ? Es-tu sûr que ça va marcher ?
— Exact, exact et exact. Eh, ça en fait des questions, dis donc ! On croirait presque entendre ma femme.
Mais Lokwa n’était toujours pas convaincu qu'Allan mordrait à l’hameçon. Alors, en prenant une fière posture dont lui seul avait le secret, Zola se résolut à lui exposer sa thèse :
— Dis-moi, John, que sais-tu exactement sur les Simba ?
— Pas grand-chose. Tout ce que je sais, c'est que c'est une famille puissante qui, depuis des lustres, a le monopole du pétrole du pays. Tout ceci grâce à leur entreprise. Euh, comment s'appelle-t-elle déjà ?
— Simba Oil. Est-ce là le mot que tu cherches ?
— Oui, c'est bien ça ! Simba Oil ! Mais pourquoi tu me poses cette question ?
— Parce que, mon ami, cet empire qui a fait des Simba ce qu'ils sont, cet empire qui les a rendus aussi puissants, est à la
fois leur clef de voûte et leur talon d'Achille.
Lokwa resta bouche bée. Il n'avait pas compris où il voulait en venir.
— Je… je ne suis pas sûr d’avoir saisi, là.
— C'est pourtant simple, John. Comme tous les membres de sa famille, il est étroitement lié à l'entreprise. Et dans ce cas de figure, si jamais il sauve un enfant d'une noyade, c'est un héros. Et par conséquent, c’est bénéfique pour Simba Oil. Mais
par contre, s'il est auteur d'un scandale, un peu comme c'est le cas maintenant, l'entreprise prend un coup.
— Naturellement !
— Sais-tu, John, ce que font les chefs d'entreprise en cas de scandale ?
— Ils se tournent vers les journalistes en organisant une interview, une conférence de presse ou un truc de ce genre, suggéra Lokwa.
— Exact, John !
Lokwa se gratta la tête. Cette thèse, bien qu'alléchante, comportait pour le moins une faille.
— Le seul hic, souligna-t-il, est qu'il pourrait organiser ce point de presse n’importe où, et à n'importe quel moment, pendant qu'on est bloqués ici au tribunal.
— Oh, ne t'inquiète pas pour ça, mon vieux. Ce point de presse, il le fera ici ! affirma-t-il avec aisance.
John lui jeta un regard sidéré, le genre des regards qui vaut mille mots — il ne comprenait pas l’enthousiasme de son coéquipier.
« Mais comment peux-tu en être aussi sûr ? », pouvait lire Zola sur son visage.
— Là, tu te demandes comment je le sais, n'est-ce pas ? Sache que j'ai également transmis son nom au procureur pour qu'il le cite à comparaître. Vois-tu, il n'a pas le choix. Sachant que le tribunal sera rempli de journalistes, n'importe qui dans sa situation serait tenté de faire d'une pierre deux coups, tu ne crois pas, John ?
— Peut... peut-être bien, qui sait ?
— En tout cas, c'est ce que je ferai à sa place. Venir au tribunal pour témoigner, à contrecœur bien sûr, tout en profitant de la présence de la presse sur place pour éclairer l'opinion publique.
Dans l'esprit du lieutenant Lokwa subsistait encore un fragment de doute. Il jetait des coups d'œil nerveux à Zola qui, curieusement, semblait sûr de son coup.
Mais il n'eut guère le temps de beaucoup douter, puisque soudain, une Rolls-Royce Phantom noire, encore plus belle en vrai, fit son entrée.
Tout le monde s'extasiait encore dessus, quand de cette merveille descendit un jeune homme d'une vingtaine d'années.
Il était vêtu d'une veste sur mesure aussi noire que la Rolls-Royce. Il portait des lunettes de soleil qui cachaient ses beaux yeux. En voilà un visage familier que les journalistes reconnurent aussitôt. Ils l'encerclèrent rapidement telle une meute autour d'une proie. De loin, Zola et Lokwa observaient ce spectacle :
— M. Simba, avez-vous quelque chose à avoir dans l'assassinat d'Alicia Muya ? Pourquoi n'avez-vous pas coopéré avec la police ?
Telles étaient les questions qu'ils pouvaient entendre de loin.
