Prologue
— Il y a bien des années, lorsque nul sage ne vivait encore, le dieu Kosmas fit venir au jour notre monde. Avec l’aide des sept dieux élémentaires, chacun doté d’un pouvoir unique, il donna vie à Tercania et à tout ce qui s’y trouve encore aujourd’hui : ses plantes, ses montagnes, ses animaux et, après tout cela, ses humains.
Celle que les enfants du village surnommaient amicalement dame Valdina se dressait face à une classe silencieuse. Son grand âge, ainsi que l’expérience qu’elle avait acquise au cours de ses nombreuses années d’enseignement, lui avaient appris à se montrer ferme et bienveillante à la fois. Chacun l’appréciait, si bien qu’elle ne rencontrait presque jamais de problème de discipline.
Comme elle le faisait chaque année depuis le début de sa carrière d’institutrice, elle avait entrepris de raconter aux enfants la plus fameuse histoire de Tercania : la légende de la création du monde par les dieux. Elle ne doutait pas que chacun l’avait déjà entendue, que ce soit par un aîné ou un parent, mais elle jugeait que la répétition ne pouvait être que bénéfique pour les enfants, comme pour elle-même.
Dame Valdina avait marqué une pause dans son récit. Son regard scrutait ses élèves et s’attarda sur une petite fille, assise au fond de la classe, qui semblait somnoler davantage qu’elle n’écoutait. Elle ne releva pas le regard insistant que l’institutrice maintenait sur elle.
— Elaena, l’interpella-t-elle. Peux-tu me donner le nom du dieu élémentaire de la foudre ?
— Trismos, madame, répondit-elle rapidement sans pour autant lui adresser un regard.
Malgré cette réponse honorable, dame Valdina ne fut pas pleinement satisfaite. Elaena et son frère Layne fréquentaient l’école depuis plus longtemps que la moyenne des autres enfants. Non qu’ils ne fussent pas assez capables, au contraire : ils étaient tous deux des élèves brillants. Leur père avait pourtant insisté pour qu’ils continuent à suivre les cours de la vieille enseignante afin de parfaire leur éducation, qu’il voulait très poussée. Un tel espoir de sa part était tout à fait respectable. Cependant, il avait pour inconvénient de les condamner à suivre certaines leçons parmi celles qu’ils connaissaient déjà. Dame Valdina tentait de pallier à ce problème en adaptant au mieux son programme d’enseignement, mais elle ne pouvait pas faire toutes les concessions pour plaire à la famille Syana.
Alors elle n’insista pas et reprit le récit.
— Ce fut la seule intervention divine sur notre monde : jugeant les humains suffisamment responsables pour le mener dans une direction respectable, les dieux décidèrent de les laisser agir. Ainsi, les hommes récoltèrent de la nourriture, bâtirent des villages qui devinrent des villes et tracèrent des routes, utiles au commerce. Ils fondèrent des royaumes qui, malgré certaines querelles passagères, évoluèrent paisiblement les uns à côté des autres.
» La vie demeura ainsi calme et prospère des années durant. Mais un jour qui paraissait semblable aux précédents, certains hommes regrettèrent de ne pas être rois. Ils voulaient le pouvoir et la richesse, et ils entendaient bien les obtenir. Afin de satisfaire cette insatiable soif, ils bâtirent une ville immense et magnifique, la plus belle que Tercania ait jamais portée, sur une île perdue au cœur de l’océan. Cette tâche fut rude et requit plusieurs générations de labeur, mais l’effort est toujours récompensé. La splendeur de la ville était telle que même les dieux voulurent la visiter. Mais alors les dieux admiraient l’élégance de cette création, les humains dérobèrent une part de leur pouvoir.
» Forts de tant de puissance, ils bannirent les rois et les reines de Tercania. Comme le pouvoir ne leur suffisait pas, ils entreprirent de vivre dans le luxe et l’opulence au détriment de ceux qui n’avaient plus rien. Désespérés par tant de cruauté, les rois et reines déchus firent appel aux dieux, et les usurpateurs ainsi que leurs descendants furent condamnés à vivre sur une île froide et hostile. Afin qu’ils ne puissent jamais regagner les terres pures de Tercania, leur apparence fut altérée et rendue hideuse. Ainsi, les humains se souviendraient à jamais de leurs méfaits.
Cette fois, Elaena ne put réprimer un bâillement. Les elfes. Existent-ils seulement ? Elle en doutait sérieusement. Voici une histoire bien ridicule. Quels dieux sont assez stupides pour se laisser ainsi berner ? Ils ont créé tout un monde, alors une unique ville, aussi belle soit-elle, ne peut suffisamment les distraire pour que de simples humains parviennent à leur voler leurs pouvoirs. À moins que ces pouvoirs ne soient pas si désirables que la légende le prétend. Oui, ce devait être ça. Les pouvoirs des dieux sont en réalité de véritables fléaux pour qui les détient, et ils furent bien contents que ces humains les en débarrassent.
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