Chapitre 2-2
Elaena surgit d’un coup de son sommeil, fût-il léger, les sens en alerte. Une horrible sensation l’avait envahie tout entière : son corps était pétri par le froid et lui faisait mal. L’air est glacé… Où m’ont-ils donc laissée ? J’ignorais qu’il pouvait même faire si froid. Ses joues semblaient comme engluées dans une solide couche de glace. Elle décida qu’elle devait se lever afin de régénérer ses forces et de s’exposer au soleil qui réapparaissait peu à peu. Mais le tronc qu’elle avait choisi comme abri s’avérait très étroit. Alors qu’elle se contorsionnait en vue de s’en extirper, une série de bruits inquiétants attira son attention. Elle cessa tout mouvement, retenant jusqu’à sa respiration, comme si elle voulait devenir ce qui remplira le tronc creux à jamais.
Il y a un animal, dehors. Un gros. Le bruit de ses pattes battant le sol de la forêt l’avait d’abord avertie, mais elle pouvait à présent percevoir sa respiration grondante. Il est juste là.
Malgré elle, Elaena trembla de peur lorsqu’elle aperçut une patte aussi large que sa propre tête et munie de griffes gigantesques. Elle sentit son cœur s’affoler. Un ours. Il est énorme ! Comment réagir ? Elle n’avait jamais pensé se trouver un jour face à pareil danger, aussi ne savait-elle pas comment se comporter. Je ne peux pas sortir pour l’affronter : il me vaincrait d’un seul coup de griffes. Fuir ? Non, il me rattraperait sans difficulté. Alors, attendre sagement qu’il s’en aille ? S’il me trouve, c’en sera terminé. Mais je n’ai pas le choix.
L’animal ne semblait toutefois pas disposé à lever le camp. Il tourna lentement autour du tronc, comme s’il attendait que quelque chose en sorte, durant de longues secondes. Lorsqu’il décida d’enfin abandonner ses recherches, Elaena laissa échapper un soupir de soulagement. Sans doute fut-il trop sincère, car l’ours s’arrêta d’un coup et tendit l’oreille. L’estomac de la jeune fille réclamant qu’elle le remplisse acheva d’avertir le mastodonte de la présence d’une proie : il se retourna, poussa un cri glaçant et se mit en chasse, soulevant derrière lui un nuage de feuilles mortes et de poussière.
Prise d’une panique inconcevable, Elaena s’extirpa d’un coup du tronc qui ne l’aiderait désormais plus et fila dans la course la plus intense qu’elle se souvenait avoir connu. Toutes ses articulations la faisaient souffrir, mais elle les ignora : si elle ralentissait, elle était certaine de ne jamais regagner l’Académie.
Que faire ? Je suis perdue ! Je l’entends me rattraper, je peux quasiment sentir sa respiration contre mon cou ! Comment m’en sortir ? Elle tâcha de réfléchir aussi rapidement qu’elle le pouvait. Une grotte ? Un terrier ? Je n’en vois nulle part, et l’ours pourrait m’attraper avec ses griffes. Ou bien en hauteur ! Un arbre ? Pourrait-il m’y rejoindre ? Je ne sais pas, mais je n’ai pas d’autre option.
Affamée et désarmée, elle ne résisterait pas longtemps à un tel rythme. Elle balaya du regard le terrain qui défilait au-devant de sa fuite et choisit le premier arbre qui lui sembla propice à une escalade précipitée. Sans cette fois prendre le temps de réfléchir à ce qu’elle faisait, elle s’élança aussi haut que ses jambes purent la mener, s’agrippa à la première branche qui fut à sa portée et usa de ses dernières forces pour parvenir au sommet.
Cela a-t-il fonctionné ? Elle se sentait aussi épuisée que le soir précédent. Ses yeux demeuraient fermés. J’ai joué mon unique carte. Si l’ours parvient à me rejoindre, ce sera la dernière chose que je vivrai.
Mais l’ours ne venait pas. Elaena se risqua à entrouvrir un œil et constata qu’il n’était pas là. Elle balaya du regard tout ce qu’elle pouvait distinguer depuis la branche sur laquelle elle était perchée, mais elle n’aperçut pas la moindre trace de l’animal. Comme s’il n’avait jamais existé. Elle resta immobile quelque temps afin de calmer ses émotions, consciente que la faim la rattraperait bientôt.
Si j’avais été plus forte, cet ours de malheur, je l’aurais terrassé, et je l’aurais mangé. Tout entier.
L’humain est pitoyable. Il est capable de bâtir d’immenses trésors, de dompter la nature pour satisfaire son propre confort, de créer de merveilleuses œuvres d’art. Mais lorsqu’il qu’il se retrouve seul au milieu de tout cela, il s’effondre. Il ne peut plus rien. Il n’est plus rien.
Elaena sourit.
L’humain est faible, au final. Dès lors qu’il ne plie pas le reste du monde à sa volonté, il disparait. Cette médiocrité est… intéressante.
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