Avant sa prise de parole, Allan enleva délicatement ses lunettes à quatre cents dollars, dévoilant ainsi ses beaux yeux trempés de larmes, avant de prendre la parole avec une voix un peu enrouée :
— Allons, je sais que vous avez beaucoup de questions ! Alors, écoutez-moi, je vous prie. Depuis hier, moi ainsi que toute ma famille avons été choqués, et j'insiste sur le mot – choqués – de constater l'absurdité des propos non fondés de la presse, selon lesquels j'aurais quelque chose à avoir avec le meurtre d'Alicia. Sachez que cela n'est que pure machination. Jamais, au grand jamais, j'aurais pu lui faire une chose pareille. Ceux qui ont eu la chance de la connaître savent que c'était une personne – incroyable, et Dieu sait combien je l'aimais.
Il avait à peine fini qu'une journaliste prit la main :
— M. Simba, si vous l'aimiez autant que vous le prétendez, pourquoi n'avez-vous pas fait signe de vie depuis tout ce temps ? Je vous rappelle que vous n'êtes même pas venu à son enterrement.
Face à cette question plus qu’embarrassante, Allan se tut un moment. En fixant les micros placés devant lui, il sortit son mouchoir de poche et ssuya les larmes de ses yeux aveuglés par les interminables flashes des appareils photos. Telle une éponge nettoie une vitre, ce geste anodin eclaira sa lanterne. Il se sentit immédiatement apte à poursuivre :
— Écoutez, c'est... c'est assez simple. Si j'ai décidé de faire profil bas, c'est parce qu'Alicia ne voulait pas me présenter à ses proches ; en tout cas, elle ne se sentait pas encore prête. Vous savez, elle sortait d'une relation compliquée quand on s'est rencontré. Elle avait complètement perdu toute confiance aux hommes. Alors, quand elle m'a avoué qu'elle ne se sentait pas prête, disons que j'ai… j’ai tout de suite accepté la situation. Voyez-vous, si je ne me suis pas présenté devant ses proches, c'est parce que je voulais à tout prix respecter sa volonté jusqu'au bout. Mais hélas, grâce à vous, je n'ai pas pu tenir mon engagement. Merci à vous les gars.
— Pourquoi n'avez-vous pas collaboré avec la police ? ajouta un autre.
— Eh bien, pour ce qui est de la police, sachez que je ne voyais guère en quoi mon apport aurait été utile pour arrêter le meurtrier. Sur ce point-là, j'avoue avoir eu tort et je m'en excuse. Mais depuis hier, une nouvelle chance s'est offerte à moi lorsque j'ai été cité à comparaître. Je jure donc en toute conscience et selon le respect strict de la loi de faire ce qui est juste en témoignant devant la barre. Merci à vous, ça sera tout !
— Mais M. Simba...
Sans preter attention aux questions supplémentaires qu'ils comptaient lui poser, Allan se dirigea immédiatement vers la porte d'entrée du tribunal. Le voyant s'approcher, Z. Zola décida d'aller à sa rencontre. Tandis qu’il emboîtait les pas, il énonça une petite réflexion à son coéquipier :
— Au fait, John, sais-tu qu'une fourmi peut attirer l'attention d'un éléphant ? Pour ça, il lui suffit juste de savoir piquer là où ça fait mal.
Et il s'eclipsa en laissant le pauvre John abasourdi par la bizarrerie de ce raisonnement – il était sans mots.
Zola était si satisfait que tout se soit passé comme prédit, qu'il en oublia ses bonnes manières et engagea la conversation d'une manière peu conventionnelle :
— Quel magnifique discours vous avez fait là ! Jamais j'aurais cru voir un Simba se livrer autant en public.
— Me... merci, répondit Allan d'une voix un peu hésitante. Je vais prendre ça pour un compliment… c'en était bien un, n'est-ce pas ?
— Mais bien sûr, monsieur ! Bien sûr que c'était un compliment ! Vous m'avez paru si sincère lorsque vous parliez de vos sentiments pour Alicia…
— Sans doute parce que je l'étais ! affirma-t-il.
— Certes, mais voilà, nous savons tous les deux que vous l'étiez beaucoup moins dans la dernière partie de votre interview.
D'un ton grincheux, Allan sursauta :
— Je vous demande pardon ? Qu'êtes-vous là en train d'insinuer ?
— Mais je n'insinue rien du tout, je donne simplement mon point de vue. Tout à l'heure, lorsque vous parliez d'Alicia, j'ai entendu le ton de votre voix et j'ai observé votre gestuelle. Et le moins qu’on puisse dire est que c'était si naturel. Vous aviez l'air, comment dire – brisé. Mais tout a changé dès lors qu'il a fallu expliquer les raisons pour lesquelles vous aviez préféré faire profil bas. Là, c'était tout de suite si mécanique, si fluide qu’on aurait presque dit que vous aviez répété votre texte. En toute franchise, je n'y ai pas cru une seconde. J'espère que vous mentirez mieux la prochaine fois.
