Chapitre 1-5
Cela faisait plus d’une heure qu’Elaena patientait dans l’étroite cellule. Elle avait tenu ferme face au garde chargé de l’interroger, soutenant vouloir suivre les enseignements de l’Académie, non pas s’y cacher pour une quelconque raison. Malgré sa stature effrayante, l’homme n’avait pas levé la main sur elle. S’il l’avait fait, elle ne savait pas comment elle aurait réagi ; après tout, ce qu’elle lui avait dit était l’unique vérité.
Son regard, perdu dans le vide d’un mur terne, fit un bon jusqu’à l’autre extrémité de la pièce. Deux autres gardes — du moins le supposait-elle, tous se ressemblaient terriblement — avaient déverrouillé le portail de métal. Lui enserrant les poignets d’une épaisse menotte, ils lui intimèrent l’ordre de les suivre. Loin d’elle était l’idée de leur tenir tête ; aussi les suivit-elle docilement.
Ils l’accompagnèrent alors qu’elle quittait les geôles et traversait ce qui était sans aucun doute la cour principale de l’Académie. De nombreux jeunes gens, tous vêtus du même habit gris-bleu, vaquaient çà et là à leurs occupations. Ce doit être les fameux novices. Tous la dévisagèrent sur son passage, avec plus ou moins d’insistance. Ils doivent se demander qui est cette fille que la garde escorte ainsi. Cette idée l’amusait plus qu’elle ne l’effrayait.
Sa route prit fin à l’intérieur d’un luxueux bâtiment, sans doute le plus magistral du domaine. Un garde frappa de son poing sur une haute porte ornée de sculptures et de dorures, puis la poussa sans attendre de réponse. Dans la pièce se tenait un homme grand et imposant, assez âgé et l’air sévère, assis derrière un bureau aussi impressionnant que sa porte. Son attention resta tout entière sur le document qu’il lisait, jusqu’à ce que le garde l’interpelle.
— Directeur Kellor, dit-il avec respect, voici l’intruse dont vous avez eu vent.
L’homme releva finalement la tête et posa un regard intrigué sur Elaena. Il la dévisagea quelques instants, puis un sourire apparut lentement sur son visage rigide.
— Ah, la gamine ! dit-il joyeusement. Alors comme ça, tu voudrais devenir soldat ? (Son ton se fit moqueur.) Tu m’en verras désolé, mais ça ne va pas être…
— J’en suis capable, lança Elaena avant qu’il ne puisse terminer ses feintes excuses.
Elle s’était attendue à ce refus. Si je ne me montre pas très déterminée, il n’acceptera pas. Qu’importe la politesse. L’homme sembla déconcerté par un tel aplomb ; outré, aussi. Mais sur son visage ressurgit bientôt une forme d’amusement.
— Voyez-vous ça ! dit-il, prêt à céder au fou rire qui s’annonçait.
— Je suis plus forte que vous le pensez.
Cette fois, Kellor ne put retenir son hilarité. Il rit à gorge déployée durant un instant qui parut très long à Elaena. Elle se sentait humiliée. Mais à quoi devais-je m’attendre ? Depuis le début, personne ne m’a prise au sérieux. C’est à moi de leur montrer qu’ils se trompent.
Kellor recouvra ses esprits sans toutefois abandonner le sens de l’humour qu’il semblait tant chérir.
— Toi, forte ? En voici une drôle d’idée ! dit-il en dévisageant la jeune fille sur toute sa hauteur. Regarde-toi : tu es fine comme une brindille, pourtant tu as sur les os plus de chair que de muscles. Peut-être ne t’a-t-on rien dit, mais savoir porter quelques sacs de légumes n’est pas suffisant pour suivre les enseignements de notre Académie. Un bon soldat doit pouvoir manier une lourde épée, s’adapter rapidement à n’importe quelle situation tout en étant vêtu d’une armure de métal. Fais-toi une raison : jamais ton corps de petite fille ne sera assez robuste pour supporter le travail de soldat.
Un rapide geste de la main suffit à lui faire comprendre que la conversation était terminée, mais Elaena refusait de renoncer.
— J’ai pourtant traversé le lac et escaladé le mur d’enceinte, seule et en pleine nuit ! lança-t-elle avec vigueur, alors qu’on la tirait vers l’extérieur.
Sans doute suis-je moins robuste que les autres novices. Mais je refuse de croire que je suis incapable de les rejoindre. Quel serait le rôle d’un enseignement, sinon de combler des lacunes ?
L’argument sembla peser : Kellor ordonna silencieusement de relâcher son impertinente interlocutrice.
— Est-ce vrai ? clama-t-il, et on lui répondit par l’affirmative.
Comme il hésitait, Elaena saisit cette opportunité : elle savait qu’il ne lui en laisserait pas davantage.
— Laissez-moi une chance ! Je suis capable de me battre, je vous le prouverai. Si vous ne me jugez pas à la hauteur de l’Académie, je promets de partir sans faire d’histoires.
Son ton était désespéré. Ce n’était pourtant pas ainsi qu’elle le voulait, mais elle supposa qu’il reflétait son véritable état d’esprit. Le visage du directeur exprimait un étrange alliage d’agacement et d’amusement.
— Au moins, tu ne manques pas d’audace, je dois le reconnaitre. Puisque tu y tiens tant, j’accepte de te soumettre à un examen d’entrée. Si tu en satisfais les conditions, tu auras ta place au sein de l’Académie. Si tu échoues, en revanche, tu devras quitter Azur et ne jamais remettre les pieds ici. Entendu ?
Ces conditions paraissaient floues à Elaena : Quel est cet examen ? Me laissera-t-il vraiment intégrer les rangs des novices si je réussis ? Mais elle ne pouvait pas le savoir. Tout ce que je sais, c’est qu’il s’agit là de l’unique porte qu’il acceptera de m’ouvrir. Je ne peux pas laisser filer une telle aubaine, peu importe la nature de cette épreuve. Quant à savoir s’il me laissera vraiment apprendre à me battre… Je devrai aviser en temps voulu.
— Entendu, dit-elle pour marquer son approbation.
Kellor sembla satisfait, ce qui déconcerta Elaena.
— Très bien, reprit-il. L’examen commence dans une heure. Sois prête.
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