Entre irritation et étonnement, Allan resta figé pendant un moment. Dans sa tête, une seule question tournait en boucle :
« Mais qui est ce mec ? »
Bien qu'il n'appréciait guère la manière avec laquelle ce bel inconnu l'avait abordé, et moins encore ses insinuations, il ne pouvait s'empêcher d'apprécier le sang-froid de celui-ci.
— Désolé, monsieur, mais il me semble qu’on n’a pas été présenté, déclara-t-il en lui tendant sa main droite. Allan
Simba, ravi de vous connaître.
— Lieutenant Zaïre Zola.
Il venait là de serrer la main de celui qu'il considérait à ce moment-là comme le principal suspect du meurtre d'Alicia. En effet, depuis qu'il avait enfin pu l'identifier comme étant le petit copain d'Alicia, ses soupçons envers lui grandirent exponentiellement. La veille, il avait passé toute la soirée à imaginer les raisons qui justifieraient sa discrétion après le meurtre d'Alicia.
Sans succès, il n'en trouva aucune qui le discréditerait. Installé dans la salle à manger avec sa famille, réfléchissant encore et encore, ce succulent –maboke – que Thessa avait eu tant de mal à cuisiner avait soudain autant de goût que du riz blanc.
« Quel est cet homme qui ferait profil bas, alors que sa copine vient de se faire tuer ? Pourquoi diable agirait-il de la sorte ? » s'interrogeait-il.
Hélas, la seule explication qui lui paraissait logique à ce moment-là était qu'Allan soit vrai meurtrier.
« C'est le rasoir d'Ockham », conclut-il.
Et le fait qu'il ait menti sur les raisons de sa discrétion durant l'interview ne fit que confirmer ses soupçons.
Très vite, il fut tiré de ses pensées par la présence d'un objet dur qui entourait l'annulaire droit d'Allan tandis qu'il lui serait la main. À première vue, il ressemblait à un anneau, ou plutôt à une chevalière en or massif qui brillait de mille feux sous les éclats des rayons solaires. Son attention fut davantage tirée par les détails que présentait cette belle chevalière : des feuilles de laurier semblaient occuper la périphérie, et là tout au centre, il aperçut quelque chose qui ressemblait à des initiales.
Et pour en avoir le cœur net, il imprima volontiers une rotation interne du poignet d'Allan afin d'y voir plus clair. Et c'est à ce moment précis qu'il aperçut ce petit détail qui lui glaça le sang : AHS.
En voilà un élément qui lui rappela aussitôt les initiales – PHS – retrouvées sur la joue de la victime, quelques semaines plus tôt.
Sans perdre une seconde, il l’interrogea discrètement quant à ce sujet, afin d'en savoir un peu plus :
— Oh, mais quelle magnifique chevalière vous portez là ! Je n'ai pas pu m'empêcher de l'admirer, remarqua Zola en serrant davantage la main d'Allan.
Cela en devenait gênant qu'Allan la retira brusquement.
— Me... merci !
— Mais dites-moi donc, que représentent ces feuilles que je vois là ?
Voilà maintenant plusieurs années qu'il la portait sur son doigt, sans que quiconque l'interroge sur les détails de sa jolie chevalière. Mais quelques minutes seulement suffirent à ce lieutenant un peu trop fouineur à son goût :
— Ce… ce sont des feuilles de laurier, elles symbolisent la gloire et la victoire, hésita-t-il.
Le lieutenant Zola fit semblant d'être étonné et creusa davantage.
— Que c'est magnifique ! Et ces lettres ?
Les sourcils froncés, Allan était un peu agacé par les questions du lieutenant qu'il jugeait un peu trop collant comme une sensue – le genre des personnes à qui il valait mieux répondre rapidement afin de s'en débarrasser au plus vite.
— Il s'agit de mes initiales. Ces – AHS – que vous voyez là correspondent à Allan
Harvey Simba.
Voyant qu'Allan était visiblement irrité par ses questions et insinuations, le lieutenant Zola prit tout de même le risque de lui poser une nième question, en espérant que ça serait la dernière… du moins, pour le moment :
— Pardonnez ma curiosité mal placée, M. Simba, je sais que je peux être très chiant…
— Et vous n'avez pas idée, spécula-t-il.
— Je sais que je vous importune avec mes questions depuis tout à l'heure, mais permettez-moi de vous en poser une dernière. Une toute dernière, si vous le voulez bien.
Allan hocha la tête :
— Très bien, merci. Puis-je savoir où vous l'avez acheté ? Elle est tellement magnifique que j'ai presque envie d'en offrir une à ma femme.
— Je regrette, lieutenant, mais c'est impossible !
Zola le regarda avec un air de chien battu. Il était sur le point d'exiger une explication de sa part, mais Allan qui voulait tellement en finir anticipa sa question :
— C'est impossible parce que c'est une chevalière sur mesure et il en existe que quatre dans le monde. Pour la petite histoire, il y a environ onze ans, pour fêter le renouveau de l’entreprise après une période difficile, mon père en commanda quatre. Une pour mon feu oncle Cyrus, puisse son âme reposer en paix ; deux pour mon frère et moi, et une autre pour lui-même, bien sûr !
Z. Zola voulait intervenir afin d'éclaircir un dernier détail, mais là encore, Allan anticipa :
— Et avant que vous me posiez la question : oui, les quatre sont uniques, ou plutôt, quasiment uniques. La seule différence concerne nos initiales respectives.
Le regard pensif, Zola semblait être perdu dans ses pensées – il venait d'avoir un éclair de génie.
— Ça y est, lieutenant, je crois que vous en savez suffisamment sur nos fameuses chevalières. Ceci dit, je vous prie de bien vouloir m'excuser, j'ai un témoignage à faire.
Il s'empressa de s'éloigner sans se retourner. Il monta ensuite l'estrade du
tribunal aussi vite qu'il le pouvait. Il était si content d'avoir enfin pu échapper aux griffes de cet étrange lieutenant. Zola, quant à lui, resta planté là, à analyser la situation.
Dès le moment où Allan lui révéla les détails sur les chevalières de sa famille, il ressentit cette sensation étrange mais si familière qu'elle ne le surprit guère – celle de pièces d'un puzzle qui s'assemblent spontanément, dessinant ainsi une suite logique des événements.
À cet instant précis, il sut qui était le vrai meurtrier. Pour en avoir le cœur net, il prit son portable, puis fit rapidement quelques recherches sur la famille Simba. En vrai, il ne cherchait guère à connaître la fortune de l'un ou de l'autre.
Tout ce qu'il voulait, c’était comparer les initiales retrouvés sur la joue de la victime avec ceux d'un des membres de la famille Simba – dont le deuxième prénom lui échappé encore.
Après quelques secondes de recherches, une voix forte et euphorique se fit entendre dans toute la cour.
— Eurêka, je te tiens !
Tout le monde se tourna vers lui, les visages pleins de rides.
Gêné par ce moment angoissant, le lieutenant Zola, qui savait pourtant gérer ses émotions, s’en voulut et n’eut d’autre choix que de s’excuser.
– Mille excuses !
Il était si content qu'il en perdit presque ses mauvaises manières. Le lieutenant Lokwa, qui assistait de loin à la scène, s'approcha illico de lui afin de connaître la raison qui avait suscité autant de joie chez le si réservé lieutenant Zaïre Zola.
— Tu veux bien m'expliquer ce qui vient de se passer ?
— Je l'ai, John…
— Quoi… qu'est-ce… de quoi… ?
Puis, il prit quelques secondes afin de récupérer son souffle.
— Tu veux bien me dire de quoi tu parles ? insista Lokwa.
— Je peux enfin prouver l'innocence d'Hugo.
— Attends, tu veux dire que tu as la preuve sur toi en ce moment ? Dans ce cas, nous devons à tout prix en parler au procureur avant le début du procès…
Mais Zola atténua rapidement l'enthousiasme de son coéquipier.
— Tout doux mon vieux ! Ce que j'ai voulu dire par là est que je sais à présent qui a tué Alicia Muya, et ce n'est pas Hugo Malanda. Mais pour le prouver, il va me falloir du temps — beaucoup de temps.
— Dans ce cas, dis-moi de quelle piste il s’agit.
— C'est beaucoup trop long à expliquer, et le temps nous fait défaut en ce moment. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il faut gagner du temps, si jamais on veut parvenir à nos fins.
— Gagner du temps, tu dis ! Mais comment espères-tu y parvenir, puisque le procès commence dans dix minutes ?
Zola lui tapota l'épaule droite et prit une voix rassurante :
— Fais-moi confiance, mon vieux, j'ai un plan machiavélique. Mais je te préviens, ça risque de faire des vagues, conclut-il en ricanant.

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